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Nietzsche et de l'importance de l'Etat

Publié le 22/04/2005

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Nombreuses sont les forces d'organisation que l'humanité a déjà vues dépérir, - par exemple celle de la communauté de race, qui fut pendant des millénaires beaucoup plus puissante que celle de la famille, qui disposait même du pouvoir et de l'organisation bien avant que la famille ne fût constituée. Nous voyons nous-mêmes pâlir et s'affaiblir un peu plus chaque jour la grande idée du droit et du pouvoir familiaux, qui exerça jadis sa domination sur toute l'étendue du monde romain. C'est ainsi qu'une génération future verra l'État lui aussi perdre toute importante, - idée à laquelle beaucoup de contemporains ne sauraient guère penser sans crainte et sans horreur. Certes, travailler à la propagation et à la réalisation de cette idée est déjà autre chose : il faut nourrir une opinion fort prétentieuse de sa raison et ne guère comprendre l'histoire qu'à demi pour mettre d'ores et déjà la main à la charrue - alors que personne ne saurait encore nous montrer les graines qu'il s'agira de semer ensuite sur le terrain labouré. Faisons donc confiance « au bon sens et à l'égoïsme des hommes » pour laisser subsister l'État encore un bon bout de temps et parer aux tentatives destructrices de certains, trop zélés et trop pressés avec leur demi-savoir ! Nietzsche

QUELQUES DIRECTIONS DE RECHERCHE

 • Quelles sont « les forces d'organisation que l'humanité a déjà vues dépérir «?  • Est-ce que telle ou telle « force d'organisation « laisse complètement place nette à celle qui la suit ?  • Sur quoi se fonde Nietzsche pour affirmer « qu'une génération future verra l'État lui aussi perdre toute importance «?  • En quoi travailler à la propagation et à la réalisation de cette idée est déjà autre chose «?  • En quoi Nietzsche se pense-t-il autorisé à parler de « demi-savoir « et « comprendre l'histoire à demi « relativement à ceux qui mettent « d'ores et déjà la main à la charrue «?  • Que pensez-vous de la position et de l'argumentation de Nietzsche ? (Comparez-les à celles d'autres penseurs.)

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« constituée »; or Rousseau a dit : «la plus ancienne des sociétés, et la seule naturelle, est celle de la famille ».

Il y alà apparemment contradiction.Rousseau expliquait dans le chapitre II du livre I du Contrat Social que les enfants ne pouvant subvenir seuls à leursbesoins, doivent, pour subsister, s'en remettre au père pour ce qui est de leur vie.

On peut dire qu'il y a là société,puisque ce groupe n'est pas une agrégation fortuite, sans rapports réels mais bien un groupement dont les diversespersonnes entretiennent des rapports réels.

Cette forme peut bien être la plus ancienne, puisque, dès le début del'humanité, la situation de dépendance des enfants a existé.

Pourtant Nietzsche donne à la « communauté de race »le rôle de plus ancienne; il faut voir que Nietzsche n'emploie à aucun moment le mot de société, mais seulement «organisation », « communauté », « famille ».

Quelles sont les différences? Pour la famille, on a vu commentRousseau la considère comme modèle de société; quant à Nietzsche, il ne développe pas ici la question.Communauté évoque tout d'abord un vivre ensemble, une existence ensemble, mais semble ne pas avoir le caractèredécidé de la société; quand on parle, par exemple, de communauté de biens, on pense à un avoir commun.

Peut-être qu'ici le terme signifie, de la même manière, le fait d'être de la même sorte de chose; il faudrait alorscomprendre que ce qui lie les hommes, c'est le fait, justement, qu'ils sont des hommes.

Mais qu'est-ce qui, en leurhumanité, crée cette communauté? Ce sont des vivants qui, par conséquent, ont des besoins, et en plus, ils ontdes besoins d'hommes, ce que l'on appelle des besoins historiques.

On définit parfois les hommes par leur communeappartenance à la raison.

Il faut donc dire que l'existence de l'homme implique cette communauté, qui n'est en rienle fait d'un décret de l'homme lui-même, mais alors, ne peut-on pas dire que « communauté de race » et familleviennent à être simultanément, dès que l'homme est ?Quant à la puissance de l'une et de l'autre, qu'en est-il ? Elle est, en fait, différente : Rousseau a, par exemple,parlé de l'amour du père pour ses enfants, et l'on a vu les rapports constants qui lient les membres; pour la «communauté de race », il n'en va pas de même, mais par contre, alors que les liens de la famille se dissolvent dèsque cesse d'exister la dépendance des enfants, il semblerait que là, ce groupement de fait doive avoir une duréeéternelle.

Nietzsche dit que non; il faut alors que les caractéristiques qui leur étaient communes n'existent plus, celaest-il possible ?Il faut alors que certains hommes aient cessé d'avoir des besoins, ou bien d'appartenir à la raison; mais ne dit-onpas ces deux choses inscrites en l'homme ? Leur dépérissement est-il quelque chose de tenable ? Mais quandNietzsche parle de la famille, il écrit « la grande idée du droit et du pouvoir familiaux »; il n'en parle pas commeRousseau.

Ce qui disparaît — dans l'une comme dans l'autre forme d'association — n'est donc pas la notion enquelque sorte biologique sur laquelle on a les fondées mais autre chose.Il s'agit, ici, de notions morales, « d'idées », plus exactement.

Mais quand il écrit « droit et pouvoir familiaux »,s'agit-il d'une notion de pouvoir à l'intérieur de la famille, ou de la famille par rapport à l'extérieur ? Il a dit, de même,à propos de la « communauté de race », « qui disposait du pouvoir et de l'organisation ».

Il apparaîtrait, alors, quele pouvoir est dirigé vers l'extérieur; quant à l'organisation, on peut dire qu'elle est pouvoir d'exister comme société,et que l'on pourrait parler de pouvoir de l'organisation, comme pouvoir d'exister constitué en corps social, et non enagrégation.

Mais n'est-ce pas cette idée qui se résout dans le concept d'État? Peut-il alors être uniquement cela, etdonc, par quoi Nietzschepeut-il se permettre de le comparer à la « communauté de race » et à la famille ? Est-ce la même idée d'État de faitqui y résonne, ou la volonté de l'homme y entre-t-elle pour une plus grande part ? Sa disparition aussi, dans ce cas,doit avoir un autre sens.

On y voit tout d'abord le même point de départ à une communauté; d'ailleurs, cettecommunauté naît de la « communauté de race », et il faudra plus tard envisager l'État comme suite historique de lapremière forme.Mais, tout d'abord, on pense à une idée d'organisation, et non de fait; il y aurait donc décision de former un corpssocial.

Il faudrait expliquer la notion de convention que développe Rousseau, c'est-à-dire « l'acte par lequel unpeuple est un peuple », ce qui prouve qu'il y a action.

Quant à la disparition, peut-elle provenir aussi d'un acte del'homme, ou du flux de l'histoire ? Le pouvoir d'exister comme telle de la famille semble avoir disparu du fait del'homme; quant à l'État, Nietzsche parle de « travailler...

à la réalisation de cette idée », et le déconseille.Pour quelle raison l'auteur désire-t-il empêcher les hommes de participer activement à cette mort ? Veut-il leur ôterleur rôle, ou éviter qu'ils usurpent celui du temps ? Fait-il partie de ceux qui « ne sauraient penser sans crainte etsans horreur » au périssement de l'État ? Tout d'abord, de quel travail s'agit-il ? Il pense à un prendre part actif del'homme à sa propre histoire par la « propagation et la réalisation de cette idée ».

La propagation signifie que ceuxqui ont prédit l'événement futur l'enseignent à d'autres; la chose lui paraît particulièrement désastreuse.

Celarappelle le discours qu'il adressait « aux prédicateurs de morale », à propos des valeurs morales : « faites-en lapudeur cachée de quelques âmes solitaires » : il désire ne pas répandre le savoir; dans le cas de la morale, ilcraignait que lorsque les valeurs seraient suffisamment répandues, la « populace » s'en fasse un précepte moralrigide et sans vie, sans engagement de sa part.

Ici, au contraire, c'est l'engagement qu'il craint, c'est-à-dire la «réalisation ».Est-ce, alors, qu'il faut en réserver le savoir à des gens supérieurs ? Mais Nietzsche a parlé, aussi, des « hommessupérieurs » qui, forts de leur savoir, croyaient comprendre les discours de Zarathoustra...

mais le comprenaienttout à l'envers.

Il veut donc éviter, par la « propagation », une utilisation défectueuse d'un prétendu savoir, c'est-à-dire la « réalisation ».

Qu'est-ce qui peut pousser les hommes à vouloir ainsi « travailler »? « Il faut nourrir uneopinion fort prétentieuse de sa raison et ne guère comprendre l'histoire qu'à demi ».

Que veut dire l'auteur ? Quand ilparle de raison, s'agit-il de la même que celle qui lie les hommes en une « communauté de race »? Non, puisqu'il dit «sa raison », « nourrir une opinion fort prétentieuse de – raison – » signifie apparemment présumer de ses capacités;il faut parler à la fois de ses capacités personnelles et de ses capacités d'être appartenant au monde de la raison.C'est penser l'homme comme le moteur de l'histoire, et Nietzsche dit : c'est « ne guère comprendre l'histoire qu'àdemi ».

Mais alors, quelle doit y être la part de l'homme, et même, avant tout, qu'est-elle pour l'auteur ? Il dit à lafois ne pas comprendre l'histoire, et ne pas en être totalement ignorant, mais ne place-t-il pas là même le dangervéritable?. »

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