Peut-on concevoir l'homme indépendamment du lien social
Publié le 01/04/2005
Extrait du document
Analyse du sujet :
Homme : « Homme « est le nom commun qu'on donne à l'homo sapiens. Ce dernier est un mammifère appartenant à l'ordre des primates. Il est doué d'intelligence et d'un langage articulé. Il se caractérise également par un cerveau volumineux et capable d'abstraction, ainsi que par des mains préhensibles et la station verticale. « Sapiens « est un adjectif latin qui signifie « intelligent «, « sage «, « raisonnable «, ou encore « prudent «. Le trait saillant qui définit l'homme semble donc être le fait qu'il serait un être vivant doué de raison. Cette hypothèse résulte d'une longue tradition philosophique qui a construit le concept d'humanité en opposition à celui d'animalité. Ainsi, on a tendance à considérer que l'homme se distinguerait du reste des créatures vivantes parce qu'il serait capable de pensée, de conscience de langage et de liberté, alors que les animaux n'en auraient pas la capacité. Cela confèrerait à l'homme une dignité particulière : seul d'entre les créatures à posséder la raison, il serait également le seul à pouvoir se représenter une fin, et à ce titre, il serait en lui-même une fin, c'est-à-dire une personne que l'on devrait respecter, et non pas une simple chose dont on pourrait disposer.
Société : La société renvoie habituellement à l'idée d'un regroupement d'individualités, structuré par des liens de dépendance réciproque, et évoluant selon des schémas réglés. On peut parler, de ce point de vue, de « sociétés animales « autant que de « sociétés humaines «. Les sociétés humaines diffèrent des sociétés animales en cela qu'elles seraient pourvues d'une histoire et qu'elles seraient régies par des institutions. Chez l'être humain, la question se pose de savoir si l'état de société renvoie à une disposition fondamentale de l'être humain ou si c'est seulement de l'extérieur que cet état s'impose à lui. En effet, autant il semble logique de considérer que l'être humain est naturellement sociable, autant cette conception apparaît partout contredite par les divers conflits et tensions de société. Cela pourrait nous pousser à imaginer que les sociétés ne soient pas des réunions naturelles, mais qu'elles résultent d'un processus historique fondé sur un pacte. Enfin, la société pose encore cette question : l'être humain se réalise-t-il plus complètement en société qu'en solitaire ? Permet-elle à l'individu de développer des penchants qui sans elle resteraient cachés, ou bien ne fait-elle que brimer ses aspirations en rompant le développement naturel de l'individu ?
Problématisation :
Considérer que l'homme puisse vivre indépendamment de tout lien social, c'est imaginer qu'il soit tout à fait possible à un homme d'accomplir sa vie et son identité d'homme en restant toujours à l'écart de la société. Une telle hypothèse pose problème car la société étant omniprésente, nous ne connaissons quasiment pas d'hommes qui aient vécu une telle expérience de la solitude. Quant à ceux que nous connaissons, correspondent-ils encore vraiment à l'idée que nous nous faisons de l'homme ? Cela étant posé, la multitude de conflits qui se font jour dans toutes les sociétés invite également à se poser cette question : sommes-nous vraiment faits pour ça ? Puisque ça ne fonctionne pas, n'est-ce pas la preuve que là n'est pas la solution ? Ne faudrait-il pas justement délier l'homme de la société pour le retrouver tel qu'il est en sa nature profonde ?
«
C'est au second chapitre du premier livre de la « Politique » que l'on retrouve en substance la formule d'Aristote.
On traduit souvent mal en disant : l'homme est un « animal social », se méprenant sur le sens du mot « politique », qui désigne l'appartenance de l'individu à la « polis », la cité, qui est une forme spécifique de la vie politique, particulière au monde grec. En disant de l'homme qu'il est l'animal politique au suprême degré, et en justifiant sa position,Aristote, à la fois se fait l'écho de la tradition grecque, reprend la conception classique de la« cité » et se démarque des thèses de son maître Platon . Aristote veut montrer que la cité, la « polis », est le lieu spécifiquement humain, celui où seul peut s'accomplir la véritable nature de l'homme : la « polis » permet non seulement de vivre mais de « bien vivre ».
Il affirme de même que la cité est une réalité naturelle antérieure à l'individu : thèse extrêmement surprenante pour un moderne, et que Hobbes & Rousseau voudront réfuter, puisqu'elle signifie que l'individu n'a pas d'existence autonome et indépendante, mais appartientnaturellement à une communauté politique qui lui est « supérieure ».
Enfin Aristote tente de différencier les rapports d'autorité qui se font jour dans la famille, le village, l'Etat, et enfin la citéproprement dite.La cité est la communauté politique au suprême degré et comme elle est spécifiquement humaine,« L'homme est animal politique au suprême degré ».
En effet la communauté originaire est la famille : c'est l'association minimale qui permet la simple survie, la reproduction « biologique » de l'individu et de l'espèce.
Composée du père, de la mère, des enfants et des esclaves, elle répond àdes impératifs vitaux minimaux, à une sphère « économique » comme disent les Grecs.
« D'autre part, la première communauté formée en vue de la satisfaction de besoins qui ne sont pas purement quotidiens est le village. » Il faut comprendre que famille et village sont régis par le besoin, par la nécessité naturelle de la vie, et ne sont pas propres à l'humanité.Le cas de la « polis » est différent.
« Ainsi, formée au début pour satisfaire les besoins vitaux, elle existe pour permettre de bien vivre.
» Dans la « polis » se réalise tout autre chose que la simple satisfaction des besoins : sa fonction initiale (satisfaire les besoins vitaux) découvre autre chose de beaucoup plus important : non plus le vivre mais le bien vivre.
Non plus la simple vie biologique mais l'accès à la vie proprement humaine, quidépasse la sphère économique pour atteindre la sphère morale.« Car c'est le caractère propre de l'homme par rapport aux autres animaux d'être le seul à avoir le sentiment du bien et du mal, du juste et del'injuste, et des autres notions morales, et c'est la communauté de ces sentiments qui engendre famille et cité. » Seule la cité, la « polis », transcende les simples nécessités vitales et animales et permet à l'homme d'accéder à sa pleine humanité.
Elle naît de la mise en commun de ce qui est spécifiquement humain : la raison et les sentiments moraux.
Ainsi les modernes ont-ils tort de parler « d'animal social » : ce qu'Aristote désigne est moins l'appartenance à une communauté quelconque, ou encore régie par des intérêts « économiques », que l'accès à une sphère autre, seulement politique, et qui permet à l'homme de s'épanouir en tant qu'homme, de viser le bonheur, d'entretenir avec lesautres hommes des liens libres, libérés de tout enjeu vital.Plus étranges peuvent paraître les deux autres thèses, liées, d'Aristote, affirmant que la cité est une réalité naturelle, et surtout, qu'elle estantérieure par nature à l'individu.
Cela signifie que l'homme n'est pas autosuffisant : il n'est qu'une partie d'un tout : la cité, comme la mai est partiedu corps.
Pas plus que la main n'existe réellement sans le corps, l'individu humain n'existe sans la cité.
C'est d'elle qu'il reçoit son humanité, sondéveloppement, son statut moral.« Mais l'homme qui est dans l'incapacité d'être membre d'une communauté, ou qui n'en éprouve nullement le besoin, parce qu'il se suffit à lui-même, ne fait en rien partie de la cité et par conséquent est ou une brute, ou un dieu » Ne pas appartenir à la « polis », lei d'humanité, c'est être soit infra-humain, soit supra-humain.L'exposé d'Aristote reprend la conception classique de la cité au sens grec.
La cité n'est pas un Etat (forme barbare pour les Grecs), elle n'est pasliée à un territoire (comme aujourd'hui où la citoyenneté se définit d'abord par référence au sol, à la « patrie »).
La cité est une communauté d'hommes, vivant sous les mêmes mois et adorant les mêmes dieux.
L'idéal grec est celui d'un groupe d'hommes pouvant tous se connaîtrepersonnellement.
L'idéal politique est donc celui d'une communauté d'hommes libres (non asservis par le travail et les nécessités vitales, disposantde loisirs) et unis par la « philia ». Quand les contemporains parlent « d'animal social », ou quand Marx déclare que l'homme est « animal politique », ce ‘est pas au même sens que les Grecs.
La polis n'est pas une communauté économique, au contraire : elle naît quand on peut s'affranchir de la contrainte économique etdisposer de loisirs.
Ainsi les esclaves ne sont-ils pas citoyens, ainsi le statut des artisans est-il difficile (Aristote dit qu'ils sont en « esclavage limité »).
Le travail est ressenti comme une nécessité (vitale, économique) et la « polis » est un lieu de liberté. Enfin Aristote polémique avec Platon. Pour ce dernier, les liens d'autorité sont les mêmes pour le chef de famille, le chef politique, le maître d'esclaves.
Ces types de gouvernement ne différent que par le nombre d'individus sur lesquels ils s'exercent.
Or, Aristote restitue des différences,selon que l'autorité s'exerce sur un être déficient, comme est censé l'être l'esclave, des êtres libres mais inférieurs comme le seraient la femme etl'enfant, ou encore entre égaux, ce qui est le cas proprement politique.Le pouvoir politique s'exerce donc au sein d'hommes libres et égaux.
Par suite, il n'a aucune mesure avec le pouvoir paternel.
Dans unecommunauté politique, nul ne peut se prévaloir d'une supériorité de nature pour gouverner : ainsi chaque individu sera-t-il alternativementgouvernant et gouverné.
L'idéal de la « polis » exige que chacun puisse, en tant qu'homme libre, égal aux autres, prétendre au pouvoir pour un laps de temps déterminé.Les modernes renieront, en un sens, l'enseignement d'Aristote, en faisant de l'individu souverain un être autonome, indépendant, capable dedécider pour lui-même de ses actions.
Toute la tradition politique dont notre monde est issu rejettera l'idée que : « La cité est antérieure à chacun de nous pris individuellement. » Transition : Mais n'est-ce pas un mythe créé par les faits que cette thèse d'après laquelle l'homme se réaliserait dans la société ? Le fait social est second, à l'état de nature, l'homme vit solitaire.
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