Peut-on apprendre à juger de la beauté ?
Publié le 05/11/2020
Extrait du document
«
2.
Ce qui p eut être acquis, c’est un certain usage des sens et un certain sens de la
représentation : voir peut n’être que visionner (anglicisme visualiser), mais l’on peut aussi
apprendre à regarder (les nuances au -delà des couleurs, les tons au -delà des sons, les h ommes
derrière les masques, etc.) ; à la manière où l ’artiste œuvre à se fa ire voyant (Rimbaud, Lettres
au voyant ; Klee : « l’art ne cherche pas à faire voir mais rend visible »).
Hume, De la norme du go ût : « la délicatesse de l ’imagination nécessaire à ces émotions si
raffinées »
Ce qui peut être acquis, c ’est également l ’aisance à savoir rendre compte de la beauté ,
l’aisance à pouvoir défendre (argumenter, justifier) son point de vue : éloquence .
Rôle des
critiques d ’art, savoir des initiés et pouvoir de la critique .
W ittgenstein, Leçons et conversations , I, § 17 : « dans ce que nous appelons les arts, celui
qui a du jugement développe ».
3.
L’artiste, créateur de belles choses, serviteur et messager du beau : ce qui relève de
l’acquis, ce qui relève du génie ; ce q ui relève de la pratique, ce qui relève de l ’inspiration ; ce
qui relève de l’artisanat, ce qui relève de l’art .
Kant, CFJ , § 46 « Les beau x-arts sont les arts du génie » (texte distribué en classe)
L’objet artisan al épuise tout son sens dans sa fonction : il existe pour quelque chose et
une chose en particulier, se caractérise par son usage, son utilité, même l’agrément qu’il peut
procurer (arts d’agrément ou « mineurs ») ; par ailleurs, l’artisan suit un processus bien
réfléchi, a une idée bien précise, bien construite de ce qu’il va fabriquer. Par opposition,
l’objet artistique demeure riche de sens, de significations, par -delà les frontières, les époques :
il n’a pas de fonctions particulières voire se caractérise souvent par son inutilité ; sa présence
physique ou sa possession n’ap portent rien aux émotions qui nous saisissent, au x sentiments
qui naissent en nous et aux pensé es, aux réflexions auxquelles nous pouvons nous abandonner
quand nous nous le représent ons .
III .
À quelle prétention répondons -nous en nous faisant juge du beau, de quel
droit nous faisons -nous juge du goût ?
1.
La beauté naturelle, l ’artiste ou l’œuvre d’art p arle nt à ce qu’il y a d’humain en
nous, à l a fois imagination et réflexion, sensibilité et pensée , sen timent et raison .
L’é ducation
au Beau réveille en nous notre humanité : nous prétendons tous avoir du goût lorsque nous
jugeons qu’une chose est belle et même nous souffrons, nous nous sentons humiliés lorsque
notre goût est remis en cause : c’est comme si nous avions besoin de l’approbation des autres
hommes au nom du Beau, comme si la Beauté résonnait en chacun de nous et faisait raisonner
chacun de nous. La Beauté semble à chaque fois nous rappeler une réalité perdue , celle d ’une
unité dans l ’humanité .
Platon, Banquet , « mythe des androgynes »
2.
Forme particulière du jugement de goût : j ugement esthétique réfléchissant , dont le
principe régulateur est une Idée, un co ncept rationnel inapplica ble empiriquement. Quand on
se prononce sur le Beau, l’on parle également au nom des autres, l’on porte un jugement qui
co ncerne l ’humanité .
Kant, CFJ , §7 : « [Quelqu’un] ne doit pas appeler beau ce qui ne plaît qu’à lui.
(… ) lorsqu’il
dit qu’une chose est bell e, il attribue aux autres la même satisfaction ; il ne juge pas seulement.
»
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