Passion et devoir
Publié le 02/02/2005
Extrait du document
«
renverser les lois, ni ébranler ce qui est honnêtement établi par l'usage, ni affliger ton prochain, ni fatiguer toncorps, ni gaspiller les moyens nécessaires à l'existence, tu peux suivre ton impulsion à ta guise.
Il est impossible dene pas commettre une au moins de ces choses, car les plaisirs de l'amour ne nous ont jamais servi, il faut s'estimerheureux s'ils ne nous nuisent pas.
[...]
Quand on n'a plus l'occasion de voir l'objet bien-aimé, quand les relations intimes et le commerce cessent, la passionamoureuse s'affaiblit.
»
Epicure , « Maximes ».
Epicure énumère les conditions d'un désir légitime, tant dans les domaines de la législation, des conventions sociales, de la morale, que de la santé et del'économie.
Mais il s'agit là d'une formule de rhétorique ; une telle sommed'exigences s'avère être une gageure, ou plutôt l'exposé des griefs d' Epicure envers la passion ; puisqu'elles sont non seulement inutiles, mais nuisibles.
Dans d'autres textes, Epicure distingue parmi les plaisirs , ceux qui sont naturels et nécessaires, ceux qui sont naturels mais non nécessaires, et enfinceux qui ne sont ni naturels et non nécessaires.
Or, le sage recherche lespremiers et méprise les autres.
L ‘épicurisme est donc une morale du plaisir,mais dans les limites du simple besoin ; sa finalité est l'ataraxie ; sa méthodeconsiste à se contenter de peu, à ne désirer que ce qui est nécessaire, et àfuir tout ce qui peut stimuler des impulsions artificielles et excessives, commenous y invite la fin de notre texte.
Contrairement à une réputation infondée,la morale épicurienne est donc incompatible avec les passions.
[II.
De la compatibilité entre devoir et passion]
On peut ainsi concevoir la possibilité d'un accord entre le devoir et lasensibilité, et l'opposition théorique entre devoir et passions commence às'affaiblir.Cela semble d'autant plus normal que certaines passions sont bien de nature à nous pousser dans le sens même dudevoir.
Condamner globalement les passions comme contraires à toute attitude rationnelle, c'est oublier que.
pourcertains la raison elle-même prédispose à ressentir des élans passionnels, et qu'à vouloir censurer le jeu passionneldans l'homme, on risque d'amputer gravement l'existence ce qu'admettent, par exemple, la plupart des grandsromantiques.
C'est négliger aussi le fait que la valeur des passions peut être estimée en fonction des buts qu'ellesvisent.
Or, il est des passions « nobles » (la générosité cartésienne ou, plus banalement, l'amour de la vérité, ledévouement bénévole pour les autres) dont le déploiement semble parfaitement compatible avec l'accomplissementdu devoir.
"Et parce que l'une des principales parties de la sagesse est de savoir en quelle façon et pour quelle cause chacunse doit estimer ou mépriser, je tacherai ici d'en dire mon opinion.
Je ne remarque en nous qu'une seule chose quinous puisse donner juste raison de nous estimer, à savoir l'usage de notre libre arbitre, et l'empire que nous avonssur nos volontés.
Car il n'y a que les seules actions qui dépendent de ce libre arbitre pour lesquelles nous puissionsavec raison être loués ou blâmés, et il nous rend en quelque façon semblables à Dieu en nous faisant maîtres denous-mêmes, pourvu que nous ne perdions point par lâcheté les droits qu'il nous donne.Ainsi je crois que la vraie générosité, qui fait qu'un homme s'estime au plus haut point qu'il se peut légitimementestimer, consiste seulement partie en ce qu'il connaît qu'il n'y a rien qui véritablement lui appartienne que cettelibre disposition de ses volontés, ni pourquoi il doive être loué ou blâmé sinon pour ce qu'il en use bien ou mal, etpartie en ce qu'il sent en soi-même une ferme et constante résolution d'en bien user, c'est-à-dire de ne manquerjamais de volonté pour entreprendre et exécuter toutes les choses qu'il jugera être les meilleures.
Ce qui estsuivre parfaitement la vertu." DESCARTES
La philosophie morale de Descartes reprend des thèmes de la sagesse traditionnelle : thème du bonheur (« on nesaurait manquer d'être content »), thème de l'accord avec la nature (« changer ses désirs plutôt que l'ordre dumonde »).
Mais il les transforme profondément par l'affirmation de la liberté du sujet.
POUR MIEUX COMPRENDRE LE TEXTE
On ne confondra pas la « vraie générosité » cartésienne avec le sens actuel du mot (libéralité) ou avec un orgueilqui pousserait à s'estimer pour autre chose que sa « ferme résolution ».La formulation même de Descartes (« maîtres de nous mêmes ») est en grande partie d'inspiration stoïcienne, ainsique sa définition de la vertu (au singulier) comme ferme résolution.
Mais la philosophie morale ne se comprend qu'àpartir d'une métaphysique nouvelle reposant sur deux principes : l'existence d'un moi rationnel et libre, l'existenced'un esprit infini, Dieu libre créateur de toute vérité et de toute chose.La générosité est la prise de conscience de cette double transcendance de l'esprit humain et de l'esprit divin, etdonc l'éminente valeur d'un libre arbitre capable de s'élever au-dessus de toute détermination.
Quelles que soient les.
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓
Liens utiles
- La passion des livres, qui semble devoir être une des plus nobles, est une de celles qui touchent de plus près à la manie. Charles Augustin Sainte-Beuve, Portraits littéraires, tome II
- La passion m'empêche-t-elle de faire mon devoir ?
- Discutez ce jugement de Brunetière : « Ce n'est proprement ni le devoir, ni la passion que Corneille s'est plus à nous représenter : c'est la volonté, quel qu'en fût d'ailleurs l'objet.»
- Charles Péguy a écrit : « On n'entend rien à la poétique de Corneille si l'on n'y voit qu'un Conflit pour ainsi dire intellectuel et livresque entre le devoir pris au sens des moralistes et la passion prise au sens des moralistes... Il ne fait aucun doute que, dans Corneille, l'honneur est aimé d'amour et que l'amour est honoré d'honneur ». Expliquez ce point de vue. Le partagez-vous ?
- « La grande perfidie de la passion naissante est de contrefaire le devoir. Il y a peut-être toute une vie gâchée, qu'importe! Il faut parce qu'il faut. » (BERGSON, Deux Sources.). Commentez cette citation.