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Notre rapport au monde est-il essentiellement technique ?

Publié le 20/03/2004

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technique
Ce besoin de transformer le monde extérieur pour s'y reconnaître soi-même, observe Hegel, est au coeur du phénomène de l'art, par lequel l'homme tente de se placer en face de ce qu'il est. Or ce que Hegel dit de l'art, en tant qu'activité gratuite, ayant éventuellement pour finalité le beau, vaut pour l'art au sens le plus général, c'est-à-dire celui de technique. ■ Ainsi l'essence de la technique consisterait dans un besoin d'affirmation de la conscience de soi contre le monde. Certes, la technique vise l'utilité ; mais cette utilité, au fond, ne la caractérise pas (beaucoup d'inventions techniques sont inutiles et beaucoup sont inutilisées) : ce qui caractérise un objet technique, un outil, ce qui le distingue de l'instrument que l'animal peut utiliser, c'est que l'homme reconnaît cet instrument comme sien, comme un produit de son activité, de sa conscience, tandis que l'animal ne se reconnaîtra jamais dans l'instrument qu'il oublie aussitôt utilisé. La technique est donc liée à la conscience et réciproquement toute conscience est implicitement technique. Notre rapport au monde apparaît donc bien essentiellement technique. Précisons-en les caractéristiques. b) Faire violence à la nature et la soumettre L'objet technique le plus simple est arraché à la nature, et lui est opposé. C'est pourquoi Aristote voyait à juste titre dans la technique une violence. La technique fait violence à la nature et vise à la dominer.
Attention à la compréhension de l'expression rapport au monde : il faut entendre par là notre mode de relation au monde, notre manière de l'appréhender, de le considérer, de le penser, d'agir sur lui ou de le subir. Attention également au terme essentiellement : on ne demande pas simplement si la technique joue ou non un rôle dans notre rapport au monde, mais si ce rôle éventuel est fondamental, s'il est constitutif de notre rapport au monde, si notre rapport technique avec le monde est le plus important. Il convient donc d'éviter : 1) une énuméralion des objets et des moyens techniques dont use l'homme ; 2) une réflexion sur les bienfaits ou les dangers de la technique, car on ne demande pas de juger ce «rapport au monde«, mais seulement de l'analyser, de le définir.

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« 2.

Échapper à la prison du moi a) Un mouvement paradoxal de la conscience Schopenhauer observait que "Chacun est heureux quand il est touteschoses, et malheureux quand il n'est qu'un individu» (Le Monde commevolonté et comme représentation).

Telle est la condition tragique de laconscience de soi : car dès lors qu'elle s'affirme, la conscience de soi, parcequ'elle prend conscience de son individualité, de ses limites, est uneconscience malheureuse.

C'est pourquoi la conscience de soi, en même temps qu'elle demande à latechnique de l'affirmer, contre le monde, comme conscience de soi, va luidemander de faire éclater les limites de son individualité pour pouvoirs'identifier au monde lui-même. b) «Une tentative de transincarnation» Cette dimension ontologique et existentielle de la technique a été soulignéeavec force par J.

Brun, qui écrit : «Prolongement de la main, l'outil et lamachine constituent des ramifications du geste ; or le geste est, avec lavoix, l'expérience fondamentale par laquelle l'homme s'ouvre à ce quil'environne afin de mettre sa signature hors de lui.

Qu'est-ce d'autre que faireun geste sinon jeter un pont vers autrui par-delà l'espace et le temps quinous en séparent? Dans la machine l'homme a cherché à projeter l'essenceextatique et libératrice du geste qui, dans la danse dionysiaque, revêt lecaractère d'un délire orgiastique.» (Le retour de Dionysos, Paris, 1969, p.

60). Ainsi donc, «l'outil est une projection de la main, la machine est une transposition de l'organisme humain, projectionet transposition dont il ne faut pas se contenter de rendre compte en termes d'analogies anatomiques oufonctionnelles, mais qui constituent autant de concrétions du Désir, errant du moi au toi, aspirant finalement àbondir par-delà l'un et l'autre pour devenir co-extensif au Tout».

(Les masques du désir, p.

21.) On peut, dans cette perspective, analyser les différentes inventions techniques comme autant de tentativesd'échapper à l'espace et au temps : par exemple, l'invention des moyens de transports toujours plus rapidestémoigne du désir désespéré de la conscience de soi d'être partout à la fois, d'être douée comme Dieu du dond'ubiquité ; semblablement l'invention du phonographe, de la photographie, du cinéma, témoigne du désir demaîtriser le temps d'être de tous temps.

Bref, «couper les licous du Temps et de l'Espace, couper les licous del'existence, telle est la mission ontologique dont la technique a été surinvestie ; elle est ce à quoi l'homme a vouluconfier le pouvoir extatique de l'arracher au ghetto humain» (J.

Brun, Les masques du désir, pp.

15-16). Conclusion On peut avancer que notre rapport au monde est essentiellement technique dans la mesure où la techniquemanifeste le double mouvement de la conscience de soi : mouvement d'affirmation de la conscience de soi contre lemonde, puis mouvement de négation de la conscience de soi désireuse de s'identifier au monde.

Car, comme l'écritJean Brun, «l'existence est malade d'elle-même, malade du Monde, malade du Mal, et la "santé"à laquelle elle aspirela pousse à vouloir sortir de l'univers qu'elle est à elle-même» et «la technique est une tentation et une tentative detransincarnation dont l'homme attend la guérison de lui-même» (Les masques du désir, pp.

16 et 61 ).

Mais direqu'en effet notre rapport au monde est essentiellement technique ne signifie pas qu'il ne peut être que cela : sansdoute est-il possible de le surmonter, par la contemplation, la connaissance désintéressée et l'acceptation de notrecondition.. »

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