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Paul Valéry donne à l'écrivain ce conseil : « Entre deux mots, il faut choisir le moindre» (Tel Quel, Littérature, 1929). Vous rapprocherez cette boutade de la définition qu'André Gide propose du classicisme : « Le classicisme - et par là j'entends : le classicisme français - tend tout entier vers la litote. C'est l'art d'exprimer le plus en disant le moins. » (Billets à Angèle, 1921, dans Incidences.) Vous vous demanderez quel aspect du classicisme et, d'une façon générale, quelles po

Publié le 05/04/2009

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gide

  • Introduction

   Tout artiste veut produire un certain effet au moyen d'un certain matériel concret (mots, couleurs, sons, pierres). Quel est le rapport entre les moyens et les effets? Solution classique ou du moins d'esprit classique : le minimum de moyens pour le maximum d'effets. Valéry, Gide, néo-classiques du XXe siècle, se rallient à cette position. Est-elle la seule? n'a-t-elle pas ses limites et ses inconvénients (risque de sécheresse, de pauvreté)?

  • I) L'économie des moyens chez les classiques

 a) Cette rhétorique vise à éviter tout ce qui force la note pour rien. Pascal fournit beaucoup d'indications à ce sujet : « Masquer la nature et la déguiser. Plus de roi, de pape, d'évêque, — mais auguste monarque, etc.: point de Paris, — capitale du royaume. Il y a des lieux où il faut appeler Paris, Paris, et d'autres où il la faut appeler capitale du royaume « (Pensées, Éd. Brunschvicg, 49; Lafuma, 968, et cf. XVIIe Siècle, p. 151). La Bruyère reprendra cette idée dans une formule saisissante: « Amas d'épithètes, mauvaises louanges « (Les Caractères, chap. I): Boileau exprimait déjà la même opinion dans L'Art poétique : « Qui ne sait se borner ne sut jamais écrire « (XVIIe Siècle, p. 360).

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« faire reconnaître : « Vos ordres sans détour pouvaient se faire entendre », etc. II La litote et le classicisme éternel Ce goût de la litote n'est pas une simple manie propre à la langue classique du XVIIe siècle, il répond à toute uneesthétique qui dépasse de beaucoup la génération de 1660. 1 Par rapport à l'objet à peindre : la litote est ce qui évite de dépasser, par l'expression, la nature.

le « modèlenaturel » (Pascal.

Pensées.

Éd.

Brunschvicg, 33: Lafuma, 932) qu'il faut imiter: le jargon précieux dépasse la nature,comme une femme trop chargée de bijoux écrase sa propre beauté (Ibidem). 2 Par rapport à l'harmonie interne de l'œuvre : la litote porte à travailler l'harmonie d'ensemble plutôt que le détail.Celui-ci, en effet, ne valant jamais par son intensité propre, ne trouve sa signification et sa vigueur que dans sesrapports avec l'ensemble de l'œuvre (c'est ainsi que le classique ne fait jamais le beau vers pour le beau vers). 3 Par rapport à la personne de l'écrivain et à celle du lecteur : la litote implique une véritable attitude morale:l'écrivain ne s'impose pas, mais compte en quelque sorte que la force de ses idées surgisse de l'esprit du lecteur.Son rôle d'écrivain est plutôt de faire comprendre un rapport que d'imposer une image ou une qualité.

Ces dernièresseront le fait du lecteur s'il sait bien lire (ne pas oublier que l'art classique ne se conçoit pas sans ce lecteurintelligent, capable de comprendre à demi-mot). 4 Par rapport à une certaine conception du monde : la litote est peut-être en effet la formule de choix de ceux quicroient que dans nos rapports avec le monde et les autres hommes l'essentiel ne peut pas se dire, mais se suggère,de ceux qui croient qu'il faut tourner autour de ce qu'on veut exprimer plutôt que de l'attaquer de plein fouet.

Unedes modalités les plus importantes de l'art de la litote est sans doute l'humour, tel par exemple que l'entendGiraudoux chez qui le romantisme des jeunes filles prend la forme d'une fantaisie (Intermezzo), chez qui le bonheurdes femmes mariées s'exprime par le refus plaisant d'Alcmène devant l'offre de l'immortalité (Amphitryon 38).

etc.

:dans tous ces cas un grand sentiment est volontairement exprimé avec une discrétion un peu ironique. III La profusion des moyens et le baroque éternel Le danger de cet art de la litote (et Giraudoux n'est pas sans y être tombé quelque peu) est dans un amenuisementdes sujets et dans une virtuosité desséchée. 1 A force de préférer le rapport à la couleur, l'art ne connaît plus de l'univers que ce qui est intellectuel et s'anémie.Les grandes forces de la vie s'accommodent mal de l'art de la litote : pour exprimer toute la puissance du vital,Rabelais surcharge et accumule. 2 A force de vouloir rester en-deçà de ce qu'on a à dire, on finit par abuser de la virtuosité : la périphrase néo-classique accomplit des prodiges d'acrobatie pour éviter le mot propre, parce que celui-ci s'impose trop brutalement:mais elle tombe alors dans l'énigme et le bel esprit, ce qui, en un sens, rejoint les défauts de la préciosité.

On entrouvera divers exemples dans notre XVIIIe Siècle, p.

298, où l'abbé Delille arrive à désigner le cidre, la bière et lethé sans jamais les nommer.

C'est pour réagir contre un pareil abus que les romantiques livrèrent la guerre du motpropre, guerre que rappelle Hugo dans Réponse à un acte d'accusation (1854), poème repris dans LesContemplations, I, VIL L'ancien chef du Cénacle s'y vante d'avoir réintroduit dans la littérature tout un vocabulaireconcret et considéré par les classiques et surtout les néo-classiques comme vulgaire (cf.

notamment le passage quidébute par » Je nommai le cochon par son nom.

Pourquoi pas? ».

v.

80 sqq.).

On peut du reste se demander dansquelle mesure la littérature ne commence pas à partir du moment où on nomme les choses, c'est-à-dire où on leurdonne par le langage plus de consistance qu'elles n'en ont dans la réalité.

Croire que le langage est un en-deçà duréel, une pâle référence à un monde riche et plein, n'est-ce pas rendre impossible la constitution du domainelittéraire qui n'existe précisément que dans la mesure où le langage a une densité et une richesse foisonnantes?Ainsi dans le Gargantua (XXII).

l'énumération des jeux de Gargantua sur deux colonnes est un exercice proprementlittéraire parce qu'il est impossible que dans la réalité Gargantua ait joué à tant de jeux. 3 C'est pourquoi périodiquement la littérature, qu'elle s'appelle baroque ou romantique réagit violemment contre ladiscrétion de la litote, réclame des épithètes colorées, des images luxuriantes, des mots excessifs.

Le but de cetteattitude n'est peut-être pas seulement de rejoindre la vie dans toute sa plénitude, c'est aussi sans doute uneréaction de défense de la littérature. Conclusion A partir d'un petit conseil de style donné par Valéry et d'une définition du classicisme par Gide, nous avons pu définirdeux conceptions fondamentales de la chose littéraire qui continuent de nos jours à se confronter.

Valéry, Gide, plusprès de nous Camus, persistent à mettre leur coquetterie dans une expression volontairement réservée, dans unrefus de s'imposer qui leur semble conforme au meilleur de l'esprit français.

Ils ont d'ailleurs pu y être encouragés, aulendemain du symbolisme, par certains procédés poétiques lancés par Baudelaire (suggestion, correspondance) etdéveloppés par Mallarmé, procédés qui apparentaient la poésie nouvelle au classicisme : la comparaison entre Valéry. »

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