Oublier, est-ce seulement une faiblesse ?
Publié le 17/01/2022
Extrait du document
Problématique: De prime abord, on considère l'oubli dans une perspective essentiellement négative. L'oubli ne serait que le contraire de la mémoire. Sa figure la plus évidente est le \"trou de mémoire\" ou, de façon plus grave, l'amnésie. La mémoire représenterait une force, une puissance de l'esprit, car elle est capable de faire subsister ce qui a déjà disparu. Elle permet à l'homme d'accéder à une identité personnelle car elle lui fait se souvenir de ses promesses, de ses décisions et de ce qu'il a été. Elle préserve aussi ses connaissances et son éducation. L'oubli serait alors un obstacle à l'exercice de cette puissance qui, par son étendue, nous distingue des animaux. Mais le sujet nous incite à dépasser cette vision réductrice de l'oubli et à lui chercher une fonction utile pour notre équilibre psychique. Que l'on songe, dans le traitement de ce sujet, à la maladie d' \"hypermnésie\" dont souffre un héros de Borgès, Funès, dans son ouvrage \"Fiction\", pour comprendre que l'oubli, lui aussi, peut nous aider la vivre. Les analyses de Nietzsche de l'oubli comme gardien de l'ordre psychique pourront être utiles. Introduction. On a tendance à voir dans l'oubli une défaillance ou une déficience de la mémoire. Ne peut-on pas dépasser cette conception négative de l'oubli ? L'oubli ne serait-il pas, au même titre que la mémoire, nécessaire à la vie ? Bref, peut-on vivre sans oublier ? L'oubli, condition de l'action. Distinguer deux mémoires. Procédons tout d'abord à une analyse de l'oubli, et par conséquent à une analyse de la mémoire, dont il est indissociable. Il convient de distinguer avec Bergson (Matière et Mémoire, rééd., PUF, 1985) deux sortes de mémoires, et par conséquent deux sortes d'oublis.
«
ce qu'est un bonheur » (Nietzsche, Considérations intempestives, II, 1).
C'est pourquoi l'homme « envie l'animal quioublie aussitôt et qui voit vraiment mourir l'instant dès qu'il retombe dans la brume et la nuit et s'éteint à jamais.L'animal vit d'une vie non historique, car il s'absorbe entièrement dans le moment présent » (ibid.).
Échapper au « torrent du devenir ».
Vivre avec la conscience du passé, c'est vivre dans la conscience du devenir, de ce constant écoulement de laréalité, de ce règne de l'Autre et du non-être.
Aussi « un homme qui serait incapable de rien oublier et qui seraitcondamné à ne voir partoutqu'un devenir, celui-là ne croirait plus en soi, il verrait tout se dissoudre en une infinité de points mouvants et finiraitpar se perdre dans ce torrent du devenir » (ibid.).
Le passé apparaît en outre à l'homme comme le règne del'irréversible et de l'irrémédiable.
L'instant présent, ouvert sur l'avenir, est le lieu du possible où l'homme peut exercerson vouloir-vivre, sa « volonté de puissance ».
Le passé, au contraire, métamorphose et fige la contingence duprésent en la nécessité du « cela a été ».
Dès lors, la volonté ne peut que se briser sur cette pétrification du passéqui se donne comme le contre-vouloir de cette volonté : « Le vouloir ne peut rien sur ce qui est derrière lui.
Nepouvoir détruire le temps, ni l'avidité dévorante du temps, telle est la détresse du vouloir » (Nietzsche, Ainsi parlaitZarathoustra, II, De la rédemption).
C'est pourquoi l'homme « s'arc-boute contre le poids de plus en plus lourd dupassé qui l'écrase ou le dévie, qui alourdit sa démarche comme un invisible fardeau de ténèbres » (Considérationsintempestives, loc.
cit.).
L'homme du ressentiment, malade de ne pouvoir oublier.
Sans l'oubli, l'homme ne peut pleinement vouloir, il ne peut réellement agir:sans l'oubli, l'homme est un être malade, il est l'homme du ressentiment.
PourNietzsche, en effet, la « santé » psychique dépend de la faculté de l'oubli «qui n'est pas une simple vis inertiae, comme le croient les esprits superficiels;c'est bien plutôt une faculté d'inhibition active, une faculté positive danstoute la force du terme » (Généalogie de la morale, II, 1).
Son rôle estd'empêcher l'envahissement de la conscience par les traces mnésiques, parles souvenirs.
Car alors l'homme réagit à ces traces et cette réaction entravel'action, l'empêche d'entreprendre et de réussir de nouvelles tâches.
Par elles,en effet, l'homme re-sent, et tant qu'elles sont présentes à la consciencel'homme n'en finit pas de re-sentir: « Il n'en finit avec rien » (ibid.).
Engluédans sa mémoire, l'homme s'en prend alors à l'objet de ces traces dont il subitl'effet avec un retard infini et en veut tirer vengeance : « On arrive à sedébarrasser de rien, on n'arrive à rien rejeter.
Tout blesse.
Les hommes et leschoses s'approchent indiscrètement de trop près, tous les événementslaissent des traces ; le souvenir est une plaie purulente » (Ecce Homo, I, 6).
Le désir de vengeance et le ressentimentCette tension de la vie pour se surmonter elle-même sous la forme de lavolonté de puissance peut-elle aller à l'infini ? Une ascension infinie n'est pas possible parce que la volonté vient se heurter au temps : la volonté de puissance vient achopper sur l'essence dutemps comme sur sa limite.
Elle peut bien vouloir l'avenir mais non pas le passé.
Si l'avenir est le domaine qui lui estouvert, le passé semble lui échapper pour toujours : « En arrière ne peut vouloir la volonté.
»La volonté ne peut vouloir en arrière que sous les formes morbides du désir de vengeance et du ressentiment.
Cettevolonté réactive ne veut pas simplement abolir ou annuler ceci ou cela, c'est contre le devenir lui-même dans cequ'il a d'irréversible et d'inexorable qu'elle s'exerce, parce que c'est à sa propre impuissance à vouloir pour le passéqu'elle se trouve confrontée.
Du refoulement à la réappropriation de son passé.
On peut se demander si l'oubli ne s'inscrit pas au plus profond du psychisme humain, dans l'inconscient, et si cetteforme d'oubli, ou refoulement, ne peut avoir des conséquences pathogènes.
L'oubli comme refoulement..
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓
Liens utiles
- « Tout existant naît sans raison, se prolonge par faiblesse et meurt par rencontre » JEAN-PAUL SARTRE
- faut-il oublier l'enfant que l'on a été ?
- CONSÉCRATION DE LA FAIBLESSE (La) (résumé & analyse)
- ART D’OUBLIER LE DÉPLAISIR (L ) John Cowper Powys (résumé)
- Oublier le passé pour construire l'avenir