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Pensez-vous que, selon la formule d'Aristote, l'art soit "imitation de la nature" ?

Publié le 15/08/2009

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Pensez-vous que, selon la formule d'Aristote, l'art soit "imitation de la nature" ? ?

Tel qu'il se présente, le sujet recèle plusieurs séries de difficultés. La première série est liée à la formulation même. Le risque est grand de voir des candidates et des candidats, hypnotisés par l'expression « pensez-vous que «, se hâter de vouloir apporter une réponse à la question sans même avoir pris le soin de réfléchir sur les termes du sujet. La seconde série de difficultés émane justement de l'ambiguïté des concepts d’« art «, d’«imitation « et de « nature «. Il faut absolument affronter cette ambiguïté si l'on veut avoir une chance de saisir tous les aspects de la formule  d'Aristote. A ce propos nous faisons remarquer qu'il serait judicieux, avant même d'entreprendre l'analyse des trois termes fondamentaux, de se demander pourquoi le mot « formule « est ici employé de préférence à d'autres mots comme « phrase «, « pensée «, « parole «, etc. La troisième série de difficultés concernant le sujet vient de ce que celui-ci est une question qui, selon les classifications habituelles, appartient au domaine de l'esthétique. Or en ce domaine - notons au passage que les termes « domaine « et « esthétique « appelleraient eux-mêmes bien des questions -, les élèves ont souvent tendance à confondre dissertation et verbiage. Il faut donc que les affirmations soient étayées par un savoir réel (ce qui ne signifie pas une érudition vide ou un éclectisme mondain).

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« vigoureusement attaquées par Durkheim, son « éminent adversaire » (Tarde, les Lois sociales, Alcan, p.

142).

Tardes'efforce de découvrir, selon le titre même d'un de ses ouvrages, les « lois de l'imitation ».

Il établit, par exemple,que l'imitation va non seulement du dedans au-dehors ou de l'intérieur à l'extérieur, mais aussi du supérieur àl'inférieur.

Cependant, contrairement à ce que l'on dit parfois, l'imitation pour Tarde ne recouvre pas l'ensemble de laréalité sociale.

« Je ne dis pas que l'imitation soit toute la réalité sociale; elle n'est qu'une expression de lasympathie qui lui préexiste et qu'elle redouble en l'exprimant; et elle dépend de l'invention, étincelle dont elle n'estque le rayonnement.

» (Les Transformations du Droit, Alcan, p.

170.) Revenons à présent à l'usage qui est fait dansla langue courante du mot imitation.

Là, le mot désigne fréquemment ce qui n'est pas vrai ou authentique, ce quin'est pas original, ce qui enfin n'est pas le produit d'une véritable création.

Ainsi, dans de nombreux cas, l'imitationest envisagée de façon négative.

Elle se présente alors sous un aspect péjoratif et dépréciatif.

Cet aspect seretrouve lorsque l'on passe de l'usage banal du mot « imitation » à son usage dans le domaine artistique.

Certes,quand on qualifiait la peinture d'art d'imitation, il n'y avait rien de péjoratif dans cette appellation aussi figéequ'imprécise.

Mais il arrive souvent qu'en art le mot « imitation » soit opposé au mot « création ».

L'imitation neserait, en définitive, qu'une reproduction, et imiter signifierait non pas produire une oeuvre originale, mais bien plutôtreproduire celle-ci et, à la limite, la copier.

Que peut bien alors vouloir dire Aristote quand il déclare que l'art est «imitation de la nature »? Veut-il dire que l'art se bornerait à copier la nature? Veut-il au contraire dire tout autrechose, et dans ce cas de quoi s'agit-il?Pour faire face à ces interrogations, nous devons au préalable éclaircir le sens des concepts d'art et de nature.

Iln'est d'ailleurs pas tant question, au cours de cette première approche, de prétendre définir une fois pour toutesces deux concepts que d'éviter tout malentendu à leur sujet.

Les malentendus possibles peuvent naître selon nousde l'oubli ou de la méconnaissance du sens originel des concepts d'art et de nature.

C'est ainsi qu'aujourd'hui, l'artsemble relever exclusivement de l'esthétique.

A peine est-ce si l'on remarque encore d'autres emplois du mot tantceux-ci se trouvent cantonnés dans des expressions bien précises telles que « l'art et la manière », « les arts etmétiers », « l'art de la guerre » ou « l'art d'aimer ».

Point n'est besoin cependant d'une longue analyse de certainesde ces expressions pour s'apercevoir que le mot « art » renvoie plus ici à une technique, ou mieux à un savoir-faire,qu'à une création d'ordre esthétique.

Or, en grec, le mot technè [prononcer : teknè], d'où vient, notons-le aupassage, le mot français « technique », désigne, pour dire les choses globalement, tout autant l'art que le métier.Le mot technè possède donc un sens strict qui, si l'on veut, correspond au sens actuel du mot français « art », etun sens large qui s'est perdu.

C'est de quelque part au fond de la perte de ce sens large que provient le mot «technique ».

Le technitès, c'est, en grec, soit l'artiste, soit l'artisan.

Cela ne revient d'ailleurs pas à dire que lesGrecs ne faisaient aucune différence entre les deux.

Remarquons que, d'une façon générale, l'on a pris l'habitude derendre en français par « art » le mot grec technè, et le mot latin ars.

Disons pour l'instant - sans préjuger desdifférences énormes qui séparent non seulement le monde grec du monde romain, mais encore celui-ci du mondechrétien du Moyen Age dont la langue de la pensée était le latin - qu'aussi bien en grec qu'en latin technè et arsdésignent bien ce que nous appelons aujourd'hui l'art, mais ne désignent pas, tant s'en faut, que cela.

Il importedonc de percevoir qu'une interprétation restrictive du mot art, c'est-à-dire une interprétation dans la seuleperspective esthétique, risque fort de nous faire manquer la signification profonde de la parole d'Aristote.

La technèest assurément un savoir-faire, mais c'est encore plus profondément un savoir.

C'est même un savoir spécifiquementhumain, savoir qui, chez l'artisan, porte sur tel ou tel ustensile, et chez l'artiste sur telle ou telle oeuvre.

Maisl'artiste et l'artisan ne font surgir quelque chose qu'au sein et sur la base de tout ce qui est, c'est-à-dire de lanature ou physis [prononcer : phusis].Ainsi, tout comme le mot « art », le mot « nature » doit donc attirer notre vigilance.

Car il se pourrait bien que cequ'Aristote appelle physis (ou saint Thomas natura) ne renvoie pas exactement à l'idée que l'on se fait à notreépoque de la nature.

Même si là encore la différence entre le grec physis et le latin natura (et qui plus est ici unlatin christianisé), est beaucoup plus celle de deux mondes ou de deux traditions que celles de deux mots, il n'enreste pas moins vrai que, dans les deux cas, il y a un grand décalage par rapport à la pensée moderne etcontemporaine, celle qui s'ouvre avec Descartes et qui voit les hommes « se rendre comme maîtres et possesseursde la nature » (Discours de la Méthode, sixième partie).

Pour les Grecs, un tel projet de domination de la nature esttotalement dépourvu de sens, et même impossible à concevoir.

La nature (physis), pour eux, c'est, pour dire leschoses simplement, l'épanouissement de tout ce qui est.

En d'autres termes, c'est ce qui, à partir de son fond abritéen retrait, se donne à voir en une éclosion qui embrasse les hommes aussi bien que les dieux.

Quant à la natura auMoyen Age, c'est essentiellement l'oeuvre de Dieu.

Dans ces conditions, il n'est pas difficile de comprendre que lacréation artistique, par exemple, va se trouver confrontée au modèle que lui propose le Créateur.Il nous apparaît ainsi que la parole d'Aristote que nous commentons, loin d'être une formule banale et éculée, recèlenon seulement des difficultés qu'il nous faut à présent dénombrer et affronter, mais aussi, et d'une façon indivisible,des richesses qu'il nous faut découvrir.

Pour ce faire, le mieux est encore de situer la phrase dans l'oeuvred'Aristote, c'est-à-dire de la restituer au site qui est le sien.

Demandons-nous, toutefois, avant d'entreprendrecette tâche, si le site aristotélicien lui-même ne réclame pas quelque chose comme un horizon.

Si oui, c'est vers cethorizon qu'il faut d'abord diriger nos regards.

La parole d'Aristote selon laquelle « l'art imite la nature » ne devient eneffet pleinement compréhensible que si l'on se souvient du rôle primordial que joue chez Platon le conceptd'imitation.

C'est donc avec Platon que doit débuter notre enquête.

Le concept platonicien d'imitation (mimèsis) se détache sur la toile de fond de la séparation du sensible et del'intelligible.

Le monde sensible (si l'on veut, le monde des sens) est instable, chatoyant et trompeur.

Son incessantécoulement faisant même dire à Platon qu'il s'agissait là d'un monde « morveux » qui ne possédait pas de réalité ensoi.

Le vrai monde, le lieu permanent et stable de la vérité, c'est le monde des idées ou monde intelligible.

Il n'estpas question pour nous d'insister sur cette séparation en deux mondes par laquelle débute la philosophie proprementdite, car cela nous entraînerait trop loin de notre sujet.

Contentons-nous de souligner l'importance qu'a revêtue etque revêt encore un tel événement qui est aussi l'avènement de la philosophie ou métaphysique.

Si nous. »

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