Nietzsche, Aurore (1881), Livre III, § 173 et § 206, trad. J. Hervier, Gallimard
Publié le 01/02/2014
Extrait du document
«
Quel est le sens ou la logique du travail ? Le travail est -il une valeur ? Ou plus exactement
quel est le statut et la fonction du travail au sein de la culture ? À quoi sert le travail ? C’est -à -dire
quelle est la fin ultime du travail dans notre civilisation ? Nietzsche ne conduit pas malgré le ton
sarcastique et ironique une critique de la notion de travail.
Il ne nie pas que le travail soit une
nécessité sociale.
Ce qu’ il remet fondamentalement en cause c’est ce qu’il nomme la
« glorification du travail ».
E n effet, il tente présentement une remontée sur le travail érigé
comm e valeur, qui plus est , comme valeur de toutes les valeurs.
Il s’en prend ainsi à l’idéologie
dominante, notamment au marxisme pour qui le travail est en quelque sorte le moteur de
l’ histoire.
Nietzche ne s’oppose pas frontalement au socialisme, mais à tou te idéologie et à toute
théorisation qui ne voit le travail que comme la seule source d’enrichissement, une valeur en soi
dont les autres valeurs en découleraient.
Par -delà les approches historiques du travail, Nietzsche
opère un retour à l’origine du tra vail par une critique oblique de sa glorification.
Au fond, il s’agit
pour lui de comprendre les raisons pour lesquelles cette activité utilitaire est devenue la servante
à des fins politiques.
Sa méthode ne réside pas à une condamnation expresse d’une idé ologie
quelconque, mais à convoquer les motifs qui expliquent cette valorisation du travail tout en
détruisant sa véritable nature.
Pourquoi valoriser le travail si celui- ci était déjà une valeur ? Quels
sont alors les ressorts de cet éloge inconditionnel du travail ? Cette généalogie érigée comme
méthode d’interprétation entend faire voler en éclats le soubassement réel qui se voile à travers ce
discours glorificateur.
La racine essentielle de cette trompeuse valorisation du travail consiste en
« la peur d e tout ce qui est individuel ».
Mais en quoi le travail serait -il un instrument de lutte
contre ce qui est proprement individuel ?
La lexie théologique dont il use est une manière indirecte de déconstruire la « bénédiction
du travail ».
Cette survaloris ation du travail conduit les nations à une quête sempiternelle, à
l’efficacité de tout labeur, à la rentabilité à tout prix et à la productivité effrénée au détriment de
la joie d’être.
Cette emprise du travail fait de l’individu un être policé, docile, à n’être d’un
rouage dans la machine de production.
La vision selon laquelle le travail est une valeur suprême,
un caractère essentiel à l’être de l’homme, l’élément déterminant pour l’épanouissement de
l’individu est une ruse pour que l’individu se sacrifie au profit de la collectivité.
Nietzsche
s’attache moins aux conditions historiques du travail comme le fera Marx, son contemporain.
Il
ne déplore pas la situation sociale, économique des travailleurs, il s’attaque directement à la
logique économique qui e xplique cette dégradation du travail, le passage du travail émancipateur
et épanouissant à un travail destructeur de notre authentique humanité.
Nietzsche démonte le
discours qui sacralise l’activité laborieuse et dénonce l’idée fallacieuse que seul le travail serait le
tremplin à un auto- dépassement de soi pour une humanité plus élevée.
Alors que le travail en son
essence est libérateur, il est devenu étrangement au cours de l’histoire, une aliénation qui rend
étranger l’individu à lui -même.
Aussi le probl ème est de savoir ce qui masque cette prétendue
« glorification du travail » ? Le philosophe du soupçon détecte une visée cachée du travail de
conditionner les hommes pour les plier à une discipline sociale.
Le travail est dénoncé comme
fonction policière, en tant que volonté politique d resser les individus tout en éteignant en eux la.
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