PARTIE 3 : FAUT-IL SE DÉSOLER DE VIVRE DANS LE TEMPS ?
Publié le 16/04/2023
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SÉQUENCE 1
PARTIE 3 : FAUT-IL SE DÉSOLER DE VIVRE DANS LE TEMPS ?
Étape 1 : S’étonner (entrée dans le cours/introduction)
Horloge dans une spirale infinite
L’expérience du temps est, en apparence, des
plus banales.
Certes, il peut nous arriver de
penser que nous avons « tout notre temps »
pour accomplir telle ou telle tâche, mais
nous nous faisons sans doute plus souvent la
remarque que « le temps file », qu’il « passe à
toute vitesse » ou encore que « nous manquons
de temps ».
Nous pourrions multiplier les
exemples d’expressions qui rendent compte
de cette relation difficile que nous entretenons
avec le temps.
Si nous nous penchons sur elles,
nous nous apercevons que le temps est avant
tout conçu comme quelque chose d’extérieur à
nous, qui nous maîtriserait davantage que nous
ne le maîtrisons.
Plus précisément, le temps
apparaît comme quelque chose qui n’est pas toujours disponible, et même souvent qui nous file entre les
doigts, qui nous échappe.
Il n’est pas étonnant que le vocabulaire décrivant le temps en fasse quelque
chose de liquide : le « flux » du temps, l’« écoulement » du temps, etc.
Il nous arrive assez souvent d’avoir
l’impression de nager à contre-courant, de lutter contre cette force qui nous entraîne malgré nous.
Mais le plus désolant, sans doute, pour l’homme, est de savoir que cet écoulement du temps produit des
effets sur lui : comme tout être vivant, l’homme doit se développer, passer du stade de l’enfance à l’âge
adulte, vieillir et enfin mourir.
À la différence des autres êtres vivants, des animaux notamment, l’homme
sait qu’il est destiné à une telle fin.
Il connaît ce que l’on peut appeler sa propre finitude : loin d’être
immortel ou éternel, l’homme sait que le temps a une prise irrémédiable sur lui, ce que semblent ignorer
les autres animaux.
À ce titre, l’homme est conscient d’exister et non simplement de vivre.
Un peu de vocabulaire
Vivre : Le fait de vivre renvoie d’abord à une réalité biologique, que l’homme partage avec les autres êtres
vivants : être vivant suppose de posséder un organisme dont les différentes parties (les organes) sont dépendantes les unes des autres et assurent le bon fonctionnement de l’ensemble.
Exister : En un premier sens, exister est synonyme d’être et vaut pour toute chose qui a une réalité.
L’existence
s’oppose alors au néant, c’est-à-dire ce qui n’est pas.
Mais en un second sens, le fait d’exister appartient en
propre à l’être humain : elle suppose la conscience de vivre mais aussi la conscience que l’existence est limitée
dans le temps.
L’homme semble donc avoir toutes les raisons de se désoler de sa condition d’être mortel.
Toutefois,
n’avons-nous pas aussi l’impression que nous avons des moyens de maîtriser le temps qui passe ?
Échapper au temps relève sans doute plus du mythe ou du rêve, mais ne pouvons-nous pas domestiquer
cette force qui paraît d’abord fuir toute maîtrise ? Le temps est-il synonyme de malédiction pour l’homme
ou peut-il devenir en quelque sorte une bénédiction ?
CNED
TERMINALE PHILOSOPHIE
1
Allons un peu plus loin : la question que nous nous posons est de savoir s’il faut se désoler de vivre
« dans » le temps (exister).
Mais avons-nous raison de penser le temps comme un élément dans lequel
nous « baignons », tantôt hostile tantôt favorable ? L’homme n’est-il pas essentiellement et intimement
constitué par le temps ? Auquel cas, est-il raisonnable de se désoler de vivre dans le temps si c’est là
l’essence profonde de l’homme, et peut-être la condition de toutes les autres caractéristiques de ce
qui fait le propre de l’homme : la liberté, l’histoire, la culture ?
Mise en activité
À partir des problèmes que nous venons de poser, réfléchissez aux différentes attitudes que l’homme
entretient avec le temps.
S’agit-il toujours de déplorer le temps qui passe ? Ou bien pouvons-nous parfois
avoir l’impression de maîtriser le temps ? Pour vous aider dans ce travail de réflexion, vous pouvez
rechercher d’autres expressions ou proverbes que nous utilisons couramment à propos du temps.
Vous
confronterez ensuite vos résultats aux éléments du cours.
2
CNED
TERMINALE
PHILOSOPHIE
Étape 2 : S’interroger et débattre (la leçon)
1 - La conscience de vivre dans le temps semble être la malédiction
de l’homme
a.
L’homme semble soumis à l’irréversibilité du temps
L’un des termes que nous associons le plus fréquemment au temps est le verbe « passer » : c’est là
un verbe d’action que l’on attribue à tout objet mobile qui traverse un espace à une certaine vitesse (un
train qui traverse un paysage, un nuage dans le ciel, des piétons dans la rue, etc.).
Le temps est donc
pensé sur le modèle de ces choses mobiles (d’ailleurs, le temps passe « plus ou moins vite »).
Mais
le temps se distingue de tout objet se déplaçant dans l’espace : il ne paraît pas pouvoir changer de
sens.
Là où les objets cités en exemple peuvent parcourir l’espace dans toutes ses dimensions (à tout
le moins, un train pourra rouler dans un sens de la voie ferrée ou dans l’autre), le temps semble aller
dans une seule et unique dimension, ce qu’on nomme la « flèche du temps ».
Ceci confère au temps
un caractère irréversible (c’est-à-dire qui ne peut se produire que dans un seul sens, sans pouvoir être
arrêté).
N’est-ce pas cette irréversibilité du temps qui rend l’expérience que nous en faisons si difficile ?
N’est-ce pas d’ailleurs pour cela que nous jugeons souvent que le temps passe trop vite, puisque le
temps rend impossible tout retour en arrière qui nous permettrait de reprendre certaines choses, de les
recommencer ?
C’est cette expérience qui est décrite par Vladimir Jankélévitch, philosophe du XXe siècle (1903-1985) :
Dans l’expérience amère de l’irréversible se concentre pour nous l’objectivité destinale1 d’un temps un
peu sauvage, d’un temps désobéissant, pour ne pas dire indomptable, et qui échappe à notre contrôle.
On ne peut s’y soustraire.
L’irréversible est à fortiori irrésistible : ou inversement, on ne peut arrêter
le cours du temps, et à plus forte raison ne peut-on le renverser.
Le mouvement irréversible où nous
sommes entraînés est un mouvement d’autant plus irrésistible qu’il paraît lui-même « irrésistant » ;
et d’autant plus invincible qu’il a l’air lui-même inconsistant et quasi inexistant.
L’objectivité du temps
est sans commune mesure avec la résistance d’une matière palpable et tangible et massive qu’on peut
façonner par l’effort et le travail, et sur laquelle nos outils ont des prises : les marteaux, les leviers,
les machines, la violence glissent sans l’entamer sur cette force douce qui est une puissance toutepuissante, sur cet obstacle insaisissable qui est un obstacle insurmontable.
L’effort s’exerce ici dans le
vide ! […] Par rapport au temps tout-puissant, la volonté elle-même apparaît impuissante ; la volonté,
cédant au devenir omnipotent, a enfin trouvé son maître.
»
Vladimir Jankélévitch, L’Irréversible et la nostalgie, Champs Flammarion
1
C’est-à-dire un destin qui s’impose à nous
Que retenir de ce texte ?
Il ne faut tout d’abord pas perdre de vue que Jankélévitch ne décrit pas ici la réalité du temps en
lui-même, mais l’expérience que nous en avons habituellement.
Or, le temps y est décrit dans les
termes d’une force animale et même bestiale : « sauvage », « désobéissant », « indomptable ».
Ce fauve
ne paraît pas pouvoir être domestiqué et il nous emporte là où il le désire.
C’est donc l’extériorité du
temps qui est ici mise en avant : nous ne pouvons jamais le faire nôtre.
C’est là la différence essentielle
CNED
TERMINALE PHILOSOPHIE
3
avec toute matière tangible : certes elle est extérieure à nous, mais notre travail peut la transformer
et en faire quelque chose qui nous est propre.
Le temps est au contraire ce qui demeure hors de toute
transformation et de toute maîtrise humaines possibles.
Il est l’altérité même, ce qui ne pourra jamais
être assimilé.
Bien plus, le temps est ce qui nous maîtrisera toujours, nous devons reconnaître notre
soumission à sa puissance.
Toutefois, le temps se présente à nous de manière paradoxale : cette force sauvage est tout sauf palpable,
contrairement à la matière brute que nous pouvons transformer.
Autant une telle matière résiste (le
sculpteur sait que la pierre va opposer une certaine résistance à sa tentative de la façonner et que
va s’engager une certaine lutte entre la matière et lui).
Mais la résistance n’est que le revers d’une
maîtrise possible.
L’impossibilité de maîtriser le temps vient précisément de son caractère « irrésistant »
comme l’écrit Jankélévitch : nous n’avons aucune prise sur lui.
Il est la parfaite fluidité, ce qui nous
échappe en permanence, jusqu’à nous apparaître comme quelque chose sans consistance, vide.
La plus
grande douceur (le temps ne s’impose à nous sans aucune violence physique) est ce qui fait son aspect
impitoyable : on ne peut faire ployer le temps, notre volonté est impuissante face à lui.
Le texte montre ainsi toute la cruauté que le temps témoigne....
»
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