Parler est-ce dominer ? (Langage et Domination)
Publié le 21/02/2011
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«
développement
Première partie : Le langage, moyen de maîtrise et de domination de la nature
Si l'homme se révèle capable de s'opposer à la nature et de la transformer, de s'en rendre, selon la formule deDescartes, « maître et possesseur » (cf.
Discours de la méthode, VIe partie), n'est-ce pas au langage qu'il le doit ?
• Le langage, condition de la pensée.a) Ce qui caractérise le langage humain, c'est sa dimension symbolique (cf.
sujet n° 58, 3e partie, a, 2).
Parce queson langage est symbolique, l'homme ne se limite pas, comme l'animal, à signaler de manière stéréotypée quelquechose à ses congénères, mais il peut leur parler et se parler de n'importe quelle chose.
Par le langage l'homme peutreprésenter à autrui et se représenter n'importe quels objet ou situation dans le monde.
En d'autres termes, grâce àcet appareil symbolique que constitue le langage, l'homme peut rompre avec l'adaptation immédiate au monde actueldéfinie par les signaux sensoriels et se retirer du monde, le mettre à distance pour le penser.b) Ainsi, comme l'observe Benveniste : « La forme linguistique est non seulement la condition de transmissibilité,mais d'abord la condition de réalisation de la pensée » (Problèmes de linguistique générale, p.
64).
Penser c'est «manier les signes de la langue » qui est « une structure informée de signification » (id., p.
74).
C'est pourquoi lescatégories de pensées sont dictées par la langue (Benveniste montre que les catégories aristotéliciennes sont descatégories linguistiques propres au grec), tout comme les concepts par lesquels on approche le réel (par exemple leconcept de temps diffère selon les cultures en fonction des temps verbaux.
Cf., sur le temps en Islam l'étude de L.Massignon, Parole donnée, chap.
V, coll.
10-18).Toute pensée est donc langage (cf.
Hegel, Philosophie de F esprit : « C'est dans le mot que nous pensons.
Nousn'avons conscience de nos pensées, nous n'avons de pensées déterminées et réelles que lorsque nous leur donnonsla forme objective, que nous les différencions de notre intériorité.
(...) C'est le son articulé, le mot, qui seul nousoffre une existence où l'externe et l'interne sont intimement unis.
Par conséquent vouloir penser sans les mots estune tentative insensée »).
Dans ces conditions, il apparaît que le langage est bien un moyen de maîtrise et dedomination de la nature, puisque celles-ci seraient impossibles sans la pensée.
• Le langage, organisation du mondeDès lors que le langage est la condition de la pensée, ne jouera-t-il pas un rôle fondamental dans la constitutionmême de ce réel que la pensée prend pour objet? Comme le fait observer Cassirer, « le langage n'entre pas dans unmonde de perceptions objectives achevées, pour adjoindre seulement à des objets individuels donnés et clairementdélimités les uns par rapport aux autres des noms qui seraient des signes purement extérieurs et arbitraires, mais ilest lui-même un médiateur dans la formation des objets » (Essais sur le langage).
La dénomination apparaît commeun facteur de discrimination perceptive et « l'unité du nom sert de cristallisation pour la multiplicité desreprésentations » (id.).
Ainsi, écrit R.
Ruyer, « par un paradoxe purement apparent, le monde de la consciencesymbolisante devient plus objectif que le monde de la pure perception.
"Les premiers mots dont l'enfant fait unusage conscient peuvent être comparés au bâton à l'aide duquel un aveugle tâte son chemin" (Cassirer).L'instrument interne fait exister d'une manière vraiment objective l'objet qu'il touche.
Toute l'expérience, qui n'étaitqu'un tissu de signaux expressifs, est transformée progressivement en un monde réel d'objets-concepts » (L'Animal,l'homme, la fonction symbolique, p.
100).
Le monde que l'homme perçoit est donc celui de la langue qu'il parle, etl'on peut dire en un sens que l'on habite sa propre langue.
On conçoit également que dans ces conditions deshommes parlant des langues différentes évoluent dans des univers dissemblables, puisque « à chaque languecorrespond une organisation particulière des données de l'expérience » (A.
Martinet), chaque langue étant « unsystème qui opère une sélection au travers et aux dépens de la réalité objective » (Trier).Ainsi donc, le langage structure et organise le monde, nous permettant ainsi de le maîtriser.
Ce que confirment lescritiques mêmes qui ont été portées contre le langage par Nietzsche et Bergson.
• Le langage, condition de l'action et fonction vitalea) Pour Bergson, il existe au-delà du langage une pensée pure qui est la pensée intuitive, « vision directe de l'esprit».
Le langage est une manière de prisme, propre à la pensée conceptuelle, qui masque ou déforme la réalité, car lemot, parce qu'il « dépasse l'individuel et appartient au genre » (Brice Parain) est incapable d'exprimer la réalité danstoutes ses nuances ; bien au contraire, il la fige et la morcelle.
Mais si la pensée, et avec elle la réalité, « demeureincommensurable avec le langage » (Essai sur les données immédiates de la conscience, p.
124), le langage n'enreste pas moins un outil nécessaire, car il constitue une condition de l'action : il nous permet de nous diriger àtravers la réalité mouvante et d'avoir prise sur elle en lui imposant précisément une certaine constance et unecertaine ordonnance.
Les mots sont ainsi des repères et des appuis pour la conscience agissante.
b) La critique bergsonienne du langage rejoint celle de Nietzsche, mais cette dernière est encore plus radicale.
«L'importance du langage dans le développement de la civilisation, observe Nietzsche, réside en ce que l'homme y asitué, à côté de l'autre, un monde à lui, un lieu qu'il estimait assez solide pour, s'y appuyant, sortir le reste dumonde de ses gonds et s'en rendre maître.
Dans la mesure même où l'homme a cru aux concepts et aux noms deschoses comme à autant de vérités éternelles, il a vraiment fait sien cet orgueil avec lequel il s'élevait au-dessus del'animal : il s'imaginait réellement tenir dans le langage la connaissance du monde.
L'artiste du verbe n'était pasassez modeste pour croire qu'il ne faisait qu'attribuer des dénominations aux choses, il se figurait au contraireexprimer dans ses mots le suprême savoir des choses ; le langage est en fait la première étape dans la quête de lascience.
» (Humain, trop humain, I, 11.) Le langage est ainsi, comme l'art ou la science, une illusion qui cache lavéritable nature des choses, la Vérité originaire, illusion vitale car « on ne peut pas vivre avec la Vérité »..
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