Peut-on avoir raison contre les faits .
Publié le 10/02/2013
Extrait du document
«
a donc premièrement une simple impossibilité logique à avoir raison contre les faits,
la vérité étant au contraire ce qui s’y conforme.
Au-delà même du seul domaine de la science, vouloir avoir raison contre les faits
semble donc constituer un projet déraisonnable.
Au contraire, la modération et la
raison nous apprennent qu’il vaut mieux « changer ses désirs plutôt que l’ordre du
monde » comme le dit Descartes dans le Discours de la méthode.
L’homme
raisonnable n’est pas celui qui perd son énergie à désirer ce qu’il lui est impossible
d’obtenir et à vouloir avoir raison contre les faits, mais au contraire celui qui prend
son parti de ce qu’est le réel.
Chercher à l’emporter contre les faits semble donc simultanément absurde et
déraisonnable : les faits sont les garants de la vérité et celle-ci n’a de sens que dans
la mesure où elle s’y tient pour essayer de les décrire et de les comprendre.
Toutefois, peut-il y avoir un consensus absolu sur ce que sont les faits ? Le fait que
la Terre soit plate était, justement, un fait, avant de ne plus en être un.
Parce qu’ils
nous sont donnés à travers l’expérience et la perception, les faits ne peuvent-ils donc
pas faire l’objet d’une discussion ?
Partie II
« Mais l’expérience est, elle, soumise à interprétation »
Sans doute les faits sont-ils indiscutables, mais encore faut-il les établir comme
tels.
Ils ne se donnent en effet pas à nous immédiatement mais via ce que nous
percevons.
Or, dans cette expérience, se trouve la possibilité d’une erreur ou d’une
illusion – qui nous autorise à discuter les faits et même à nous en méfier.
S’en tenir
aux faits, c’est en effet prendre l’expérience pour argent comptant.
Or, celle-ci peut
être trompeuse.
Ce que nous percevons n’est pas conforme à ce qui est et toute la
recherche scientifique consiste précisément à réconcilier les deux.
Comme nous
l’avons dit, ce que nous expérimentons, c’est d’abord que la Terre est plate.
Pire,
nous continuons à la percevoir ainsi, même quand nous savons qu’elle est ronde.
Si
nous entendons par fait l’expérience immédiate que nous avons du réel, alors celle-ci
doit être interprétée.
Nous pouvons la contester et avoir raison contre elle : non, la
Terre n’est pas plate ; non, ce n’est pas le Soleil qui tourne autour de la Terre.
Cette
méfiance à l’égard de l’expérience est illustrée par l’allégorie de la caverne : s’en
tenir aux faits, cela reviendrait à rester dans le monde des ombres et des illusions
des prisonniers de l’allégorie de la République de Platon, quand la réalité est à
l’extérieur de la caverne.
Ainsi, l’expérience est trompeuse et les faits ne sont pas
des évidences.
Ils doivent être établis par l’analyse de nos perceptions.
Il est alors
possible d’avoir raison contre une expérience trompeuse.
Chercher ainsi à discuter avec les faits pour les dominer n’est-ce pas même la
condition de notre liberté ? Le progrès scientifique, par exemple, ne consiste-t-il pas
à faire mentir la réalité : le caractère incurable de certaines maladies, les obstacles
de la pesanteur, autant de faits qu’il a bien fallu discuter pour parvenir à les dépasser.
Notre liberté semble donc résider dans notre capacité à avoir raison contre les faits.
Cela n’est d’ailleurs pas seulement le propre de la science mais concerne aussi la
morale.
Avoir raison, cela signifie aussi utiliser sa raison, se montrer raisonnable.
Or,
la condition n’en est-elle pas que nous ne nous laissions pas dominer par les faits ?
La liberté et la vertu consistent en effet à ne pas nous laisser dicter notre conduite
par la réalité mais, au contraire, à essayer d’imposer aux faits ce que notre raison
nous dicte.
L’homme libre ne laisse pas les faits le déterminer mais les domine par la
force de sa raison.
Il ne ment pas, même lorsque les circonstances l’y incitent,.
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