« Nommer un objet, prétend Stéphane Mallarmé, c'est supprimer les trois quarts de la jouissance du poème qui est faite de deviner peu à peu : le suggérer, voilà le rêve... Il doit y avoir toujours énigme en poésie, et c'est le but de la littérature, — il n'y en a pas d'autres — d'évoquer les objets. » (Sur l'Évolution littéraire : réponse à l'enquête de Jules Huret, 1981.) En vous fondant sur des exemples précis, vous essaierez de commenter cette conception de la poésie chez Mallarmé.
Publié le 21/03/2009
Extrait du document
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mais la recréer, par l'allusion.
Les Parnassiens, en dépit de leur culte de la forme, restent trop près de la simpledescription des objets.• Son art au contraire se rapproche de la musique ou de l'art abstrait, qui évoquent les sentiments ou les sensationspar les sons et des couleurs, ou bien se goûtent pour eux-mêmes :— Il préconise un « idéalisme qui (pareillement aux fugues, aux sonates) refuse les matériaux naturels et, commebrutale, une pensée exacte les ordonnant; pour ne garder de rien que la suggestion » (Variations sur un sujet).— Les mots, perdant leur sens habituel dans un contexte étrange, « s'allument de reflets réciproques comme unevirtuelle traînée de feu sur des pierreries ».• Parfaitement conscient de son hermétisme, il le revendique, pensant que l'artiste est un « aristocrate » quis'adresse à une élite.
Le lecteur peut trouver l'énigme en écoutant le poème et en le relisant attentivement, enparcourant toute l'œuvre pour découvrir les thèmes obsessionnels...
Un effort est nécessaire pour apprécier unauteur qui travaillait ses œuvres au point d'écrire en moyenne vingt vers par an !
3.
Poètes ayant cette conception :
• Rimbaud « fixe des vertiges » dans les Illuminations.
« Les Ponts » par exemple laissent le lecteur sur uneimpression d'énigme : s'agit-il d'une description de ville réelle? d'une estampe ? d'une hallucination ?• Nerval, dans les Chimères, fait parfois appel à l'ésotérisme.• Saint-John Perse dans l'Anabase compose un voyage spirituel avec des images flamboyantes et obscures...
II.
La poésie a d'autres buts.
La définition de Mallarmé ne correspond pas à tous les poèmes.
1.
Les poèmes transparents
Beaucoup, et parmi ceux qui ont le plus de charme, n'ont jamais requis d'explication.• Poésie descriptive, épique ou lyrique, qui peint les beautés de la nature ou les sentiments émouvants :— certains textes de V.
Hugo: «Demain, dès l'aube...»; l'expression de la fuite du temps et de l'amour dans Le Lacde Lamartine.— Les chansons des troubadours.— La Fontaine, poèmes d'amour de Ronsard, regret de la patrie chez Du Bellay...• La poésie didactique donne des leçons, fait connaître le monde, s'engage, comme la poésie satirique :
— Hymnes et Discours de Ronsard, Les Destinées de Vigny.— Les Châtiments de V.
Hugo.
2.
Une poésie pour le peuple
Bien des auteurs pensent que la poésie, loin d'être un luxe réservé à une élite, joue un rôle dans la société pourguider la foule vers les aspirations les plus hautes, ou la distraire par la beauté.• C'est le cas du Romantisme.
Pour Lamartine, dans la seconde Préface des Méditations, « La poésie sera de laraison chantée, voilà sa destinée pour longtemps; elle sera philosophique, religieuse, politique, sociale, comme lesépoques que le genre humain va accomplir...
Elle va se faire peuple, et devenir populaire comme la religion, la raisonet la philosophie ».• Des poètes du xxe siècle, malgré la condamnation du Romantisme par Mallarmé, perpétuent cette veine del'engagement et du lyrisme :— engagement d'Aragon (La Diane Française) ou de P.
Emmanuel durant la Résistance.
Penser à « Liberté » de P.Eluard.— poésie du quotidien chez Prévert ; Calligrammes d'Apollinaire, où les objets (la Tour Eiffel, une fontaine) sont nonseulement décrits mais imités visuellement par la disposition des mots.— Chansons de Brel, de Brassens, de Trenet ; F.
Carco chanté par F.
Lemarque.
3.
Mystère de la simplicité
Ces poèmes se donnent immédiatement grâce à leur vocabulaire très simple et aux images facilementcompréhensibles.
Mais ils ne sont pas dépourvus de mystère, pour plusieurs raisons.• La profondeur de l'observation, l'expression réussie de thèmes universels :— Ex : La Jeune Veuve de La Fontaine, au-delà d'une subtile et légère satire de la versatilité féminine, charme par lemythe du temps cyclique.— Ex : la peinture de la déchéance physique et le regret de la vie à l'approche de la mort dans les Derniers Vers deRonsard.• Le mystère peut être extérieur au poème, qui tente d'exprimer l'inexprimable, par exemple l'unité du monde.— Ex : Eclaircie et autres textes de Hugo dans Les Contemplations sur la Nature et la présence de Dieu en elle.— Ex : Supervielle veut une poésie simple, mais son angoisse de l'absence et du silence des choses les rendétranges.
Voir « L'Arbre » dans le recueil Les Amis inconnus.• La description des objets peut accentuer leur mystère au lieu de le supprimer, lorsque les points de vue sontinhabituels.— Ex : Le Parti pris des choses de Ponge..
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- Nommer un objet, c'est supprimer les trois quarts de la jouissance du poème qui est faite de deviner peu à peu : le suggérer, voilà le rêve. Stéphane Mallarmé.
- « Nommer un objet c’est supprimer les trois quarts de la jouissance du texte qui est faite de deviner peu à peu. Le suggérer voilà le rêve. »
- Un universitaire contemporain, Jean Onimus, réfléchissant sur l'étude de la littérature, écrit : « L'inquiétude c'est la vie même de la conscience. Toute vie suppose effort, dépense de forces. Ce que cherchent les élèves trop souvent, c'est une réponse de catéchisme : "ce qu'il faut penser de..." et, dans leurs devoirs, ce qu'ils disent c'est ce qu'ils croient que l'on doit dire. Or le principe de l'enseignement littéraire est de leur faire admettre qu'il n'y a pas de dogme tout fait e
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