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NIETZSCHE et l'athéisme

Publié le 02/02/2011

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nietzsche

Schopenhauer fut en tant que philosophe le premier athée avoué et inflexible qui se soit trouvé parmi nous autres Allemands : c'était là le vrai motif de son hostilité contre Hegel. Le caractère non divin de l'existence pour lui était quelque chose d'immédiat, de tangible, d'indiscutable;. il perdait son sang-froid de philosophe et s'emportait à chaque fois qu'il voyait quelqu'un hésiter à ce sujet et faire des détours. C'est là que se trouve son honnêteté : l'athéisme absolu et probe est en effet la condition préalable de sa manière de poser les problèmes, en tant que victoire enfin et durement acquise de la conscience européenne, en tant que l'acte le plus riche de conséquences d'une discipline doublement millénaire de l'esprit de vérité qui finit par s'interdire le mensonge de la croyance en Dieu... On voit ici ce qui en somme a remporté la victoire sur le dieu chrétien : la moralité chrétienne elle-même, la notion de véracité prise dans un sens de plus en plus rigoureux, la subtilité de la conscience chrétienne développée par les confesseurs, traduite et sublimée en conscience scientifique, jusqu'à la netteté intellectuelle à tout prix. Considérer la nature comme si elle était une preuve de la bonté et de la protection de Dieu; interpréter l'histoire à la gloire de la raison divine, en tant que perpétuel témoignage de la finalité morale de l'ordre universel; interpréter ses propres expériences vécues au sens où de pieu- ses gens l'avaient fait depuis assez longtemps, comme si tout n'y était que le don, que le signe, que l'avertissement de la providence et que tout dût concourir infailliblement au salut de l'âme : voilà qui est révolu désormais, voilà qui est contraire à la conscience, voilà ce que toutes les consciences plus fines ressentent à présent comme malhonnête, comme mauvaise foi, comme imposture, comme féminisme, faiblesse, lâcheté — et c'est bien en vertu de pareille rigueur, si ce doit être en vertu de quelque chose, que nous sommes en effet de bons Européens, les héritiers de la domination de soi la plus durable et la plus courageuse dont l'Europe ait fait preuve. Or sitôt que nous rejetons loin de nous l'interprétation chrétienne, que nous condamnons sa « signification « comme de la fausse monnaie, la question schopenhauerienne nous assaille de la plus terrible façon : l'existence a-t-elle seulement un sens?

Le gai savoir. Fragments posthumes (1881-1882). Traduction A. Vialatte, Paris, Gallimard, 1982, p. 248-249. Nietzsche

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