Personne, personnage, personnalité. Texte de Montaigne.
Publié le 04/01/2020
Extrait du document
La plupart de nos vacations*[*fonctions, occupations] sont farcesques*[*dignes de la comédie]. « Mundus universus exercet histrionam »* [*« Le monde entier joue la comédie » (Pétrone, écrivain satirique latin)]. Il faut jouer dûment notre rôle, mais comme rôle d’un personnage emprunté. Du masque et de l’apparence il ne faut pas faire une essence réelle, ni de l’étranger le propre*[*ni faire de ce qui nous est étranger ce qui nous appartient en propre]. Nous ne savons pas distinguer la peau de la chemise. C’est assez de s’enfariner*[*se maquiller] le visage, sans s’enfariner la poitrine*[*le coeur]. J’en vois qui se transforment et se transsubstantient*[*terme religieux qui désigne la transformation du pain et du vin en corps et sang du Christ ; Montaigne veut dire ici que certains changent totalement leur être en un autre] en autant de nouvelles figures et de nouveaux êtres qu’ils entreprennent de charges ; et qui se prélatent*[*se prélassent, prennent une attitude satisfaite] jusqu’au foie et aux intestins et entretiennent leur office*[*ils gardent l’attitude voulue par leur fonction] jusqu’en leur garde-robe*[*pièce où l’on se change]....Ils enflent et grossissent leur âme et leur discours naturel à la hauteur de leur siège magistral. Le maire et Montaigne ont toujours été deux, d’une séparation bien claire. Pour être avocat et financier, il n’en faut pas méconnaître la fourbe*[*la fourberie] qu’il y a en telles vocation. Un honnête homme n’est pas comptable du vice ou sottise de son métier, et ne doit pourtant en refuser l’exercice ; c’est l’usage de son pays, et il y a du profit. Il faut vivre du monde et s’en prévaloir tel qu’on le trouve. Mais le jugement d’un empereur doit être au-dessus de son empire, et le voir et considérer comme accident étranger ; et lui, doit savoir jouir de soi à part et se communiquer comme Jacques et Pierre, au moins à soi-même.
Je ne sais pas m’engager si profondément et si entier. Quand ma volonté me donne à un parti, ce n’est pas d’une si violente obligation que mon entendement s’en infecte. Aux présents brouillis de cet état*[*situation confuse des guerres civiles] mon intérêt ne m’a fait méconnaître ni les qualités louables en nos adversaires, ni celles qui sont reprochables en ceux que j’ai suivis
Montaigne, Essais, I, 28 (orthographe modernisée)
Texte découpé
1. La plupart de nos vacations [...] la chemise.
2. Le Maire [...] du profit.
3. Il faut vivre [...] à soi-même.
1. La farce sociale
Chacun joue une rôle dans la comédie sociale. La « comédie humaine », pour reprendre le titre de Balzac, ne doit pas nous faire oublier qu’un rôle n’est qu’ey/z-prunté, c’est-à-dire artificiel, étranger à nous-même. En une suite de métaphores, Montaigne déploie cette distinction. Mais les nuances donnent tout son sens à sa pensée. Nos « vacations », c’est-à-dire nos occupations et fonctions sociales, sont pour « la plupart » farcesques : donc certaines ne le sont pas. Cela permet d’entendre que nous pouvons aussi être nous-même, mais que ce n’est le cas que dans une faible partie de nos actions. Si cette nuance n’y était pas, la vision de Montaigne serait non seulement excessive, mais très pessimiste, ôterait tout espoir de pouvoir être soi-même face aux autres. Il s’agit donc de savoir de quoi il veut parler.
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