Nietzsche : La mort de Dieu
Publié le 23/03/2015
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Suivant le premier axe, nous verrons que sa théorie est bien sûr une «anti-théorie«, une déconstruction radicale des théories traditionnelles de la connaissance --- que Nietzsche veut remplacer par ce qu'il appelle la «généalogie«, c'est-à-dire la critique des illusions de la métaphysique et de la religion.
Nietzsche y décrit le philosophe, je veux dire le philosophe authentique, comme un «solitaire«, comme un génie qui est par définition seul parce qu'il est nécessairement en avance sur son temps, donc en marge de son époque.
Justement parce qu'il pratique la généalogie, parce qu'il dévoile les arrière-mondes, les intérêts cachés, inavoués et souvent inavouables, qui se cachent derrière les idoles, les valeurs supérieures et les convictions en apparence les plus pures et les plus sublimes.
En d'autres termes, ceux qui en restent à la théorie traditionnelle, aux idées claires et distinctes, comme dit Descartes dans le sillage de Platon, se condamnent à ne jamais voir plus loin que la surface des choses, là où l'attitude généalogique consiste précisément à découvrir une autre vérité, une vérité plus profonde, si profonde qu'elle est à vrai dire sans fond : comme chez Schopenhauer, elle est un Ungrund qui s'ouvre sur l'abîme, sur des arrière-mondes inconscients et des souterrains invisibles qu'on peut arpenter sans jamais trouver l'issue vers la lumière.
En effet, si on part de la conviction selon laquelle l'inconscient conditionne le discours conscient, selon laquelle toutes sortes de peurs et de pulsions inavouables se dissimulent derrière les idoles, derrière la prétendue clarté rationnelle de la vérité scientifique, morale ou religieuse, il s'ensuit que, du point de vue du généalogiste, tout jugement doit être regardé non comme une vérité, mais comme un «symptôme«, c'est-à-dire comme un masque : un symptôme du monde de la volonté chez Schopenhauer, du monde de l'inconscient chez Freud, de l'infrastructure économique chez Marx, du monde de la vie et de la volonté de puissance chez Nietzsche (nous verrons dans quelques instants en quoi il consiste).
Sur ce point, tous les philosophes du soupçon se rejoignent.
Là où ils divergent, toutefois, c'est que, contrairement à Marx et Freud, Schopenhauer et Nietzsche ne pensent pas qu'il soit possible d'en finir avec les souterrains pour parvenir enfin à une théorie scientifique claire, lumineuse et vraie au sens classique du terme : en accord avec le réel qu'elle décrirait parfaitement.
Leur généalogie va de ce point de vue beaucoup plus loin que celle de Freud ou de Marx.
Freud et Marx, en effet, veulent être des savants, des scientifiques.
Certes, ils pratiquent eux aussi le soupçon, ils dévoilent les souterrains derrière les symptômes et les idéologies qui prétendent à la claire conscience, mais eux-mêmes pensent être enfin parvenus à la vérité, à cette clarté qu'ils refusent aux autres --- en quoi ils attribuent à leur propre discours à nouveau le statut cartésien de l'idée claire et distincte, de la théorie débouchant enfin sur la lumière de la vérité.
Il n'en va pas de même chez Schopenhauer, a fortiori chez Nietzsche, et ce pour une raison de fond qu'il nous faut tenter d'expliciter.
Pour des raisons philosophiques fondamentales, Schopenhauer et Nietzsche tiennent la science pour une croyance comme les autres, un symptôme parmi d'autres, un discours qui dissimule lui aussi, seulement de manière plus habile que ses concurrents, des choix irrationnels et inconscients, ouverts tout comme les autres sur l'abîme sans fond du vouloir aveugle (Schopenhauer) et de la volonté de puissance (Nietzsche).
Même dans le domaine de la biologie ou de la physique, les jugements de prime abord parfaitement «objectifs« ne sont que le sommet de l'iceberg, la partie visible d'une évaluation de la vie qui demeure souterraine.
Les jugements, quels qu'ils soient, même les plus «objectifs«, ne sont jamais que des symptômes, des cachettes, des masques comme les autres.
Pour Nietzsche, il n'est pas jusqu'à la proposition «deux et deux font quatre« qui ne dissimule une forme d'évaluation de la vie, une volonté de rationaliser le monde, une volonté de clarté, une volonté de vérité : en l'occurrence, la volonté d'en finir avec la multiplicité incohérente des pulsions qui nous animent en profondeur.
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