Notre vie affective est un « jardin secret ». Cependant on lui a assigné des conditions sociales. Y a-t-il contradiction entre ces deux assertions ?
Publié le 15/09/2014
Extrait du document
Tout d'abord, il n'est pas vrai que nous lisions comme à livre ouvert, sur le visage des autres, les sentiments qu'ils éprouvent. Non seulement un Européen ne comprendra pas, d'après ses jeux de physionomie, l'état d'âme d'un Chinois ou d'un Indien, mais un manoeuvre pourra longtemps réfléchir sur la mimique d'un diplomate sans parvenir à se faire une idée des sentiments qu'il éprouve, tout comme le diplomate affiné restera, devant les manifestations extérieures du manoeuvre comme devant un texte presque indéchiffrable. Bien plus, l'interpénétration des consciences, entre gens de même culture, est le résultat d'un contact prolongé et, par suite, un fait d'exception : notre jardin intérieur reste secret pour l'ensemble des hommes.
«
tions se trahirait malgré lui : nos yeux, notre physionomie, le
ton de notre voix, nos
silences eux-mêmes, sont autant de
moyens, pour quiconque
sait voir, d'entrer dans le mystère de
notre cœur.
B.
Mais, si nous prenons de la réalité une vue plus pro
fonde, la première impression sera sans doute grandement mo
difiée.
Tout d'abord, il
n'est pas vrai que nous lisions comme à
livre ouvert, sur le visage des autres, les sentiments qu'ils
é13rouvent.
Non seulement un Européen ne comprendra pas,
d'après ses
jeux de physionomie, l'état d'âme d'un Chinois ou
d'un Indien, mais un manœuvre pourra longtemps réfléchir sur
la mimique d'un diplomate sans parvenir à se faire une idée
des
sentiments qu'il éprouve, tout comme le diplomate affiné
restera, devant les
manifestations extérieures du manœuvre
comme devant
un texte presque indéchiffrable.
Bien plus, l'inter
pénétration des consciences, entre gens de même culture, est
le résultat d'un contact prolongé et, par suite, un fait d'excep
tion : notre jardin intérieur reste secret pour l'ensemble des
hommes.
Est-il
d'ailleurs sans mystère pour les privilégiés à qui il
est donné de nous comprendre ? Tout d'abord, de notre vie inté
rieure et spécialement de notre vie affective, nous n'extério
risons qu'une partie: les sentiments qui nous humilieraient ou
qui
pourraient blesser, nous les laissons habMement dans l'om
bre.
Sans doute, ils se trahissent parfois malgré nous.
Mais
combien de fois aussi ne donnons-nous pas
extérieurement les
signes de
sentiments que nous n'éprouvons pas ? Enfin, la meil
leure manière, pour les autres, de nous comprendre, c'est encore
de
réaliser en eux-mêmes ce qui se passe en nous: mais ils
restent ainsi renfermés dans leur " jardin secret " ; ils ne pénè
trent pas dans le nôtre.
Enfin, ce
mystérieux jardin ne conserve-t-il pas quelques
secrets
pour celui qui y habite lui-même ? Nous savons peut
être, si nous avons l'habitude de l'introspection, quelles sont
nos sympathies et nos aversions ; mais savons-nous les raisons
dernières de nos préférences, les causes vraies de nos
joies
et de nos tristesses ? Pouvons-nous enfin pénétrer jusqu'au
centre même de notre cœur et comme au nerf de notre affec
tivité et décider de ce qu'ils valent? Bien téméraire serait celui
qui
prétendrait avoir de soi-même une connaissance excluant
tout mystère et tout secret..
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