Peut-on avoir raison de prendre ses désirs pour des réalités ?
Publié le 08/03/2009
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« Ne prend pas tes désirs pour des réalités «, a-t-on coutume de conseiller à une personne idéaliste, ou excessivement optimiste, qui croit que le fait de désirer peut avoir un pouvoir performatif, c’est-à-dire le pouvoir de réaliser effectivement une chose seulement formulée dans un souhait. Certes, le désir est un moteur d’action efficace, et c’est parce que l’homme est un être de désir qu’il agit, et accomplit de grandes œuvres. Toutefois, le désir par définition, est ce qui n’est pas encore la réalité, car il n’est qu’une projection dans le futur d’évènements imaginés. On ne désire jamais la réalité effective, déjà donnée, mais au contraire, on désire ce que l’on ne possède pas. Désir et réalité semblent alors absolument incompatibles, car sitôt que le désir se réalise dans la réalité, il n’est plus désir. Que signifie alors le fait de « prendre ses désirs pour la réalité « ? Plusieurs sens peuvent être donnés à cette formulation, et c’est à travers leur étude que nous chercherons à comprendre l’intérêt de prendre ses désirs pour la réalité.
- 1ère partie : « Prendre ses désirs pour la réalité « : le danger d’une confusion égarante.
- 2ème partie : Une conception positive du désir : un moteur d’action qui détermine notre volonté.
- 3ème partie : On ne peut faire autrement que de prendre nos désirs pour des réalités.
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« Car ce n'est pas assez, avant de recommencer à rebâtir le logis où l'on demeure, que de l'abattre […] il faut aussi s'être pourvude quelque autre où o puisse être logé commodément pendant le temps qu'on y travaillera. » Pendant que le doute m'oblige à n'admettre aucun principe, comment vais-je vivre, et vivre au milieu des autres, sur quels principes vais-je régler mes actes, moi qui rejette tous les principes ? Sur quels critères vais-je choisir d'agir, pendant que jedoute de tout ? La démarche intellectuelle de Descartes l'oblige à être irrésolu en ses jugements, de tout passer au crible du doute, mais « les actions de la vie ne souffrent aucun délai .
» « Ainsi, afin que je ne demeurasse point irrésolu en mes actions pendant que la raison m'obligerait de l'être en mes jugements, etque je ne laissasse pas de vivre dès lors aussi heureusement que je pourrais, je formais une morale par provision. » La morale par provision consiste à se donner des règles d'action, temporaires et révisables, pour vivre et agir de façon décidée etrésolue, alors même que le doute me contraint à ne rien admettre pour vrai.
On est là à un moment très particulier de la démarchecartésienne ; un moment où le divorce est possible entre raison & action.
Ce qui prime dans l'ordre de la connaissance c'est lavérité.
Et elle impose le doute, la patience, la circonspection.
Ce qui prime dans l'action, c'est la résolution, c'est de savoirprendre partie s'y tenir face à l'urgence de la vie.
La morale par provision ne correspond qu'à un moment précis de la vie : celuioù j'entreprends une réforme intellectuelle totale alors même qu'il me faut continuer à agir.Elle est nécessaire au moment où mes actes ne peuvent pas encore parfaitement correspondre à la vérité, et ceci parce que jecherche une vérité que je n'ai pas encore atteinte.
Les règles de la morale par provision ou « morale provisoire » sont donc par essence révisables, et Descartes récrira une morale une fois sa métaphysique et sa physique fondées.
Pour l'instant, il s'agit de se donner les maximes les plus prudentes et les plus aptes à m'assurer le contentement, alors même que je ne dispose d'aucunprincipe ferme pour guider mon action.
Si l'on reprend la métaphore de Descartes , elles correspondent à cette maison dans laquelle j'habite temporairement, pendant que je reconstruis mon palais.La première maxime de Descartes recommande un conformisme extérieur : puisque rien ne me dit quelles mœurs ou quelle religion adopter en toute connaissance de cause, autant m'en tenir à celles de mon pays.
Ce conformisme n'est que la façade etn'implique aucune adhésion intérieure.
La seconde maxime consiste en un usage ferme et constant de la volonté ; une fois unedécision prise, il ne faut pas en démordre.
Si je me perds en forêt, il me faudra bien choisir, fut-ce au hasard, une direction, et sije veux ne pas m'égarer complètement, m'y tenir.La troisième maxime est : « de tâcher toujours plutôt à me vaincre que la fortune et à changer mes désirs plutôt que l'ordre du monde ».
Descartes affirme que cette règle est aussi facile à comprendre que difficile à appliquer.
En fait, il s'agit là d'une maxime d'inspiration stoïcienne, quasi directement recopiée d' Epictète , et qui nous invite à faire le départage entre : · d'une part ce qui dépend de nous, ce sur quoi nous avons un pouvoir ; · d'autre part ce qui ne dépend pas de nous, et dont nous devons nous exercer à ce qu'il ne nous touche en aucune façon. Le but que poursuivent les stoïciens, et Descartes ici, est de nous rendre les plus indépendants possibles des coups du sort, d'assurer au sujet la plus grande autonomie possible.
Or pour cela il faut NOUS vaincre, plutôt que de nous en prendre à lafortune (au mode, au hasard) et changer nos désirs plutôt que de sombrer dans l'illusion de remodeler le mode suivant nosprojets.
Comme le déclare Epictète : « Ce n'est pas en satisfaisant nos désirs que l'on se fait libre, mais en détruisant les désirs. » On voit ici naître l'opposition entre le sujet et la fortune, ses désirs et le monde.
En fait, il faut d'abord savoir faire la différenceentre ce qui dépend de nous et ce qui n'en dépend pas, compter nos propres forces, et les mesurer à celles du monde qui nousfait face.Ce qui m'appartient en propre et sur quoi j'ai un pouvoir, c'est moi-même, mes désirs, mes pensées, l'initiative de mes actes.Par contre, les choses extérieures, ce qui prend pour moi la forme du hasard, l'action des autres, les conséquences de mes actes,tout cela échappe à mon contrôle, dépasse mon pouvoir.Or, aussi évident que cela paraisse, les hommes n'ont pas conscience de cette opposition.
Comme le fait remarquer Descartes , nous ne désirons que ce qui nous semble possible.
Seuls les fous, c'est-à-dire ceux dont la raison est égarée, voudraient avoir descorps de diamant ou des ailes pour voler.
De même, je ne désire pas devenir roi du Mexique, parce que j'ai clairementconscience que cela est impossible.
Par suite je ne souffre pas de ne pas pouvoir accéder à la royauté.
Comment se fait-il alorsque je désire être en bonne santé étant malade, ou libre étant en prison ? C'est que je continue à croire possible la santé et laliberté qui ne dépendent pas entièrement de moi.
Je souffre donc inutilement, dans la mesure où je ne comprends pas que ce queje désire est en fait impossible et hors de mon pouvoir.C'est pourquoi Descartes déclare qu'il lui a fallu : « [s'] accoutumer à croire qu'il n'y a rien qui soit entièrement en notre pouvoir que nos pensées, en sorte qu'après que nous avons fait de notre mieux, touchant les choses qui nous sont extérieures, tout ce quimanque de nous réussir est, au regard de nous, absolument impossible. »
Une fois que j'ai fait au mieux, par exemple, que j'ai adopté toutes les règles d'une vie saine, si mon objectif n'est pas atteint, lasanté, je dois considérer qu'il n'était absolument pas possible de l'atteindre.
Cela n'était pas en mon pouvoir.
Je ne suis pas.
»
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