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« Penser, c'est dire non ». Alain. Quel sens et quelle valeur accordez vous à ce jugement ?

Publié le 20/12/2012

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alain

Cette complaisance dans la négation est incarnée par la figure du sceptique. Le sceptique oppose son

doute à toute tentative de justification, et refuse chaque argument sous prétexte qu’on ne peut accéder à

aucune certitude. Partir de ce postulat constitue tout simplement le refus d’une échappatoire à

l’ignorance. En effet, dés lors qu’aucune certitude n’est accessible, on compromet l’idée même de pensée

rationnelle, qui doit permettre d’accéder à la vérité. A ce titre, notre époque est marquée par un courant

de pensée, qui tend à prouver qu’en matière de morale, il n’existe pas de vérité universelle, mais qu’il

existe différentes morales, chacune fonction de sa culture propre. Cette forme de négation, systématique,

est foncièrement destructrice, dans la mesure où elle inhibe toute velléité de dégager des principes

moraux universels. Or, Kant, dans Fondements de la Métaphysique des moeurs, montre que la raison

fonde objectivement la moralité, laquelle est définie par le désintérêt et l’absence d’affect de pitié. C’est

dire que le scepticisme à cet égard compromet l’idée même de moralité, car dès lors que les morales sont

relatives, on peut substituer l’une

à l’autre, et donc il n’y a plus de morale. La morale au sens kantien est dictée par la raison, donc, refuser

cette morale, c’est interdire à sa raison de s’exprimer.

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« réduire lui -même en esclavage, en déléguant son pouvoir de juger : « Sapere aude ! Aie le courage de te servir de ton propre entendement ! » Le second piège est plus subtil, dans la mesure où il ne s’agit même plus d’être trompé par autrui, mais d’être leurré par son propre manque de lucidité.

On ne peut prétendre penser, lorsqu’on se laisse guider par ses sens.

Penser, c’est dire non à l’évidence de l’intuition. Dans le Ménon, de Platon, Socrate explique à Ménon la cause de l’erreur du jeune esclave, auquel il demande de représenter un carré au sol, dont l’aire soit la double de celle du carré que lui même a préalablement dessiné.

Spontanément, l’esclave répond qu’il faut doubler la longueur du côté – ce qui naturellement est faux, puisque dans un tel cas, on quadruple l’aire, au lieu de la doubler – et ce n’est qu’après un long travail de questionnement, que Socrate réussit à l’amener vers le bon résultat, à savoir, construire le nouveau carré un utilisant comme côté la diagonale du précédent.

L’esclave n’a pas pensé, il s’est contenté de croire qu’il connaissait la réponse, sans prendre le temps d’évaluer sa première intuition. C’est le doute, et lui seul, qui lui a permis de progresser.

L’accès à la connaissance passe nécessairement par la remise en cause des préjugés.

En ce sens, penser, c’est dire non : non aux opinions, aux préjugés, aux idées préconçues.

Penser, c’est refuser d’admettre sans explication, refuser partout, et tout le temps, ces évidences, dont on croit qu’elle n’ont besoin d’aucune justification pour être communément admises.

Comme le souligne Montaigne dans ses Essais, « On me fait haïr les choses vraisemblables quand on me les plante pour infaillibles.» (Essais, III, 11 " Des boyteux "). Le mot grec « krinein » signifie juger.

Le concept de jugement s’assimile, dans ce cas, à celui de critique. Or critiquer, n’est-ce pas s’opposer violemment à une idée ? En démonter l’inexactitude ou la fausseté, en un mot, la rejeter ? En ce sens, penser, c’est dire non. Ainsi, pour penser juste, faut-il souvent brusquer ses contemporains, lutter contre l’inertie des esprits hostiles à toute nouveauté et à tout changement, forcément perturbants.

Peut-on dire pour autant, que l’opposition – le fait de dire non – soit une condition suffisante pour prétendre penser ? On ne peut prétendre sérieusement que l’opposition systématique soit une forme intelligente de pensée.

Si penser, c’est souvent dire non, il est des cas où dire non, c’est objectivement refuser de penser.

Le rejet systématique et sans justification est tout aussi sujet à caution que l’acquiescement docile.

La grande difficulté de l’esprit humain, c’est de penser avec objectivité.

Chaque être humain a un vécu, qui lui est propre, et qui oriente ses conceptions du monde.

Il est regrettable, mais ô combien fréquent, que nous manquions de discernement dans nos prises de position, influencés que nous sommes par ce que nous avons vécu par le passé.

Le farouche rejet de la religion du pharmacien Homais, dans Madame Bovary de Flaubert, et sa vénération quasi mystique de la science et du progrès font de lui en être obtus, borné, et étroit d’esprit, alors que c’est au nom même de l’ouverture d’esprit qu’il prétend s’opposer à la religion et à son influence sur ses contemporains.

Homais s’oppose, certes, mais de manière épidermique, et non réfléchie.

Son rapport à la religion est passionnel, et son rejet ne peut être considéré comme pensé, mais senti.

Flaubert a d’ailleurs fort bien étudié ces mécanismes qui entraînent l’esprit humain à se complaire dans la bêtise.

Pour penser, il ne faut donc pas seulement. »

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