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nous parlons dans un monde, nos voyons dans l'autre

Publié le 04/04/2023

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« Nous parlons dans un monde, nous voyons dans un autre Introduction Parler dans un monde et voir dans un autre pourrait poser la question de l'unité âme-corps dans son rapport au monde.

Car tout cela serait du corps : parler - faire passer de l'air issu de la respiration à travers les cordes vocales dans le larynx - tout comme voir ne sont-ils pas situés dans le corps de l'être humain vivant ? Voir aussi est une fonction corporelle qui repose sur un système organique de réception et de conversion des photons lumineux en influx nerveux, eux-mêmes convertis en images par les ères du lobe occipital à l'arrière du cerveau. Au contraire, ne faut-il pas voir dans ce sujet, comme il semble nous y inviter, une distinction entre le rapport au monde fondé sur la parole et celui fondé sur la vue ? Faut-il y voir une opposition, voire le fameux dualisme de l'âme et du corps ? La parole étant plutôt du côté des idées, de la théorie, de l'âme, et la vision plus ancrée dans les sens - dans la corporéité ? D'un point de vue contemporain, pour lequel tout est corps y compris l'âme (comme le dit Niezsche au chapitre 3 de son Ainsi parlait Zarathoustra : “l'âme est quelque chose du corps”), la question n'aurait-elle pas pour enjeu la place du corps dans le rapport au monde ? Mais alors, qui est le "nous" ("nous parlons", "nous voyons") ? Quels sont les corps des êtres vivants dont nous, les êtres humains, faisons partie, et qui seraient ici en jeu ? N'y a-t-il que nous à parler et voir le monde, ou des mondes ? I L'unité, bon an mal an dans ce monde, de la parole et du sens de la vue On peut peut-être partir d'une certaine dichotomie de la parole et de la vue.

Mais nous allons voir qu'elle-même ne fonde pas deux mondes, mais plutôt deux rapports distincts au monde, lesquels se produisent à l'intérieur de nous-même.

Il n'y a pas, de ce point de vue, le monde de la vision d'un côté - le monde sensible -, et de l'autre la parole qui serait liée au monde intelligible. Réfléchissons en effet à ce que signifie parler et voir, et au genre de rapport au monde qu'ils induisent, dans le contexte de la caverne imaginée par Platon au début du livre VII de sa République. Dans la caverne platonicienne, il y a un double statut de la parole et de la vision à la fois dans et à l'extérieur de la caverne.

Nos deux prochaines parties vont en rendre compte pour globalement contester que parole et vision génèrent des mondes distincts. Plaçons-nous d'abord dans et à proximité de la caverne, c'est-à-dire dans ce qui est communément reçu par les lectures de ce texte comme étant "le monde", c'est-à-dire ce monde. De ce point de vue, si l'on prend la parole et la vision qui concernent des “prisonniers” placés par Platon face à une “paroi” qui est tout au fond de cette caverne, l'on parle de facultés qui, avec les "prisonniers", concernent en fait la partie sensitive de l'âme humaine, la dimension appétitive ou inférieure de l'âme humaine, précisément symbolisée par les prisonniers... 1) Ce n'est pas depuis l'autre monde que nous parlons Parler, dans ce contexte caverneux...

ou disons mondain ou intramondain, n'est pas comme laisser Dieu parler depuis l'autre monde par notre bouche en ce monde...

S'agissant en effet de la seule parole et du monde qui lui correspond dans l'allégorie platonicienne, ce ne sont pas, en vérité, les prisonniers que Platon imagine qui parlent ; ni non plus les ombres que ces derniers ont devant les yeux.

Ceux qui parlent sont les personnages qui sont placés derrière les prisonniers, loin au-dessus de ces derniers, vers ou au-delà de la sortie de la caverne, tous situés derrière le muret qui est lui-même à mi-chemin entre la paroi de la caverne et le soleil accroché par Platon dans le ciel de son mythe... Cependant, les prisonniers eux-mêmes prennent ces paroles (qu'ils entendent plutôt qu'ils ne les prononcent) comme étant celles des ombres qui s'agitent sur la paroi qu'ils regardent.

Ces ombres elles-mêmes renvoient à l'ensemble du monde physique tridimensionnel, à toute la réalité phénoménale, en un mot à tous les corps. Mais en vérité ces ombres ne parlent pas : les paroles ne sont que l'écho sur la paroi des paroles justement prononcées derrière le muret par ces personnages porteurs de figurines et autres marionnettes, i.e.

par notre âme ratiocinante, par ce qui en nous, les êtres humains, a affaire aux ideaï, par l'intelligence ou la raison, pour s'en tenir ici à l'interprétation proposée par Jean-Louis Cherlonneix au § 103 de L'Esprit Matériel.

Nouvelle anatomie où l'on profane et décrit par le menu les derniers secrets de Platon (Paris, L'Harmattan, 2006, p.

234). Donc la parole a beau venir de personnages à l'extérieur de la caverne, elle ne vient pas vraiment de l'autre monde : ce n'est pas le soleil qui parle en effet : ce n'est pas Dieu qui parle lorsque parlent les personnages derrière le muret que, sans le savoir, entendent les prisonniers ! Et nous examinerons plus tard parole et vision du point de vue de l'autre monde, du point de vue du soleil, symbole du bien "au-delà des ideaï" comme il est dit dans le Banquet, du point de vue du pur esprit sorti du monde.

Le soleil, c'est-à-dire Dieu, voit-il ? Parle-t-il ? - En tout cas nous verrons que ce soleil constitue à lui seul le vrai monde accroché par Platon à l'autre extrémité de son mythe, soit à l'opposé de la paroi de la caverne, soit dans le ciel de l'au-delà du ciel terrestre, au-dessus de la voûte céleste, bref hors du monde au sens de ce monde... 2) Parler et voir restent tournés vers le monde sensible, même si parler a davantage affaire au monde des idées Si la parole vient des personnages derrière le muret platonicien, soit de l'intelligence à mi-chemin entre le monde du pur esprit et le monde des corps, l'on voit que la parole n'a tout de même pas le même statut que le sens de la vue des prisonniers obnubilés par les ombres (les corps), pleinement pris qu'ils sont dans un rapport exclusivement sensible au monde. Alors, dans ce contexte, nous (nous les âmes humaines réfléchissantes) parlons les ideaï et nous (nous toujours les âmes humaines mais appétitives) voyons les ombres...

C'est-à-dire que les personnages qui parlent derrière le muret renvoient à notre faculté de connaître, de "tenir" les idées, de les regarder.

Mais ils ne sont pas contrairement au Dieu soleil - complètement coupés : les personnages derrière le muret ne sont pas tout autre que les prisonniers qui regardent défiler les ombres sur la paroi. Simplement parler, tout comme tenir et regarder les idées et donc, là aussi "voir" les ideaï (même si, ici, c'est voir autrement qu'avec les yeux des prisonniers), “voir” les figurines ou marionnettes que tiennent ces personnages derrière le muret, relève de la connaissance des idées et, plus généralement, de l'intérêt pour l'autre et véritable monde des ideaï par rapport auquel même les personnages derrière le muret restent à mi-chemin. Donc oui nous parlons au sens où l'intelligence parle et "voit" (i.e.

connaît) à mi-chemin du monde des idées, dont l'origine est le soleil sive le pur esprit.

Il y aurait bien quelque chose de plus spirituel dans le rapport au monde articulé par la parole imagée par celle de ces personnages. Et nous voyons au sens où les appétits, c'est-à-dire les prisonniers sont sinon ignorants et coupés, du moins à une certaine distance du personnage qui leur correspond derrière le muret.

Ce qu'ils voient les place loin de leur propre double ratiocinant, de leur homologue rationnel situé, lui, derrière le muret et dont les paroles et la "vision" sont davantage concernés par un ailleurs (qui serait plus véritable que l'ici-bas des prisonniers). Donc, au sens le plus physique du terme, voir en prisonnier c'est voir les ombres dans un rapport sensible au monde, c'est voir les corps avec les yeux du corps.

Le prisonnier, comme prisonnier du monde sensible, est éloigné du fait que la même âme humaine qui parle les ideaï (le personnage derrière le muret) parle depuis une certaine extra-cavernalité, depuis une semi-appartenance à une réalité supra-mondaine. Dès lors, il faut plutôt conclure (à partir du dispositif allégorique du livre VII avec lequel Platon donne à penser le rapport au monde induit par la parole et les sens et notamment la vue), que nous sommes bien les mêmes êtres dans les deux cas, même si ces deux cas induisent une certaine distance entre les deux instances à l'intérieur de nous-même (le prisonnier et le personnage derrière le muret).

Les mêmes âmes humaines tantôt voient par les sens en se laissant obséder par les corps dans le monde des corps (avec les yeux du corps : c'est le prisonnier) ; et tantôt.... »

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