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PASCAL, Second discours sur la condition des grands.

Publié le 07/09/2006

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pascal

Il y a dans le monde deux sortes de grandeurs ; car il y a des grandeurs d'établissement et des grandeurs naturelles. Les grandeurs d'établissement dépendent de la volonté des hommes, qui ont cru avec raison devoir honorer certains états et y attacher certains respects. Les dignités et la noblesse sont de ce genre. En un pays on honore les nobles, en l'autre les roturiers ; en celui-ci les aînés, en cet autre les cadets. Pourquoi cela ? Parce qu'il a plu aux hommes. La chose était indifférente avant l'établissement : après l'établissement elle devient juste, parce qu'il est injuste de la troubler. Les grandeurs naturelles sont celles qui sont indépendantes de la fantaisie des hommes, parce qu'elles consistent dans des qualités réelles et effectives de l'âme ou du corps, qui rendent l'une ou l'autre plus estimable, comme les sciences, la lumière de l'esprit, la vertu, la santé, la force. Nous devons quelque chose à l'une et à l'autre de ces grandeurs ; mais comme elles sont d'une nature différente, nous leur devons aussi différents respects. Aux grandeurs d'établissement, nous leur devons des respects d'établissement, c'est-à-dire certaines cérémonies extérieures qui doivent être néanmoins accompagnées, selon la raison, d'une reconnaissance intérieure de la justice de cet ordre, mais qui ne nous font pas concevoir quelque qualité réelle en ceux que nous honorons de cette sorte. Il faut parler aux rois à genoux ; il faut se tenir debout dans la chambre des princes. C'est une sottise et une bassesse d'esprit que de leur refuser ces devoirs. Mais pour les respects naturels qui consistent dans l'estime, nous ne les devons qu'aux grandeurs naturelles ; et nous devons au contraire le mépris et l'aversion aux qualités contraires à ces grandeurs naturelles. Il n'est pas nécessaire, parce que vous êtes duc, que je vous estime ; mais il est nécessaire que je vous salue. Si vous êtes duc et honnête homme, je rendrai ce que je dois à l'une et à l'autre de ces qualités. Je ne vous refuserai point les cérémonies que mérite votre qualité de duc, ni l'estime que mérite celle d'honnête homme. Mais si vous étiez duc sans être honnête homme, je vous ferais encore justice ; car en vous rendant les devoirs extérieurs que l'ordre des hommes a attachés à votre naissance, je ne manquerais pas d'avoir pour vous le mépris intérieur que mériterait la bassesse de votre esprit. PASCAL, Second discours sur la condition des grands.

 

En s'adressant en ces termes à un enfant de haute condition, Pascal tient à l'avertir de l'attitude que les hommes adopteront envers lui : selon son mérite, le respect qu'ils lui témoigneront sera profond ou superficiel. Mais, si nous comprenons cette distinction, certaines de ses paroles ne laissent pas de nous étonner : « Il n'est pas nécessaire, parce que vous êtes duc, que je vous estime ; mais il est nécessaire que je vous salue... Mais si vous étiez duc sans être honnête homme, je vous ferais encore justice ; car en vous rendant les devoirs extérieurs que l'ordre des hommes a attachés à votre naissance, je ne manquerais pas d'avoir pour vous le mépris intérieur que mériterait la bassesse de votre esprit. « Nous avons du mal à admettre que des signes extérieurs de respect recouvrent une aversion ou un mépris profonds. Nous essaierons donc de découvrir quelle conception de la vie cache ce conformisme apparent.

 

pascal

« n'aurait pas risqué de se faire brûler pour avoir affirmé une découverte d'ordre scientifique.

Beaucoup d'artistes decette époque vivaient de l'ordre établi tout en écrivant des oeuvres résolument non-conformistes.

Citonssimplement parmi eux Racine, qui après avoir créé Phèdre devient historiographe du roi.

Pour Pascal il ne s'agitévidemment pas d'un souci mondain.

Il aurait pu devenir l'un des hommes de science les plus prestigieux de spnépoque, briller par ses dons dans le monde intellectuel.

Or, il a renoncé à cette position pour se convertir, et setourner vers les lumières de la foi.

Il lui a fallu pour cela mépriser toute mondanité, entrer plus profondément en lui-même pour découvrir ce qu'il appela « l'ordre de la charité » (dans Les Pensées) et qui dépasse de loin, selon lui,l'ordre de l'esprit et celui du corps.

Que l'on puisse s'attacher à étaler son mépris de l'ordre établi lui semble doncparfaitement mesquin et dénué de tout intérêt pour la dignité humaine, au contraire.

Ainsi s'explique cette phrase :« C'est une sottise et une bassesse de l'esprit que de leur refuser ces devoirs.

» Quand bien même on saluerait unfripon, cela ne serait ni odieux ni humiliant, car celui qui salue accepte ces conventions pour les avoir depuislongtemps dépassées en esprit.L'oeuvre de Pascal se situe dans une période historique où nul ne pouvait entrevoir les bienfaits ou même lapossibilité d'un changement politique, où le refus de l'ordre établi ne pouvait donc se manifester que de façoninefficace.

A cette époque, les hommes qui, comme Pascal, désiraient conquérir la liberté, ne pouvaient concevoircette action que sur le plan intérieur et moral.

Pour Pascal, l'homme doit se libérer d'abord de lui-même, du péchéqui est en lui, de tout ce qui entrave son cheminement vers l'amour.

Dans le domaine de l'esprit il adopte la mêmeattitude : l'esprit doit s'efforcer d'être libre dans son jugement sur les hommes, quand bien même les coutumesl'obligeraient à saluer un imbécile ou une canaille.

L'homme demeure libre parce que son esprit juge bien l'homme àqui il s'adresse.

L'aliénation consisterait à estimer un homme à cause de ses titres, non pas à le saluer malgré sabêtise, car l'esprit est supérieur aux habitudes, c'est à lui de se préserver des tendances pernicieuses. II.

- DISCUSSIONBien entendu, ce langage nous étonne à présent.

Nous avons l'habitude de donner à nos actes la signification d'untémoignage, en même temps que les perspectives politiques s'ouvraient.

La première condition de la libération del'homme nous semble être la contestation d'un ordre établi, non pas parce qu'il existe mais parce qu'il est injuste.

Lerespect dû à des incapables ou des hommes malhonnêtes est aliénant dans la mesure où les hommes ont tendanceà oublier cette incapacité et cette malhonnêteté pour leur accorder un respect intérieur.

Il faut en effet unesingulière force d'âme pour ne jamais se laisser impressionner par des titres, quels qu'ils soient.

Les autres n'yrésistent pas et leur esprit s'en trouve entravé.

C'est-à-dire que nous admettons mal une division de l'homme,comme le fait Pascal, et qu'au contraire nous voudrions harmoniser, nos gestes, nos actes et notre attitudeintérieure.

Sans doute est-il très insuffisant de se rebeller contre les formes extérieures de respect à l'ordre établi.Mais si cette contestation élémentaire peut faire prendre conscience à l'homme qu'il peut et doit se libérer, elle n'estpas inutile.

Là encore il ne faut pas confondre les niveaux : la simple protestation ne peut susciter la libération del'homme.

Celle-ci se fait individuellement, selon les aptitudes ou les aspirations personnelles, et elle est beaucoupplus difficile à obtenir, car elle demande à l'homme de se mettre lui-même en question.

Mais pour beaucoup lapremière phase de contestation extérieure est nécessaire pour mettre en branle la démarche de l'esprit et del'intelligence vers sa liberté. CONCLUSIONCe passage du « Second discours sur la condition des grands » est beaucoup plus virulent qu'il n'y paraît, puisquePascal y proclame que nul titre honorifique ne peut attirer l'estime due seulement aux qualités d'un homme.

Mais il seplace sur le plan très élevé de celui pour qui la liberté est une conquête intérieure, sans se rendre compte que pourbeaucoup l'attitude extérieure domine la pensée intime.

Ceux-là risquent de se laisser aliéner par le respect del'ordre établi.. »

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