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Nietzsche: le philosophe, homme de demain ou d'après-demain (Par-delà le Bien et le Mal)

Publié le 19/02/2011

Extrait du document

nietzsche

« Il me semble de plus en plus que le philosophe, étant nécessairement l'homme de demain ou d'après-demain, s'est de tout temps trouvé en contradiction avec le présent ; il a toujours eu pour ennemi l'idéal du jour. Tous ces extraordinaires pionniers de l'humanité qu'on appelle des philosophes et qui eux-mêmes ont rarement cru être les amis de la sagesse mais plutôt des fous déplaisants et de dangereuses énigmes, se sont toujours assigné une tâche dure, involontaire, inéluctable, mais dont ils ont fini par découvrir la grandeur, celle d'être la mauvaise conscience de leur temps. En choisissant justement pour les disséquer les vertus de leur temps, ils trahissaient leur propre secret ; ils cherchaient à découvrir la nouvelle grandeur de l'homme, un chemin nouveau, non frayé, pour arriver à l'humanité magnifiée ; et chaque fois ils découvraient tout ce qui se cachait d'hypocrisie, de nonchalance, de laisser-aller, de déchéance, de mensonge dans le type idéal de la moralité de leur temps, combien il y avait de vertu usée. «

Une lecture attentive de ce texte de Nietzsche extrait de Par-delà le Bien et le Mal fait apparaître que les principaux concepts ne cessent de se répondre. Il ne saurait dès lors être question de se contenter d'un commentaire purement linéaire. Car si nous procédions ainsi, non seulement nous ne progresserions pas réellement, mais nous ne tarderions pas en outre à nous égarer dans le dédale de la paraphrase. Dès le début du texte, Nietzsche nous dit qu'il existe inévitablement une opposition entre le philosophe et son temps. Plus précisément, le philosophe que Nietzsche nous décrit comme étant nécessairement un homme de l'avenir semble toujours devoir être en contradiction violente avec sa propre époque, disons « avec son aujourd'hui « (mit seinem Heute). Cet aujourd'hui qui se révèle être « l'ennemi « du philosophe tel que le conçoit Nietzsche désigne ici la façon dont les hommes se représentent leur époque, l'idée qu'ils s'en font ; autrement dit cela désigne les valeurs qui à une époque donnée paraissent prévaloir aux yeux de la plupart des gens. Nous pouvons avec Nietzsche nommer cet état de choses : « l'idéal du jour « (das Ideal von heute). L'ensemble du texte reprend en le développant et en l'approfondissant ce thème d'un conflit entre le discours du philosophe et « l'idéal du jour «. Dans la mesure où l'idée maîtresse autour de laquelle s'articule le texte se manifeste ainsi dès les premiers mots, nous devons en un premier temps analyser ceux-ci avec le plus grand soin.

nietzsche

« — la recherche de tout ce qui est étrange et problématique dans la vie, de tout ce qui, jusqu'à présent, a été misau ban par la morale » (Ecce Homo, p.

9).

Quant au philosophe, il le définit comme suit : « Un philosophe : c'est unhomme qui ne cesse de vivre, de voir, de soupçonner, d'espérer, de rêver des choses extraordinaires ».

(Par-delà leBien et le Mal, § 292).

De telles définitions peuvent dès maintenant nous laisser entrevoir comment procède lapensée de Nietzsche.

Mais nous ne pouvons en aucun cas nous contenter de citer, sans plus, deux extraits deNietzsche pour en commenter un troisième, à savoir celui qui nous occupe.

C'est pourquoi, en nous réservant parailleurs le droit de reprendre ces citations, il nous faut revenir au texte que nous commentons.

Sous peined'anticiper, nous devons pour l'heure nous interroger non sur les présupposés que recèle le fait de caractériser lephilosophe comme l'homme du lendemain et du surlendemain, mais sur ce fait pris en lui-même.

Parler du lendemainou du surlendemain, c'est parler du futur, disons de l'avenir.

Le philosophe est donc pour Nietzsche l'homme del'avenir.

Dans ses écrits, Nietzsche fait parfois mention de ceux qu'il nomme les « nouveaux philosophes »,autrement dit les philosophes de l'avenir. Mais en quoi y a-t-il nouveauté ? Il est là aussi prématuré de vouloir répondre à cette question.

Nous devons pourl'instant essayer de comprendre pourquoi le philosophe appartient « nécessairement » à l'avenir.

A cette fin nousallons cerner de plus près la nature de la relation dont parle Nietzsche entre le philosophe et son époque.

Il apparaîtque s'il y a une contradiction entre le philosophe et son époque, c'est peut-être bien parce que celle-ci n'est plus àla hauteur du philosophe.

Nous voulons dire par là que l'époque ne répond plus à la vérité qui, à travers lephilosophe, se dit dans la philosophie.

Ainsi, lorsque Nietzsche déclare comme nous l'avons vu que la philosophiec'est l'existence en haute montagne, il ne s'agit nullement d'une image mise là pour faire bien, il s'agit au contrairede la constatation de ce qui a lieu à son époque.

« Il y a une loi d'airain qui enchaîne le philosophe à une civilisationauthentique, mais qu'arrive-t-il quand cette civilisation fait défaut ? Le philosophe est alors pareil à une comèteimprévisible et, pour cette raison, effrayante » (Nietzsche, La naissance de la philosophie à l'époque de la tragédiegrecque : Gallimard « idées », p.

31).

C'est de cette loi d'airain qui lie le philosophe à la civilisation dans laquelle il setrouve que celui-ci tient son côté nécessaire.

La relation entre le philosophe et son époque est une relationnécessaire.

Toutefois quand l'authenticité des valeurs de l'époque est oubliée, négligée ou pervertie, la nécessitéqui lie le philosophe à son époque ne peut que porter celui-ci vers l'avenir puisque plus rien, dans sa propre époque,ne lui répond.

Le philosophe est donc alors « nécessairement » l'homme du lendemain ou du surlendemain.

Est-ceune fuite du philosophe devant les « réalités » de son époque ? Absolument pas.

C'est bien plutôt l'époque danslaquelle vit le philosophe qui fuit elle-même devant sa propre vérité.

Dès lors la « contradiction » est inévitable entrele philosophe et son époque.

Le philosophe ne peut pas ne pas se trouver en contradiction avec « son aujourd'hui ».Si Nietzsche a pu écrire dans Ecce Homo qu'il était une « fatalité », c'est qu'il a perçu le mouvement d'une histoirebeaucoup plus secrète que celle qu'étudient les historiens.

La nécessité dont parle Nietzsche dans ce texte n'estpas extérieure au déploiement de cette histoire secrète.

Il y a une nécessité de la philosophie, qui n'empêche pasmais au contraire favorise le fait qu'en philosophie « on respire librement » (Ecce Homo, p.

9).

En ce sens êtrephilosophe, ce n'est pas avoir le choix de dire n'importe quoi.

Si Nietzsche est philosophe, autrement dit un êtrenécessaire, et si à la philosophie s'attache ce caractère de nécessité, le philosophe tel que Nietzsche le décrit nepeut pas ne pas dire ce qu'il en est de ce qui, à l'époque où il parle, est.

En contradiction avec son époque qui nevoit ni ce qui est ni ce qui va venir, le philosophe décrit ce qui va venir (c'est le philosophe de l'avenir), ce qui,selon la nécessité de l'histoire telle que Nietzsche la comprend, ne peut pas ne pas venir.

Nietzsche décrit ce quidéjà s'annonce : « Ce que je raconte, c'est l'histoire des deux siècles qui vont venir.

Je décris ce qui va venir, cequi ne saurait plus venir autrement : la montée du nihilisme.

Cette page d'histoire peut être contée dès maintenant :car, dans le cas présent, la nécessité elle-même est à l'oeuvre.

Cet avenir parle déjà par la voix de cent signes etprésages, cette fatalité s'annonce partout...

» (Nietzsche, La volonté de Puissance, Avant propos, § 2).

Ce qui vavenir ne peut être dit que si, en un sens, il est déjà là.

Le philosophe de l'avenir parle depuis le fond même duprésent.

Il n'est donc en contradiction ou en lutte contre le temps présent, que si le présent de ce temps désigne,en un sens faible, l'aujourd'hui, c'est-à-dire l'idéal du jour, ce qui au jour le jour se donne comme étant la vérité.Nous voyons ainsi s'opposer deux sens du mot présent.

Dans le premier cas le présent renvoie à l'être même de cequi est alors que dans le second cas il ne renvoie qu'à l'idéal du jour, qu'à l'aujourd'hui pris au sens de l'actuel.

Lephilosophe qui perçoit l'être de ce qui est ne peut qu'entrer en conflit avec « son aujourd'hui ».C'est cette contradiction inévitable entre le philosophe et l'idéal du jour que Nietzsche va analyser de plus près ens'efforçant de préciser le sens des deux termes de la contradiction à savoir d'une part l'idéal du jour et d'autre partle philosophe.

Nous pouvons remarquer que le texte nous donne une indication sur la nature de cette contradiction.En effet, Nietzsche déclare que l'idéal du jour est « l'ennemi » (Feind) du philosophe.

Autrement dit la contradictionentre les deux est violente et prend même l'aspect d'une véritable guerre.

Que désigne l'expression « l'idéal du jour »? Décomposons l'expression afin de la mieux comprendre.

Si nous nous demandons ce que veut dire le mot idéal,nous nous apercevons que ce mot est lié aux notions d'absolu, de modèle, de perfection ; nous constatons encorequ'il est souvent opposé à la réalité, jugée, elle, imparfaite.

Il est d'ailleurs intéressant de noter que le mot « idéal »vient du bas latin idealis qui désignait quelque chose que l'on conçoit dans son esprit mais qui n'est point perçu parles sens.

Ainsi le mot idéal n'a pas seulement un sens moral, mais aussi un sens métaphysique.

Ou, plusprécisément, l'idéal est non seulement ce qui appartient à la moralité en tant que telle, mais aussi ce qui appartientà la métaphysique dans la mesure où celle-ci secrète en quelque sorte une morale.

Expliquons-nous.

L'idéal relèvede la métaphysique dans la mesure où celle-ci suppose accomplie la séparation du sensible et du suprasensible ouintelligible.

Il y a à la base une séparation entre un monde des idées et un monde des sens ou monde sensiblelequel, à cause même de son caractère sensible, n'est que l'imitation, nécessairement imparfaite du premier.

D'uncôté, là-bas, il y a l'être, de l'autre, ici bas, il n'y a que l'apparence.

C'est ainsi, au sens de cette séparation entrele sensible et le suprasensible, que débuta avec Platon la métaphysique.

Or, Nietzsche nous apprend que saphilosophie consiste en une inversion du platonisme : « Ma philosophie : un platonisme inversé ».

(Nachlass [oeuvresposthumes], Éditions Kröner, tome I, p.

38).

Il s'agit pour Nietzsche de s'échapper par un mouvement de rotation du. »

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