Peut-il exister des désirs naturels ?
Publié le 18/12/2012
Extrait du document
«
de ce qui est agréable ou douloureux, est un guide qui ne saurait nous égarer et
qu’il suffit de suivre sans s’en écarter.
De ce point de vue, les animaux sont nos
modèles : ils nous donnent à voir ce qu’est une vie orientée par la sensation
immédiate du plaisant et du déplaisant ; seulement, à la différence des animaux,
les hommes possèdent un esprit, et une imagination.
L’esprit les rend capable
d’avoir des notions abstraites, qui doivent provenir des sensations pour être
vraies.
Par l’imagination en revanche, l’homme devient capable de se projeter
hors de l’instant présent, c’est -à -dire hors du temps de la sensation ; de là vient
qu’il peut s’égarer, et poursuivre un bien tout sauf véritable.
P arce qu’il n’écoute
pas seulement ce que la sensation lui dit, l’homme est capable de désirer quelque
chose d’en fait déplaisant : alors que le plaisir est univoque pour Épicure (il n’y a
pas plusieurs genres de plaisirs), le désir devient avec l’homme qualitativement
différencié.
Il y a d’un côté les désirs naturels, ceux qui on t la sensation pour
principe, et qui nous font désirer ce qui est en soi désirable, à savoir le plaisir.
Et
il y a les désirs qui ne sont pas naturels, parce qu’ils ne proviennent pas de la
sensation, mais de l’imagination – et ceux -là suffisent à faire no tre malheur.
Les désirs non naturels proviennent -ils de l’imagination ? Ainsi, et
contrairement à tous les animaux, l’homme est capable d’imaginer sa propre
mort, d’imaginer ce qu’il pourrait par après advenir de son corps, et de son âme.
L’idée de son cadavre laissé en pâture aux bêtes fauves l’horrifie ; la
représentation d’un châtiment divin outre -tombe le plonge dans la terreur.
De ces
peurs nées de l’imagination proviennent à leur tour des désirs corrompus, au
premier chef desquels les passions soci ales : je veux la gloire ou la célébrité, pour
qu’il reste quelque chose de moi après ma mort, pour être certain également
qu’on rendra à mon corps les derniers honneurs.
C’est ainsi que la crainte de la
mort rend possible une société ne se fondant plus sur le plaisir évident de
l’amitié, mais sur la lutte et la rivalité de chacun contre tous.
Le désir de gloire ou
de richesse est donc pour Épicure l’exemple même d’un désir à la fois non
naturel, et non nécessaire : si la mort est effectivement destruction de toute
sensation, alors elle n’est pas à craindre et elle ne fera pas mal ; s’il n’y a rien
dans la nature que du vide et des atomes, alors la mort vient dénouer le lien qui
unit les particules composant mon corps aussi bien que mon âme (laquelle est la
première à en être détruite), en sorte qu’il ne restera absolument rien de moi.
La
crainte de la mort est une crainte imaginaire et déraisonnable qui nous pousse à
faire des choses elles -mêmes folles et déraisonnables : les désirs provenant de
l’imaginatio n sont par définition illimités, puisqu’ils se fondent sur une peur
qu’ils sont impuissants à dissiper (c’est parce que j’ai peur de mourir que je veux
être célèbre, sans comprendre que je ne serai jamais assez célèbre pour cesser
d’avoir peur de mourir).
Comme ces désirs sont illimités, ils ne peuvent être
satisfaits : quelque gloire qui me soit reconnue, quelque argent que je possède,
cela ne suffira pas à apaiser des angoisses pourtant simples à faire taire – il suffit
d’en revenir à la sensation, et de s’en tenir au temps du plaisir présent.
La satisfaction des désirs naturels est -elle source de plaisir ? Boire un verre
d’eau lorsqu’on a soif, manger une figue lorsqu’on a faim, converser avec un
ami : voilà autant de plaisirs qui n’en sont que plus rée ls, d’être faciles à obtenir..
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