Penser, est-ce dire "non" ?
Publié le 08/03/2004
Extrait du document
- I) Penser c'est nier.
- II) Penser, c'est dire "OUI".
«
On notera que penser est une activité psychique volontaire (par opposition, par exemple, à rêver).
Dès que nousexerçons cette activité volontaire, en réalité, nous nous attaquons à une chose, nous la mettons en question, nousnions l'apparence selon laquelle elle se présente à nous.
Ainsi, lorsque nous pensons, nous paraissons d'abord dire «non ».
Cependant, nous avons reconnu l'existence de la chose à propos de laquelle nous pensons et, d'une certainemanière, nous l'affirmons.
Ainsi, penser se révèle dès le premier examen comme une activité psychique ambivalente.C'est cette ambivalence qui constitue le contenu de la question.Or, il est dit ici que « penser, c'est dire non », à savoir nier, refuser, dire que ne pas...
Il y a un paradoxe en ceténoncé.
Exercer une activité intellectuelle, ce serait, avant tout, refuser, ne pas adhérer, exercer un pouvoir denégation, ne pas affirmer.
Pourquoi donc cette liaison étonnante du jugement et de l'activité de la négation ? Ilfaudra éclairer cette paradoxale liaison.•Attachons-nous à cet énoncé plus ou moins énigmatique.
De l'affirmation (dire oui) ou de la négation (dire non),laquelle est première et décisive ? Réfléchir, ne serait-ce pas mettre à distance un « oui » primitif, une « crédulité »? Penser, n'est-ce pas, alors, douter ? Mais n'est-ce pas alors, dans ma capacité de non-adhésion que réside maliberté ? Liberté et pouvoir de négation sont-ils liés ? Voici le problème soulevé par la question.• Quel est l'enjeu de la question et du problème ? Si penser, c'est dire « non », nous saurons que notre tâchefondamentale consiste à nous dégager de tout dogmatisme, qu'il nous faut d'abord échapper aux adhésionsirréfléchies et à la crédulité : devoir impérieux, catégorique, universel.Discussion
A.
Penser, c'est dire « non »
Penser, c'est dire « non » : cette formule correspond à des expériences bien diversifiées.
À partir de trois ansjusqu'à cinq ans, l'enfant, par exemple, dit non, refuse, exerce donc, en un sens, un pouvoir de négation.
Peut-ondire alors que « penser, c'est dire non » ? Il y a là une première ébauche, sinon d'activité critique, tout au moinsd'affirmation de la personnalité.
Mais l'émergence de l'activité intellectuelle à traversle non est sans doute plus évidente chez l'adolescent qui critique les « valeurs établies » ou en prend le contrepied.Il y a, dans ce dernier cas, une attitude de négation, un « non », une capacité de refus, un pouvoir de « dire non »permettant, au-delà de tout « négativisme » pur et simple, de faire émerger éventuellement une activité critique.Mais cette émergence doit être creusée et approfondie.
Pourquoi penser et « dire non » sont-ils, par moments, siproches ? Pourquoi le second acte (dire non) prépare-t-il ou rend-il possible le premier (penser) ? Parce que notreattitude première est caractérisée par la crédulité, une crédulité première et immédiate.
Se produit une adhésion(non réfléchie) à l'objet, croyance antérieure au doute, une tendance à adhérer sans critique au réel.
Or,l'expérience de la négation est ici décisive.
Penser, c'est dire non, mettre à distance les évidences trompeuses,dépasser l'immédiat, échapper aux vertiges de l'immédiateté, se dégager des divers dogmatismes et donc manifesterainsi l'activité de penser, dégager l'authentique jugement dans son initiative spirituelle.
Quel exemple donner ? Ledoute cartésien consiste bien à « dire non », à mettre à distance les illusions, et, en cette mise à distance, àinstaurer la réflexion et la pensée.
Le doute méthodique, qui se caractérise par la mise à l'épreuve de tout ce qu'ona admis antérieurement afin d'établir la vérité sur des bases inébranlables, permet de rompre le contact et de faireainsi l'expérience du cogito.
Le doute est un effort pour dégager la force du jugement et de la pensée à travers lenon, la « négativité ».
Ébranlant le dogmatisme des sens, puis d'autres formes de dogmatismes plus générales,disant ainsi non aux diverses « crédulités » ou illusions, Descartes fait l'expérience de la pensée.
Penser, c'est direnon : « Je suppose donc que toutes les choses que je vois sont fausses ; je me persuade que rien n'a jamais été detout ce que ma mémoire remplie de mensonges me représente ; je pense n'avoir aucun sens, je crois que le corps, lafigure, l'étendue, le mouvement et le lieu ne sont que des fictions de mon esprit.
Qu'est-ce donc qui pourra êtreestimé véritable ? Peut-être rien autre chose, sinon qu'il n'y a rien au monde de certain [...].
Mais il y a un je nesais quel trompeur très puissant et très rusé, qui emploie toute son industrie à me tromper toujours.
Il n'y a doncpoint de doute que je suis, s'il me trompe ; et qu'il me trompe tant qu'il voudra, il ne saurait faire que je sois rien,tant que je penserai être quelque chose.
De sorte qu'après y avoir bien pensé, et avoir soigneusement examinétoutes choses, enfin qu'il faut conclure, et tenir pour constant que cette proposition : je suis, j'existe, estnécessairement vraie, toutes les fois que je la prononce, ou que je la conçois en mon esprit.
» (Descartes,Méditations métaphysiques, Méditation seconde).
Dans le doute, Descartes expérimente l'existence de la pensée.
Lecogito (le je pense) apparaît comme la première évidence au sein même de l'acte de douter (de dire non).
Dans larésistance à l'égard des données, Descartes prend conscience du moi, de la personne : cogito, ergo sum.
« Dire non» est la condition de toute affirmation de la pensée.Nous avons donné l'exemple de Descartes, mais celui de Nietzsche serait tout aussi valable : ce philosophe renverseles valeurs établies et il dit non.
Il procède d'abord à une critique de l'esprit moderne.
Avant d'affirmer, il nie.N'y a-t-il pas, toutefois, une certaine ambiguïté en ces analyses ? Penser, n'est-ce pas d'abord, fondamentalement,affirmer ?
B.
Penser, c'est dire oui (antithèse).
D'un strict point de vue cartésien, remarquons que notre thèse n'est pas si évidente, que penser, c'est peut-êtredire oui.
Mais au-delà de la perspective cartésienne, ne peut-on noter un lien très fort entre la pensée etl'affirmation ? Penser, n'est-ce pas d'abord dire oui, affirmer, mettre à distance le « non », le « négatif » ? « Direnon » a-t-il vraiment la valeur d'un instrument spirituel, permet-il de penser ?Revenons sur la démarche cartésienne.
Si nous poussons le doute jusqu'au bout, nous remarquons qu'il suppose unedouble affirmation : l'existence du cogito, mais, surtout, l'affirmation de Dieu.
Tout comme si une affirmationpremière, fondamentale, soutenait toute la pensée de Descartes.
Penser, ce n'est pas tellement « dire non » quedécouvrir ce Dieu qui fonde la science et donne sens à mon esprit fini.
Penser, c'est moins dire non qu'affirmer :.
»
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