On n'apprend pas la philosophie, on apprend à philosopher
Publié le 19/03/2004
Extrait du document
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II.
— RÉPONSE A LA QUESTION POSÉE.
Nous examinerons successivement les deux assertions du petit texte deKANT:
A.
— « On n'apprend pas la philosophie ».Cette négation ne nous paraît pas acceptable sous sa forme absolue.
Sansdoute, un vrai philosophe ne se contente pas d'apprendre la philosophie,c'est-à-dire d'emmagasiner un certain savoir relatif aux problèmesphilosophiques et aux solutions qui leur ont été apportées au cours des âges.Ce savoir peut permettre de répondre à un examinateur, mais on n'est pasphilosophe pour avoir été reçu à un examen.Il n'en reste pas moins que, en fait et en droit, les vrais philosophesapprennent la philosophie au sens qui a été précisé.En fait, dans ce domaine, il n'y a pas d'autodidactes qui aboutissent à unrésultat valable : les grands penseurs se rattachent à une tradition, soit qu'ilsla continuent, soit qu'ils réagissent contre elle — ce qui suppose qu'ils ont «appris » nombre de faits la concernant : il serait facile de donner desexemples.En droit, il serait prétentieux et chimérique de tirer tout un système depensée de notre propre fonds : nous devons être enseignés; même une foisinstruits, nous ne pensons jamais seuls, mais avec d'autres ou contred'autres; pour devenir philosophe, il faut entrer en relations intimes avec lesgrands noms de la philosophie et par suite, « apprendre » la philosophie.
B.
— « On apprend à philosopher ».Cette seconde partie de la pensée de KANT, elle aussi et plus encore peut-être, ne nous donne qu'une satisfactiontrès incomplète.
D'abord parce que, comme il a été dit, « apprend » n'y a pas le même sens que dans la proposition antithétique : onn'apprend pas à philosopher comme on apprend la philosophie, c'est-à-dire par des exercices qui relèvent surtout dela mémoire.
S'il est possible d'apprendre à philosopher, ce ne peut être que par un apprentissage.Ensuite, il n'est pas évident que l'on puisse parler d'un véritable apprentissage de la philosophie.
A moins de contre-indications flagrantes, l'adolescent qui entre dans une école d'apprentissage est moralement sûr d'en sortir avec sonC.A.P.
et d'obtenir un jour la qualification d'ouvrier spécialisé.
Peut-on en dire autant de celui qui prépare, non passeulement le baccalauréat, mais encore la licence et même l'agrégation de philosophie ? Le succès à ces examensmontre, à des niveaux divers, qu'on a appris la philosophie; prouve-t-il une capacité particulière dans l'art dephilosopher ?Si philosopher consiste à chercher la raison des choses, on ne peut pas dire que cet art s'apprenne.
Avant toutefréquentation d'école, l'enfant pose d'insatiables « pourquoi ? ».
Ce qu'il apprend lui ferait plutôt perdre cettecuriosité naturelle.Que si l'on réserve « philosopher » pour désigner l'activité mentale de celui qui élabore une conception personnellede l'ensemble du réel, il faudrait reconnaître que l'apprentissage philosophique ne réussit guère : pour un philosophequi a une pensée personnelle, combien en compte-t-on qui se contentent d'étudier la pensée des autres ou de ladiscuter, sans aboutir eux-mêmes à une doctrine positive ! Il serait facile de citer, parmi nos contemporains, destitulaires de grandes chaires de philosophie qui, dans ce domaine, savent tout, qui ont lu tout ce qui a été publié,mais qui n'ont pas élaboré une philosophie personnelle.
Nous serions donc porté à dire : on naît philosophe, ou dumoins avec un esprit philosophique, on n'apprend pas à le devenir; ce qu'on apprend ne fait que mettre au jour desdispositions congénitales.Il reste donc, semble-t-il, que seules peuvent s'apprendre certaines techniques philosophiques : l'art de poser lesquestions, de présenter les arguments, de résoudre les difficultés.
C'est le but essentiel de la dissertationphilosophique.
Mais cette sorte de dissertation ne diffère pas radicalement des autres.
Avec une certaineadaptation, les techniques de composition que le professeur de philosophie tâche d'apprendre à ses élèves ont déjàété données dans les classes de lettres, et on les reprendra si l'on veut apprendre à rédiger une plaidoirie, undiscours politique ou même un rapport financier.
Ce « philosopher » qui s'apprend n'est donc pas spécifiquementphilosophique.
Ainsi, il nous semble difficile de trouver un sens parfaitement valable à l'assertion : « on apprend àphilosopher ».
CONCLUSION. — De la part d'un novice philosophe, il eût peut-être été plus conforme à la règle ordinaire du jeu de faire siennes les assertions de KANT en les interprétant dans un sens où elles sont indiscutablement vraies.
Maisalors, je me serais trop comporté comme celui qui « apprend » et répète la leçon magistrale.
J'ai cru pouvoir, fidèle àla consigne d'un grand maître, philosopher librement, et j'ai abouti ainsi à ce résultat : sans doute, la philosophie estaffaire de réflexion personnelle et non d'accumulation de savoir (c'est la vérité profonde du texte); mais l'oppositionétablie par Kant ne me paraît pas heureuse car il n'est pas exact qu'un vrai philosophe ne doive pas apprendre laphilo, et s'il apprend à philosopher, il ne l'apprend pas comme on apprend la philosophie..
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