Perdre son temps est-il une perte ?
Publié le 22/02/2012
Extrait du document
«
1.
Celui-ci est parfois créateur d'une essence économique, sinon d'une dimension existentielle et d'un sens.
au temps, lequel est projet et valeur.
Ce que je perds, quand je perds mon temps, n'est-ce point, au-delà de toute production économique, le sens de ma vie comme projet et comme oeuvre ?
Revenons, une fois de plus, sur le sens de l'expression « perdre son temps ».
Ce peut être vivre oisif, dans le divertissement ou la jouissance immédiate.
Mais ce peut être aussi en rester à la sphère de la banalité quotidienne, de la stérilité, de l'insignifiance, du convenu, du morne.
Cette sphère où le temps passe et se perd en même temps, Albert Camus nous la donne à voir dans Le mythe de Sisyphe.
« Lever, tramway, quatre heures de bureau et d'usine, repas, tramway, quatre heures de travail, repas, sommeil et lundi mardi mercredi jeudi vendredi et samedi sur le même rythme, cette route se suit aisément la plupart dutemps.
» (Camus, Le mythe de Sisyphe, p.
29, Folio-Essais, Gallimard).
Tel est le temps du répétitif et du semblable qui porte bien des hommes en ce monde, temps où le vrai projet, constitutif du temps actif, manque en touspoints.
Bien des penseurs traquent ce temps où je me perds et m'égare.
Si nous approfondissons la notion dudivertissement, déjà citée plusieurs fois, nous remarquerons que le temps où je me perds est bien celui dudivertissement, au sens ultime du terme, conçu comme ce qui me dissimule mon être, mon destin et mes valeurs.Ainsi, au-delà du problème économique, surgit une « pénurie » de sens, se manifeste un vide éthique.
Dans le temps de la banalité et du divertissement, perdre son temps, c'est oublier le projet créateur.
Qu'est-ceque j'égare alors, en ce temps de l'insignifiance ? Je mets à distance ce projet essentiel qui donne sens à ma vie.Décrivons, en effet, ce qui se donne, immédiatement, dans l'expérience de celui qui perd son temps et s'immergedans l'insignifiance d'un vécu inauthentique.
Il existe au niveau de la « banalité quotidienne il se décharge du souci de son être.
Il égare sa vraie durée, authentique, et existe dans la frivolité ou la facilité, sur le mode du « on »,comme dit Heidegger.
Entièrement absorbé par cette banalité », accaparé par elle, ne se déterminant plus de façon personnelle, il se dessaisit, dans ce temps mort, de son véritable temps, proprement humain : il perd cette durée vraie et, se réfugiant dans l'équivoque ou le banal, n'accède pas au temps dynamique du projet humain setranscendant vers des valeurs et se créant.
Qu'est-ce que je perds quand je perds mon temps, dans la banalité et l'insignifiance ? J'échappe à masituation de projet, à mon existence comme conscience, se donnant rendez-vous, vers l'avenir et les possibles.
En ce temps qui s'écoule et se perd, mon projet et mon oeuvre n'accèdent à nul être.
Perdreson temps, c'est perdre l'action et, en cet oubli, échapper à soi-même et à la formation de soi-même.Ainsi disparaît la forme même de ma vie (authentique).
Dessaisissement irrémédiable, qui projette toute mon existence vers le non-sens.
Mais cette perte de projet et de l'oeuvre n'est-elle pas elle-même le signe d'autre chose, le symbole d'unautre échappement, beaucoup plus dramatique ? Au-delà d'une perte économique, au-delà d'une pertede sens, quelle réalité ainsi s'enfuit ?
C) La perte de la personne et de l'éternité.
Ce qui s'égare, n'est-ce pas finalement, quelque chose d'infiniment précieux, de l'ordre de la personnemétaphysique et de l'éternité, de l'ordre de l'être ?
Perdre son temps, avons-nous vu, c'est égarer le projet unifiant et porteur de valeurs par lequel nousdonnons sens à notre vie, c'est s'oublier dans un temps banal et, en cet oubli, écarter la forme vivantede l'action et du souci humain.
Dès lors, au-delà de nos projets donateurs de sens, n'est-ce point la finepointe de la personne, qui n'advient point à l'acte ? La personne (morale et aussi métaphysique), c'est,en effet, cette forme ténue, où j'expérimente que je suis créateur de moi-même, ordonné à unensemble non seulement moral, mais métaphysique.
S'égarer dans une quotidienneté stérile et un temps insignifiant et banal, n'est-ce pas oublier cettepointe ténue qu'est la personne, sujet éthique, mais aussi sujet quasi métaphysique ?
Perdre son temps, c'est perdre sa personne, conçue comme être raisonnable et sujet.
Mais perdre son temps,n'est-ce pas aussi écarter cette éternité que symbolise le temps ? Il est grave et même dramatique de perdre sontemps car, comme l'a montré Kierkegaard, l'instant est un atome d'éternité.
Aussi dois-je le garderprécieusement, ne point l'égarer dans la banalité.
Perdre son temps, c'est perdre son âme et l'éternité qui lui estliée.
L'homme, écrit Kierkegaard, est une synthèse d'âme et de corps ; mais il est en même temps une synthèse du temporel et de l'éternel [...] l'instant [...] est le premier reflet de l'éternité dans le temps [...] l'instant est cetambigu où le temps et l'éternité sont en contact, posant ainsi le concept de temporalité où le temps interromptconstamment l'éternité et où l'éternité pénètre sans cesse le temps.
(Le concept d'angoisse, chap.
III.)
Si le temps est pénétré par l'éternité, le perdre et l'égarer en quelque fausse image, en un étalement banal, c'estdonc perdre la pointe extrême de l'éternité.
Ne faisons pas passer le temps ! Prenons-le, au contraire, totalement au sérieux, sous peine d'égarer l'être et l'éternité.
Perdre son temps, c'est manquer son Destin, sa Personne et sonÊtre.
Conclusion.
»
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