Devoir de Philosophie

Parfum exotique de Baudelaire dans les Fleurs du Mal

Publié le 21/05/2010

Extrait du document

baudelaire

"Racine a écrit le songe d'Athalie et pourtant il rêvait! « écrivit un jour Giraudoux, voulant sans doute indiquer que la logique interne du cauchemar de la vieille reine faisait de cette page célèbre un beau morceau de littérature plutôt qu'un document sur la réalité onirique. La rêverie que dépeint Baudelaire dans Parfum exotique pourrait appeler une boutade similaire : plausible dans sa cause, cohérente dans son développement, « classique « dans son contenu, elle nous propose de l'Idéal que le poète oppose sans relâche à la laideur du réel génératrice de « spleen « et de morosité une image soigneusement composée et ressemblant davantage à un tableau de maître qu'à une simple vue descriptive. L'occasion, le point de départ de la rêverie du poète est réel, appartient au monde sensible c'est la simple odeur de la femme aimée près de laquelle il repose. Que cette femme soit ou non Jeanne Duval, la mulâtresse qu'aima longtemps Baudelaire est anecdotique et donc importe peu : l'exotisme réside dans la rêverie autant et même plus que dans son prétexte. Plus exactement, la démarche sensible du poète est la suivante : ayant isolé sa vue du réel (« les deux yeux fermés «), il est sollicité par les éléments olfactifs (« je respire l'odeur «) et associe aussitôt à cette odeur des images visuelles (« je vois... «) mais intérieures puisque sa vue n'est plus frappée par aucun objet extérieur.

baudelaire

« *** On voit donc que la rêverie du poète, loin d'être un pur abandon aux caprices de l'imagination, se présente aucontraire comme rigoureusement organisée et d'une parfaite cohérence, épousant étroitement les contours de laforme poétique choisie.Ce poème est en effet un sonnet classique parfaitement régulier du point de vue métrique; et l'un des très rares àl'être dans l'oeuvre de Baudelaire.

On y trouve la disposition des rimes suivant le schéma traditionnel abba abba ccdede avec les quatrains bien construits sur les mêmes rimes et l'alternance des masculines et des fémininesrespectée de manière à terminer par une rime masculine quand on a commencé par une féminine et réciproquement.L'opposition entre les quatrains et les tercets est réelle et l'on a déjà vu qu'elle recouvre les deux phrases dont estcomposé le poème.

De plus les tercets sont bien confondus en un seul mouvement rythmique, aucune pause n'étantjustifiée à la fin du premier, tandis qu'une ponctuation forte (point-virgule) vient clore le premier quatrain, l'isolantainsi du second.

De plus, à l'intérieur des quatrains, les vers sont pour ainsi dire regroupés deux à deux, les deuxpremiers formant une circonstancielle de temps précédant le verbe principal je vois, les six suivants séparés en troisgroupes par des points-virgules.

Or l'un des objectifs rythmiques du sonnet classique est précisément d'opposer etde composer dans un même et bref poème un rythme binaire et un rythme ternaire.Enfin l'apparition dans le dernier vers d'un élément auditif inattendu (le chant) et la place des accents dans ce vers Se mêle dans mon âme au chant des mariniersqui d'une part joint âme et chant par l'harmonie comme ils le sont par le sens et d'autre part a le caractère conclusifnécessaire (accent sur la dernière syllabe), permettent de voir dans ce dernier vers une chute traditionnelle, lachute d'un sonnet devant être, dit, Saint-Évremond, « noble et ingénieuse ».Toujours sur le plan de la rigueur formelle, le mètre employé est le vers classique par excellence, l'alexandrin dont lesdeux hémistiches sont respectés : on ne dénote aucune coupe extravagante et les accents sont régulièrementplacés.

Si les vers 3-4 et 5-6 présentent de grands enjambements, il n'y a cependant dans le poème aucun rejet quiviendrait influer sur la rime.Celle-ci enfin est généralement riche (particulièrement la dernière : 9 lettres et 3 syllabes) et respecte presquetoujours le désir classique de rimer pour l'oeil autant que pour l'oreille.Cette volonté de classicisme formel ne se réduit pas à une stricte observance- des préceptes du sonnet traditionnelmais transparaît tout autant au niveau des tournures syntaxiques et de la conception de la période (propositioncirconstancielle, puis proposition principale suivie de complétives), ou surtout du vocabulaire comme en témoignentpar exemple la généralité convenue des adjectifs : « charmants climats », « rivages heureux », « vague marine » ouencore l'absence de substantifs recherchés à l'exception du seul mot « tamariniers » qui apporte au poème sa noteprécise d'exotisme, répondant ainsi aux promesses du titre.Mais si cette volonté de classicisme n'était que formelle, ce sonnet se réduirait à n'être qu'un pastiche ou unexercice d'école purement gratuit et destiné seulement à prouver l'habileté du poète à respecter certaines règlescontraignantes.

Il n'en est rien; le classicisme formel du poème n'est que la manifestation extérieure, adéquate etdirectement visible de l'Idéal classique du poète, celui qu'il développe par exemple longuement dans le cinquièmepoème des Fleurs du Mal.

« J'aime le souvenir...

» et qui repose sur la notion d'harmonie et ceci à plusieurs niveaux.Cette harmonie est d'abord celle qui préside à une insertion heureuse de l'homme dans la nature : le renforcementdes rimes dans les 4 derniers vers en donne une idée où marine (Nature) rime avec narine (Homme) et tamariniers(Nature) avec Mariniers (Homme) mais où aussi marine (Nature) appelle aussitôt un écho humain : mariniers.Mais s'il y a harmonie entre l'homme et la nature, chacun des deux possède également son harmonie intrinsèque.

Lanature est harmonieuse et se présente ici encore «pleine de ces natives grandeurs » dont nous avons tendance àperdre jusqu'au souvenir.

Elle est encore la mère nourricière et généreuse : qui « donne » (v.

5) « des arbres...

etdes fruits savoureux » : l'emploi, fort inhabituel, d'un monosyllabe à la rime oblige du fait de l'e muet à faire sonnerce mot si l'on veut respecter l'enjambement sans fausser le rythme de vers, et le met donc particulièrement envaleur.

Mais aussi, cette Nature se présente comme une totalité centrée sur elle-même ainsi que le suggère l'imagede l'île, et baignant dans un éclairage à la fois lumineux et doux : la saison choisie ici, l'automne, n'est pas celle,lugubre et déjà hivernale du Chant d'automne, mais une fin d'été radieuse de laquelle ce qu'il y avait d'excessif dansla chaleur du plein midi a disparu pour faire place aux « feux d'un soleil monotone », « éblouissant » certes, mais nonbrûlant.

On ne peut s'empêcher de penser à la Salente de Fénelon, à Bernardin de Saint-Pierre ou surtout aux portstout ensoleillés de Claude Lorrain.Enfin, dans cette nature harmonieuse, c'est la créature humaine elle-même qui est harmonieuse.

Les femmes nesont pas celles, modernes « pâles comme des cierges, Que ronge et que nourrit la débauche », mais au contraire,leur oeil « par sa franchise étonne ».

De même, l'homme qui habite cette nature et « dont le corps est mince etvigoureux, c'est « l'homme élégant, robuste et fort » des « époques nues » dont Baudelaire « aime le souvenir » etque la modernité et son ennui n'ont pas encore affaibli et enlaidi au point d'en faire ...

un cadavre hébétéOù coule, au lieu de sang, l'eau verte du Léthé. *** Ce monde de l'harmonie toutefois est « exotique » : il se situe en dehors, en pays étranger accessible seulement par. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles