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Peindre n'est pas dépeindre, écrire n'est pas décrire ?

Publié le 01/08/2005

Extrait du document

Cette remarque du peintre Georges Braque (1882-1963), ami de Picasso entre autres, ne peut laisser indifférent quand on considère l'histoire de la production artistique. En effet, il aura fallu attendre la Renaissance, et surtout le Romantisme allemand, pour voir l'art se désenclaver de contraintes techniques et théologico-politiques. Conjointement à cet essor va apparaître le rôle de la sensibilité, faculté en l'homme permettant de juger selon ses goûts de la nature d'une oeuvre (esthétique). La raison logique sera ainsi effacée au profit de la sensibilité pour tout contenu artistique, mais aussi pour toute initiative de création. De l'imagination des romantiques à l'expression originale depuis une matière brute (par exemple le cubisme), la création artistique va attaquer de front toute prétention de discours analytique quant à l'oeuvre et ce qu'elle représente. La mise en avant de la forme, le mystère du fond, doit révéler plus que le dire réducteur, et montrer (et non démontrer ; peindre ou écrire, et non dépeindre ou décrire) que le sens ne s'exalte qu'au travers d'un tout, d'un ensemble expressif, pour lequel retrancher une partie reviendrait à ne plus être en mesure de signifier quoi que ce soit. Pour une poétique, et non pour une logique, la création artistique marque son refus de toute réduction logique de l'oeuvre, et impose en même temps une réflexion sur la légitimité de ses prétentions qui, au final, semblent rejoindre celles des logiciens quand ils entendent comprendre des choses de nature divine.

« une effusion sensible artistique qui tend à ne plus rien signifier, dans un indicible ou un irrationnel ? Le formalisme, lediscours logico-discursif, peut légitimement se dresser contre ce vague expressif de l'art, et reprendre à son comptece que disait Wittgenstein , quand il voulait montrait son embarras devant les prétentions discursives à vouloir décrire ou saisir l'absolu, Dieu : « Ce dont on ne peut pas parler, il faut le taire ».

b.

Dès le 19 e siècle, la peinture moderne rompt ses liens avec la littérature, et s'autonomise par la production d'œuvres qui n'ont pour point référent que le visible sensible.

La description se perd au profit de la forme elle-même,qui passe par le médium du support (la toile du peintre, le marbre du sculpteur, etc.).

C'est un processus d'« autopurification » qui s'opère, pour reprendre le mot de Greenberg.

Epuré l'œuvre de toute expression analytique,voilà le challenge, et l'ambition bien sûr de courants picturaux modernes (cubisme, surréalisme, etc.), auquel Braqueou Picasso se sont consacrés.

On voyant la série des Guéridons de 1918-1919 de Braque, on remarque que ledessein n'est plus l'occasion d'une description intellectuelle, mais qu'il s'emploie à représenter un ensemble ; lapeinture n'est plus là pour appuyer la puissance expressive des objets, elle préserve sa propre autonomie, sonpropre dire, dire qui ne relève plus d'une logique abstraite et formelle, mais qui s'incarne dans la totalité plastique del'œuvre, œuvre qui selon Braque doit constituer un « fait pictural ».

Parole de l'œuvre et parole de l'homme sontdeux « faits » irréductibles.

.III.

L'œuvre doit parler d'elle-même, et faire penser l'homme.

a.

La beauté doit s'entendre comme une expérience totale.

L'œuvre doit donner à penser, certes, mais aussi et surtout à voir.

L'œuvre fait sens d'elle-même, et sa présence suffit à imposer son essence même.

Le spectateur seconfond avec l'œuvre qui le transforme, qui lui donne une nouvelle possibilité de son être.

L'œuvre fait, par lagratuité de sa présence, une « libre faveur » à celui qui l'observe.

Elle se suffit à elle-même, et ne demande pasqu'on lui assigne une essence particulière.

Le langage de l'œuvre dépasse de loin celui de l'artiste, elle demande àêtre entendu.

La beauté doit, selon le terme de Cassirer , renouer l'homme avec son origine d'animal symbolique, et non d'animal rationnel.

La beauté de l'œuvre doit s'éprouver, non se prouver ; elle donne d'elle-même, sans besoinqu'on lui recherche une essence : « Ce dont on ne peut parler, il faut le taire » ( Wittgenstein , Tractacus ).

L'œuvre d'art montre et se montre enfin, mais ne se démontre pas.

La logique du sens est inépuisable au regard d'unconcept aussi ouvert qu'est celui de l'art.

b.

Si l'intention définit l'œuvre, avec Kant par exemple, elle peut se dissimuler derrière un acte subversif et ironique.

Mais l'intention ne se donne pas facilement à voir.

Ainsi pour M.

Duchamp , l'œuvre présente un concept, une proposition sur l'art.

Le concept doit s'incarner dans un objet physique par exemple (urinoir, porte-bouteille).

Le« ready made » de Duchamp peut être dit œuvre conceptuelle, puisque l'objet ne suffit pas à définir le concept.

Le« ready made » sera défini comme étant un « objet usuel promu à la dignité d'objet d'art par le simple choix del'artiste » ( Dictionnaire abrégé du surréalisme ).

La description pour Duchamp prime sur la perception (il n'y a rien à voir dans l'urinoir).

L'œuvre ne consiste pas dans l'objet, mais dans l'acte même.

L'objet n'est que l'occasion duconcept, et seul le geste de l'artiste (décision d'exposer un objet banal) rend compte du sens de l'œuvre.

La beautés'infiltre dès lors plus dans l'idée que dans l'objet.

Conclusion « Peindre n'est pas dépeindre, écrire n'est pas décrire, la vraisemblance n'est que trompe-l'œil » : voilà un condenséqui ne manque pas pourtant de laisser apparaître l'éternel lutte que se livre raison logique et sensibilité.

La créationartistique implique un acte subversif au regard des prétentions de la raison à vouloir tout définir.

En langagenietzschéen, on pourrait caractériser l'art préconceptuel comme une volonté de changer des valeurs, des normes,de s'approprier une identité propre non soumise à la norme logique ratiocinante (c'est la figure du lion dans Ainsi parlait Zarathoustra , qui rêve de nouvelles valeurs), et l'art proprement conceptuel (Duchamp) comme l'acte somptueux de création de nouvelles valeurs, balayant au passage toute idole susceptible de freiner la volonté depuissance, le pouvoir d'agir par soi-même (l'enfant).. »

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