Nietzsche, Par-delà le bien et le mal, paragraphe 212 (commentaire)
Publié le 11/04/2012
Extrait du document
Il me semble de plus en plus que le philosophe, étant nécessairement l'homme de demain ou d'après-demain, s'est de tout temps trouvé en contradiction avec le présent; il a toujours eu pour ennemi l'idéal du jour. Tous ces extraordinaires pionniers de l'humanité qu'on appelle des philosophes et qui eux-mêmes ont rarement cru être les amis de la sagesse mais plutôt des fous déplaisants et de
dangereuses énigmes, se sont toujours assigné une tâche dure, involontaire, inéluctable, mais dont ils ont fini par découvrir la grandeur, celle d'être la mauvaise conscience de leur temps. [ ... ]
En présence d'un monde d' "idées modernes" qui voudrait confiner chacun de nous dans son coin et dans sa "spécialité'; le philosophe, s'il en était encore de nos
jours, se sentirait contraint de faire consister la grandeur de l'homme et la notion même de la "grandeur" dans l'étendue et la diversité des facultés, dans la totalité, qui réunit des traits multiples; il déterminerait même la valeur et le rang d'un chacun d'après l'ampleur qu'il saurait donner à sa responsabilité. Aujourd'hui la vertu et le goilt du jour affaiblissent et diluent le vouloir, rien n'est plus à la mode que la débilité du vouloir.
«
Structure du texte
Les deux paragraphes correspondent à deux moments, qui s'articulent
selon un passage
du plus général au plus particulier : du statut général de
la critique philosophique
à sa mise en œuvre particulière dans l'approche
des tendances
du monde moderne, ou de l'idéologie qu'il développe, il y a
un enchaînement direct.
• Le premier paragraphe précise les traits de la figure du philosophe
comme
« mauvaise conscience de [son] temps » :
- décalage par anticipation
(« l'homme de demain »);
-homme de progrès (« pionniers de l'humanité »);
-distance paradoxale qui peut être saisie comme « folie » ou «énigme » dès
lors que
les préjugés familiers sont niés par les philosophes.
• Le deuxième paragraphe explicite l'impact de la critique nécessaire du
philosophe, en pointant les tendances du monde moderne qui paraissent
néfastes:
- la spécialisation aliène l'homme
à un point de vue trop particulier;
-la régression de la responsabilité, liée à la perte du point de vue du tout,
est ce qui doit être combattu avec énergie;
-l'affaiblissement
du vouloir, comme symptôme du processus général, est
lui aussi mis en cause par Nietzsche..
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