Nietzsche, Humain, trop humain, Mercure de France, § 149 à169 - Commentaire
Publié le 01/02/2014
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« L’art doit avant tout embellir la vie, donc nous rendre nous-mêmes tolérables aux autres et agréables si possible : ayant cette tâche en vue, il modère et nous tient en brides, crée des formes de civilité, lie ceux dont l’éducation n’est pas faite à des lois de convenance, de propreté, de politesse, leur apprend à parler et à se taire au bon moment.
De plus, l’art doit dissimuler ou réinterpréter tout ce qui est laid, ces choses pénibles, épouvantables et dégoûtantes qui, malgré tout les efforts, à cause des origines de la nature humaine, viendront toujours de nouveau à la surface : il doit agir ainsi surtout pour ce qui en est des passions, des douleurs de l’âme et des craintes, et faire transparaître, dans la laideur inévitable ou insurmontable, son côté significatif. Après cette tâche de l’art, dont la grandeur va jusqu'à l’énormité, l’art que l'on appelle véritable, l’art des œuvres d’art, n’est qu’accessoire. L’homme qui sent en lui un excédent de ces forces qui embellissent, cachent, transforment, finira par chercher, à s’alléger de cet excédent par l’œuvre d'art ; dans certaines circonstances, c’est tout un peuple qui agira ainsi.
Mais on a l’habitude, aujourd’hui, de commencer l’art par la fin ; on se suspend à sa queue, avec l’idée que l’art des œuvres d’art est le principal et que c’est en partant de cet art que la vie doit être améliorée et transformée. Fous que nous sommes ! Si nous commençons le repas par le dessert, goûtant à un plat sucré après l’autre, quoi d’étonnant si nous nous gâtons l’estomac et même l’appétit pour le bon festin, fortifiant et nourrissant, à quoi l’art nous convie. «
Nietzsche, Humain, trop humain, Mercure de France, § 149 à169, p. 109.
Quelle est la nature d’une œuvre d’art ? Quelle en est sa finalité ? À sert l’art sinon à rien, ou tout juste un divertissement superflu dont on pourrait très bien se passer. Ici Nietzsche ne fait pas référence à l’art communément compris comme l’ensemble des objets artistiques, mais au sens de la création artistique. Il aborde la question de l’essence de la création artistique à partir de sa finalité. L’art peut-il transformer la culture ? Ce qui lui permet de lier l’art à la culture – au sens de Kultur, de culture collective et non de culture générale — selon la question comment lutter contre la barbarie. La culture n’est pas ici à entendre ordinairement comme l’ensemble des savoirs et des savoir-faire. Dans les Considérations inactuelles, il l’appréhende comme « une unité de style artistique qui se manifeste dans tous les aspects de la vie d’un peuple «. Et la fonction de la culture est de nous élever vers des types supérieurs d’humanité. Elle est un « dressage « de l’homme pour le hisser au plus haut. Celui qui se dit « le médecin de la civilisation « a pour « mission : comprendre la cohésion interne et la nécessité de toute civilisation véritable «.
«
Quelle est la nature d’une œuvre d’art ? Quelle en est sa finalité ? À sert l’art sinon à rien, ou tout
juste un divertissement superflu dont on pourrait très bien se passer.
Ici Nietzsche ne fait pas référence à
l’art communément compris comme l’ensemble des objets artistiques, mais au sens de la création
artistique.
Il aborde la question de l’essence de la création artistique à partir de sa finalité.
L’art peut-il
transformer la culture ? Ce qui lui permet de lier l’art à la culture – au sens de Kultur, de culture collective
et non de culture générale — selon la question comment lutter contre la barbarie.
La culture n’est pas ici à
entendre ordinairement comme l’ensemble des savoirs et des savoir -faire.
D ans les Considérations
inactuelles , il l’appréhende comme « une unité de style artistique qui se manifeste dans tous les aspects de
la vie d’un peuple ».
Et la fonction de la culture est de nous élever vers des types supérieurs d’humanité.
Elle est un « dressage » de l’homme pour le hisser au plus haut.
Cel ui qui se dit « le médecin de la
civilisation » a pour « mission : comprendre la cohésion interne et la nécessité de toute civilisation
véritable ».
Nietzsche refuse clairement de réduire l’art à la seule fonction d’engendrer du beau comme nous le
pensons habituellement confondant l’artistique et l’esthétique.
On ne peut pas non plus enfermer l’art à
quelques œuvres d’art.
Assurément, l’art renvoie à la production d’un objet apprécié comme beau, mais
cette appréciation ou ce jugement esthétique ne saurait être ni universelle ni objectif, elle relève de la
sensibilité de chacun.
Pour notre auteur une ouvre n’est pas belle en soi, elle n’est belle que parce que
nous la jugeons belle.
Étant dans l’impossibilité d’assigner à une œuvre d’art la propriété d’être belle
puisque le beau n’est pas une qualité inhérente à l’art, en revanche, on peut analyse le jugement
esthétique : « Ceci est beau ».
Dire qu’une chose est belle c’est dire qu’elle répond parfaitement à ce
pourquoi elle existe.
Ce qui explique que Nietzs che se place du point de vue de la fonction de l’art.
Si l’art
n’est pas le règne de la beauté — une œuvre laide n’en demeure pas moins une œuvre d’art — il est
créateur de sens.
Nietzsche accorde à l’art trois fortes fonctions.
La première est édifiante ou éducative tant au
niveau de la morale que social.
La deuxième précis -t- il consiste à « dissimuler ou réinterpréter ce qui est
laid », et enfin lever « l’art des œuvres d’art ».
La présentation de ces trois finalités n’est ni innocente ni
hasardeuse.
La fin ultime d’une œuvre, ce qui est en œuvre en l’art est l’embellissement de la vie en donnant
un sens au monde, en remplaçant ce qui est incompréhensible par une intelligence nouvelle .
L’art a ainsi
une fonction esthétique au sens de faire apparaître la beauté que nous avons cessé de voir , de dégager une
vision artistique de la réalité .
L’art donne à voir ce que nous avons perdue de vue.
Est -ce dire que la vie
est laide ? Si elle n’est pas en soi hideuse, elle n’en demeure pas moins insupportable.
Pour Nietzsche, l’humain est la seule instance par et pour laquelle le monde reçoit un sens, et il
façonne l’univers par le recours à l’art.
Par l’activité artistique, il élève la vie à sa perfection la plus haute,
l’humain dépasse l’homme d’aujourd’hui en vue de l’homme à venir qu’il appelle le Sur -homme.
« Rien
n’est beau, il n’y a que l’homme qui soit beau : sur cette naïveté repose toute esthétique, c’est sa
première vérité.
Ajoutons- y dès l’abord la deuxième : rien n’est laid si ce n’est l’homme qui
dégénère ».
L’art en son sens strict n’est ni ornementation ni décoration, elle est adoucissement,
pacification.
L’art doit être beau pour façonner les hommes dans leur comportement par rapport aux
autres.
S’il est beau, nous serons plus tolérants, plus agréa bles.
La tâche de l’art est ainsi de créer des liens
entre les personnes, il parvient à rassembler ceux qui s’opposent, de réunir les « opposés », c’est -à -dire de
rassembler tous ceux qui n’ont pas une éducation, tous ceux qui n’ont pas une culture artist ique et qui par
là même tendent à la bestialité, à la brutalité, pour ne pas dire à la barbarie.
Aussi l’art créait -il « des
formes de civilité » en rapprochant ceux les moins civilités des plus civilisés.
Cette fonction éducative se
dédouble d’une finalit é sociale : « tenir en bride » les plus r écalcitrants, les plus rétiss ants à accepter le
corps social.
Il s’agit alors de les maîtriser, de les contrôler en les modérant d ans leurs rapports aux autres.
L ’art est ainsi une élévation vers l’éducatif et le pr ocessus de socialisation..
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