Passion et liberté (Descartes et Kant)
Publié le 28/03/2015
Extrait du document
cartésianisme reste une sagesse qui, par des conseils, des exercices, presque des recettes, nous aide à bien vivre.
On est loin d'un tel enchantement avec Kant qui rapelle aux couples amoureux que l'amour ne peut que décevoir ceux qui en attendent beaucoup, car «il ne faut pas être trop exigeant à l'égard du bonheur que peut nous apporter la vie, ni à l'égard de la perfection des hommes« (Sur le sentiment du beau et du sublime, section III).
Kant joue sur l'homophonie des termes allemands (Ehrsucht, Herrschsucht, Habsucht) pour en faire les trois faces d'une même hypertrophie du moi qui, à la fois est mauvaise et condamnable moralement, mais en même temps constitue le seul mobile qui arrache l'humanité à «la pure satisfaction physique des penchants animaux«.
Kant refuse de voir la moindre différence entre l'existence d'un «bon sauvage«, des mythiques bergers d'Arcadie, voire d'un sage épicurien et celle d'un veau ou d'un mouton (Idée d'une histoire universelle au point de vue cosmopolitique, proposition IV).
En un mot les passions nous font passer de la nature à la culture en utilisant notre égoïsme pour faire reculer nos penchants et nous préparer ainsi à obéir à notre raison.
Le goût du luxe, le raffinement mondain (si éloignés de toute moralité) sont eux aussi désignés comme tes facteurs positifs du développement de la civilisation.
C'est la passion qui «extorque« aux hommes cette contrainte qu'ils négligeraient si de puissants mobiles passionnels ne les y poussaient pas.
«
Philosophie de la passion
veux du corps, une trace dans le cerveau et une pensée de l'âme.
Ainsi
« les étranges aversions de quelques-uns, qui les empêchent de souffrir
l'odeur
des roses ou la présence d'un chat, ou choses semblables, ne
viennent que de ce qu'au commencement de leur vie, ils ont été fort
offensés
par quelques pareils objets, ou bien qu'ils ont compati au sen
timent
de leur mère qui en a été offensée étant grosse.
Car il est certain
qu'il y a du rapport entre tous les mouvements de la mère et ceux de
l'enfant qui est en son ventre » (Les Passions de l'âme, article 136).
Dans cette histoire personnelle, que Descartes fait commencer dès la
vie intra-utérine, chaque mouvement du corps qui correspond à une
nuisance provoque
de la tristesse, celui qui est utile à la conservation
provoque
de la joie, affectant ainsi l'âme de façon durable relativement
aux objets concernés (Ibid., article 137).
Mais, pour le jeune enfant et
a fortiori pour le fœtus, l'événement fondateur a lieu «sans que per
sonne y ait pris garde, ni qu'il y ait eu après aucune mémoire » (Ibid.,
article 136).
Cette sédimentation affective qui institue en nous un
caractère singulier, une personnalité propre et donne naissance à un
moi individuel consiste donc d'abord en un effacement du temps qui
s'éternise dans une habitude, c'est-à-dire un oubli du caractère acci
dentel
de l'origine.
L'alcoolique se résume en une habitude de boire qui
est oubli du temps où le vin lui était indifférent.
Comme si son passé
était irrémédiablement
figé en lui pour le constituer en une forme
définitive.
De même, l'amour sans partage pour Albertine, raconté par
Proust dans
A la recherche du temps perdu, est oubli du temps où, à
Balbec, il hésitait entre Andrée, Rosemonde, Gisèle et Albertine.
Etre passionné, c'est subir, dans la mesure où l'on est figé dans un passé
qui ne passe pas et dont tout événement à venir ne sera vécu que
comme
la réitération.
Quoi qu'il arrive à l'avare, il le ressentira à travers
la même angoisse (infantile ?) de perdre, de manquer.
Incapable de
concevoir que les pensées qui l'obsèdent ont commencé, il ne peut
envisager
un nouveau commencement, c'est-à-dire se tourner vers un
avenir où il pourrait décider de sa conduite.
La Vf Méditation de Descartes a montré toute l'utilité d'une telle ins
titution qui nous permet de sentir ce qui est utile et nuisible à notre
conservation, surtout quand
le temps de réaction doit être immédiat
et exclut la délibération.
La mise sous tutelle de notre libre arbitre est
souvent notre seule chance
de survie : on ne délibère pas sur un projet,
on recommence ce qu'on a déjà fait dans une même circonstance.
Pourtant Descartes relève une difficulté
de cette inscription dans une
sorte
de perpétuité sans avenir: « Il y a plusieurs choses nuisibles au
corps qui ne causent au commencement aucune tristesse ou même qui
donnent de la joie, et d'autres qui lui sont utiles, bien que d'abord elles
soient incommodes » (Ibid., article 138).
L'alcool ou la drogue qui don
nent
de la joie mais qui tuent, la blessure que l'on soigne dans la
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