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On dit souvent pour expliquer ou même excuser un comportement humain : "c'est naturel". Que faut-il en penser ?

Publié le 17/01/2022

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On dit souvent pour expliquer ou même excuser un comportement humain : "C'est naturel.". Que faut-il en penser ?

Définitions des termes de la question.

  • Expliquer, c'est rendre compte, donner les raisons cad les raisons d'un acte.
  • Excuser, c'est innocenter, pardonner.Comportement humain : toute action accomplie par un homme que cette action soit volontaire ou non.Naturel : ici, synonyme de normal, de souhaitable, de légitime.

Problématique. On pense pouvoir rendre compte ou expliquer un comportement en le disant naturel.

L'énoncé est ici très long. Ne perdez pas de vue l'essentiel, l'analyse critique de l'expression : «c'est naturel«. Remarquez aussi que l'énoncé indique un plan général qu'il serait judicieux de suivre.
Le même sujet a également été proposé en juin 1988 dans l'Académie de Grenoble (et académies rattachées) sous une forme un peu énigmatique : Que pensez-vous de ces propos : «Devant les choses de la vie, ne dis jamais : "c'est naturel". Contrôle l'addition, c'est toi qui la paies«. Cette formulation invite le candidat à étudier l'expression : «C'est naturel« de manière critique. Mais cela suppose d'abord qu'on la comprenne bien, afin de percevoir les raisons pour lesquelles elle peut être lourde de conséquences pour notre existence, pour notre liberté.

« 1.

C'est normal a) Le premier sens de normal Lorsque nous disons qu'un comportement est «naturel», nous voulons faire comprendre qu'à nos yeux il est normal,en ce sens d'abord qu'il nous paraît conforme à ce qui est ou se fait habituellement, dans la majorité des cas.Autrement dit, nous semblons établir un constat: telle conduite ou tel événement a des caractères ordinaires, qu'ona déjà pu observer.

On est en présence de quelque chose qui va de soi, qui n'a rien de bizarre.

Par exemple, on dira qu'il est bien naturel ou normal qu'un candidat soit un peu inquiet la veille de son examen :cette situation fait généralement naître une certaine anxiété et c'est l'absence totale d'anxiété qui paraîtraitsurprenante.

Ou encore, on jugera naturel qu'une mère prenne soin de ses enfants, qu'elle se conduise comme on seconduit le plus souvent. b) Le second sens de normal Toutefois, la formule «c'est naturel» n'exprime pas un simple constat.

Elle peut aussi énoncer un véritablejugement de valeur.

«C'est naturel», autrement dit : c'est normal, mais en un sens nouveau : c'est conforme àcequi doit être, à une règle qu'on tient pour bonne, c'est comme il est bien ou juste que ce soit.

Par exemple, trouver naturel qu'une mère s'occupe d'une certaine façon, jugée convenable, de ses enfants, revientà approuver sa conduite sur le plan moral.

Et inversement, celui qui parle de parents «dénaturés» les accuse ou lescondamne : il ne se contente nullement de trouver leur comportement inhabituel.

C'est encore plus net dansl'expression : une conduite «contre nature», qui, note Lalande, «est une expression énergique de réprobationmorale» à l'égard de manières d'agir qu'on estime, à tort ou à raison, non seulement peu fréquentes mais mauvaises,choquantes, voire monstrueuses.

Mais pourquoi utilise-t-on précisément le mot «naturel» et non un autre mot pour exprimer ces idées ? Pourquoidire «c'est naturel» plutôt que «c'est normal», par exemple ? Que faut-il penser de la présence ici du concept de«nature?» 2.

C'est compréhensible, excusable a) Des conduites qui dépendraient de notre nature Ce qu'on dit être «naturel», ce n'est pas seulement qu'une femme, par exemple, désire avoir des enfants ou qu'unemère aime ceux qu'elle a mis au 'monde.

Le mot «c'est naturel» s'appliquera non seulement aux conduites«normales» de ces personnes, mais aussi à certaines manières d'agir, même «anormales» (aux deux sens du mot),lorsque celle-ci paraîtront clairement explicables par leur «nature» même.

Ne dit-on pas d'une mère qui cherche par exemple à aider ou à protéger son enfant d'une manière plus ou moinshonnête, que sa conduite est peut-être blâmable, mais finalement, «au fond, bien naturelle» ? On a en effet lesentiment qu'en agissant de la sorte cette mère se conforme à ce que sa nature de mère lui dicte.

On comprenddonc ses réactions, et même on les excuse.

«C'est naturel» : n'est-ce pas justifié par la «nature» même de lapersonne.

De façon analogue, «c'est humain» s'applique à des attitudes qu'on croit pouvoir rattacher à la «nature»humaine et, par là, excuser. b) Les lois de la nature Si donc paraît naturel un comportement qu'explique la «nature» de celui qui agit, on comprend que l'expression«c'est naturel» suggère encore l'idée que le comportement a quelque chose de spontané, de nécessaire.

Il ne seraitpas calculé, ne résulterait pas d'une réflexion mais s'expliquerait plus par une sorte d'instinct que par une véritabledécision volontaire.

Autrement dit, on ne peut reprocher à quelqu'un de se conduire selon les lois de sa nature : celles-ci paraissentd'abord plus fortes que lui, elles guident sa volonté.

Mais peut-on tenir pour vraies les idées que suggère de la sorte une expression commune ? Ne sommes-nous pasen présence d'idées reçues, d'opinions dont l'évidence doit être interrogée sur le plan philosophique ? 3.

Interrogations a) Le problème moral «C'est par la maternité que la femme accomplit intégralement son destin physiologique ; c'est là sa vocation«naturelle» puisque tout son organisme est orienté vers la perpétuation de l'espèce», écrit Simone de Beauvoir (Ledeuxième sexe, 1949, Idées, II, p.

134).

Sur ce plan, il est donc tout naturel qu'une femme ait des enfants.

Mais,ajoute l'auteur, «la société humaine n'est jamais abandonnée à la nature».

En effet, « la nature ne saurait jamais dicter de choix moral; celui-ci implique un engagement» (id., p.

197).

Unacte qui résulterait mécaniquement de l'être naturel serait sans aucune valeur morale : les battements du coeur oula respiration, comme mécanismes biologiques, ne sont ni bons ni mauvais.

Pour avoir une valeur morale, uneconduite doit être voulue par une conscience libre, qui aurait pu choisir une autre conduite.b) La question de la libertéC'est donc la liberté de la personne qui pourrait être mise en cause par la formule banale : c'est naturel, appliquée àses conduites.

L'idée d'une conscience qui travaillé à le libérer des déterminismes qui peuvent peser sur elle estremplacée par l'idée d'un destin dont on prétend constater qu'il explique et excuse les comportements.

Cette femmen'avait pas le choix.

Elle a fait «naturellement» ce que sa «nature» rendait nécessaire ou fatal.

Mais est-il légitimede parler ici de «nature» ?. »

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