Nietzsche, Ecce Homo: « pourquoi je suis une fatalité § 8
Publié le 22/03/2015
Extrait du document
« Celui qui découvre la morale a découvert, en même temps, la non-valeur de toutes les valeurs auxquelles on croit et auxquelles on croyait. Il ne voit plus rien de vénérable dans les types les plus vénérés de l'humanité, dans ceux mêmes qui ont été canonisés, il y voit la forme la plus fatale des êtres malvenus, fatale, parce qu'elle fascine... La notion de "Dieu" a été inventée comme antinomie de la vie, — en elle se résume, en une unité épouvantable, tout ce qui est nuisible, vénéneux, calomniateur, toute l'inimitié contre la vie. La notion de l'"au-delà" du "monde-vérité" n'a été inventée que pour déprécier le seul monde qu'il y ait, — pour ne plus conserver à notre réalité terrestre aucun but, aucune raison, aucune tâche ! La notion de l'"âme", l'"esprit" et en fin de compte même de l'"âme immortelle", a été inventée pour mépriser le corps, pour le rendre malade — "sacré" — pour apporter à toutes les choses qui méritent du sérieux dans la vie — les questions de nourriture, de logement, de régime intellectuel, les soins à donner aux malades, la propreté, la températuie — la plus épouvantable insouciance ! Au lieu de la santé, le "salut de l'âme" — je veux dire une folie circulaire qui va des convulsions de la pénitence à l'hystérie de la Rédemption ! La notion du "péché" a été inventée en même temps que l'instrument de torture qui la complète, le "libre-arbitre" pour brouiller les instincts, pour faire de la méfiance à l'égard des instincts une seconde nature ! Dans la notion du "désintéressement", du "renoncement à soi" se trouve le véritable emblème de la décadence. L'attrait qu'exerce tout ce qui est nuisible, l'incapacité de discerner son propre intérêt, la destruction de soi sont devenus des qualités, c'est le "devoir", la "sainteté", la "divinité" dans l'homme ! Enfin — et c'est ce qu'il y a de plus terrible — dans la notion de l'homme bon, on prend parti pour ce qui est faible, malade, mal venu, pour tout ce qui souffre de soi-même, pour tout ce qui doit disparaître. La loi de la sélection est contrecarrée. De l'opposition à l'homme fier et d'une bonne venue, à l'homme affirmatif qui garantit l'avenir, on fait un idéal. Cet homme devient l'homme méchant... Et l'on a ajouté foi à tout cela, sous le nom de morale ! «
Nietzsche, Ecce Homo: « pourquoi je suis une fatalité § 8. Trad. H. Albert, Denoêl-Gonthier, 1971, pp. 165 à 167.
«
Textes commentés
Ce texte a pour projet la démystification de la valeur en général et des
valeurs morales en particulier.
Démasquer, ici, consiste à faire la généalogie
des valeurs
et en montrer le caractère dérivé, en tant qu'expressions
déguisées du type décadent de la volonté de puissance.
Ces valeurs ont été
inventées dans l'histoire et ont une fonction : discréditer
le corps et le monde
de la vie.
Car l'ordre de la vie est celui de la force conquérante.
La morale,
qui condamne la vie, repose sur un système de valeurs idéales dont se
réclament les faibles, incapables
de s'affirmer dans l'existence.
L'idéalisme
moral dans son ensemble constitue ainsi une véritable machine
de guerre
dirigée contre la race des forts.
La spiritualité n'est que
de la maladie, qui
exprime la peur de vivre.
La notion même de « Dieu » participe de cet
arsenal de notions métaphysiques, comme celles
d'« esprit», d'« âme », de
« sacré », destinées à dénigrer le seul monde existant, celui de notre « réalité
terrestre».
L'analyse généalogique permet ainsi de démasquer l'hypocrisie du
moralisme, dont elle met au jour le procédé d'inversion : si la vie est
calomniée par l'idéal, la valeur est toujours la négation de la vie.
C'est donc
la vie qui doit reprendre ses droits, dans une affirmation
de la force des
instincts, conformément
au principe vital de la sélection naturelle, qui voit le
fort,
1'« homme fier », l'emporter sur le faible et le malade.
L'inversion
morbide des valeurs, constitutive
de la décadence de la volonté de puissance
faible, est illustrée
par le principe du « désintéressement » et du
« renoncement à soi » où le sacrifice de
soi devient valeur suprême et
approximation de la
« sainteté».
Dans sa lutte intérieure avec lui-même, le
type
de l'homme régressif, effrayé par la puissance de ses propres instincts,
s'efforce ainsi de les diaboliser et d'en faire l'emblème
du mal, le chiffre du
péché.
Le renversement opéré par la méthode généalogique vise donc à montrer le
foyer d'origine des valeurs et leur rationalité alléguée dans la volonté de
vengeance des faibles et des déshérités de la vie.
En opérant cette
dénonciation de la fable morale, pure invention au service
de la négation de
la vie, Nietzsche veut plaider pour la réhabilitation
de la figure de l'homme
supérieur, et de la
« grande santé », c'est-à-dire de la réaffirmation de
l'instinct de force, de conquête et de création, dans
le dépassement de soi.
41.
»
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