Nietzsche: Christianisme et illusion
Publié le 21/04/2005
Extrait du document


«
la réalité, alors que la religion nie la nature.
Si l'on relit sait Paul et les « Epîtres aux Ephésiens », on voit àl'œuvre cette opposition massive de la nature d'une part et de Dieu de l'autre.
Tout ce qui est bon au regardde la nature devient insignifiant aux yeux de Dieu passe pour fou aux yeux du monde.
De ce point de vueprécis, Nietzsche a parfaitement raison : le christianisme oppose en bloc Dieu et le monde, et affirme queDieu frappe d'inanité tout ce qui est naturel.
Ainsi « naturel » devient synonyme de « condamnable ».L'invention de la théologie chrétienne sert à dévaluer la vie, à la fausser, à la nier.« Toute coutume naturelle, toute institution naturelle (Etat, organisation judiciaire, mariage, assistance auxmalades et aux pauvres), toute exigence inspirée par l'inntinct de vie, bref tout ce qui a valeur en soi, est,par principe, rendu sans valeur, ou de valeur négative par le parasitisme du prêtre.
»Mais pourquoi condamner ce qui est naturel et se réfugier dans le mensonge de la fiction ?« Ce monde de fiction a tout entier sa racine dans la haine de la nature, il est l'expression d'un profondmalaise causé par la réalité […] Le seul qui ait besoin de mentir pour s'évader de la réalité, qui est-il ? Celuiqui en souffre.
Mais souffrir de la réalité signifie être soi-même une réalité manquée.
»
Le croyant est un décadent, un malade, une réalité manquée, quelqu'un qui souffre de la réalité, cad quimanque de force, d'instincts vitaux, de puissance.
Cette régression physiologique engendre « la divinité de ladécadence […] le Dieu des faibles.
Ils ne se nomment pas eux-mêmes les faibles, ils se nomment les « bons» ».La religion est une défense contre la réalité dont on souffre, et qu'on dévalue et renie pour se réfugier dansun monde imaginaire où l'on pourra se qualifier de « bon », et une façon de dénigrer les forts, les puissants,en les faisant passer pour « mauvais », injustes, etc.La religion est essentiellement une réaction, celle de ceux qui sont incapables d'agir.
Deleuze a commentéremarquablement Nietzsche en faisant valoir que si la morale aristocratique (dont Nietzsche se réclame)s'énonce « je suis bon donc tu es méchant », la morale des esclaves et des décadents se délivre par « tu esméchant donc je suis bon ».La première formule débute par une pleine affirmation de soi, une auto-exaltation, dont le « tu es méchant »n'est que la conséquence.
Les esclaves, les faibles se reconnaissent à ce qu'ils ré-agissent, sont deshommes du ressentiment et de la vengeance.
Pour parvenir à se supporter eux-mêmes, ils ont besoin des'opposer à d'autres.Ainsi, ils commencent par poser l'autre comme « méchant », et c'est parce qu'ils ne supporter pas l'autrequ'ils se nomment « bons ».
Le caractère de « bon » n'est pas ici une affirmation de soi, mais une réaction,la marque du ressentiment, de la vengeance, devant autrui.On comprend le mot de Nietzsche, la religion « a fait de toute valeur une non valeur », en elle il n'y a « quedes fins mauvaises : la contamination, le dénigrement, la négation de la vie, le mépris du corps et l'auto-avilissement de l'homme par l'idée de péché.
» Ce qui engendre une inversion des valeurs.
Les valeursaffirmatives d'actions, de conquêtes, d'extériorisation… sont dévaluées (méchanceté, brutalité, vanité…) etremplacées par les valeurs nihilistes de passivité, d'adaptation, d'intériorisation… Le prêtre est le grandartiste du ressentiment qui, par la mystification d'un Dieu et d'un monde suprasensibles, déprécie la vie etassurer le triomphe de l'existence réactive.En fait, la religion chrétienne porte à son comble un mouvement déjà présent chez Socrate : l'idée que la viedoit être justifiée, jugée, évaluée par une idée.
Tout « idéalisme » est un symptôme de manque de force.Or, c'est face à ces symptômes qu'il faut comprendre le projet de Nietzsche..
Il n'agit pas que d'une critiquedes « arrières-mondes » et de la religion.
Il s'agit aussi de « transmuer les valeurs », d'effacer le mouvementchrétien qui fait de toute valeur une non valeur, de favoriser les forces actives, la puissance, l'expansion dela vie.
En ce sens le « surhomme » ‘est pas la caricature qu'on en a fait, mais ce qui doit dépasser l'hommemoderne, fatigué et décadent, créer d'autres valeurs, non pas « négatrices » de la vie ou dévalorisantes,mais servant l'acceptation de l'existence.Il paraît nécessaire de rapprocher un passage de « L'Antéchrist » d'un extrait d' « Ecce homo » (1888).« La vie est à mes yeux instinct de croissance, de durée, d'accumulation de force, de puissance : là où lavolonté de puissance fait défaut, il y a déclin.
Ce que j'affirme, c'est que cette volonté de puissance faitdéfaut à toutes les valeurs supérieures de l'humanité –c'est que, sous les noms les plus saints, règnent sanspartage des valeurs de décadence, des valeurs nihilistes ».« Je fus le premier à voir la véritable opposition qui existe entre, d'une part l'instinct en voie dedégénérescence qui se dresse contre la vie dans une rancune souterraine […] et d'autre part, une formuled'acquiescement supérieur, née de la plénitude et de la surabondance, un oui sans réserve à la vie, et mêmeà la douleur, et même à la faute, à tout ce qu'il y a de déroutant et de problématique dans la vie… »
NIETZSCHE (Friedrich-Wilhelm). Né à Rocken en 1844, mort à Weimar en 1900..
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