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Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra, trad. G. Bianquis modifiée, GF-Flammarion.

Publié le 19/03/2015

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nietzsche

Le chameau, le lion et l'enfant

Je vais vous dire les trois métamorphoses de l'esprit : comment l'esprit se change en chameau, le chameau en lion, et le lion en enfant, pour finir.

Il y a bien des choses qui semblent pesantes à l'esprit, à l'esprit robuste et patient, et tout imbu de respect ; sa force réclame de lourds fardeaux, les plus lourds qui soient au monde.

«Qu'y a-t-il de lourd à porter ? « dit l'esprit devenu bête de somme, et il s'age­nouille, tel le chameau qui demande à être bien chargé. [...]

...l'esprit docile prend sur lui tous ces lourds fardeaux ; pareil au chameau chargé qui se hâte de gagner le désert, il se hâte lui aussi de gagner son désert.

Et là, dans cette solitude extrême, se produit la deuxième métamorphose : l'esprit devient lion. Il entend conquérir sa liberté et être le roi de son propre désert. Il se cherche un dernier maître ; il sera l'ennemi de ce maître, et de son dernier Dieu ; il veut se mesurer avec le grand dragon, et le vaincre.

Quel est ce grand dragon que l'esprit refuse désormais d'appeler son seigneur et son dieu ? Le nom du grand dragon, c'est « Tu dois «. Mais l'âme du lion dit : « Je veux ! « [...]

Mais dites-moi, mes frères, que peut encore l'enfant dont le lion lui-même eût été incapable ? Pourquoi le lion féroce doit-il encore devenir enfant ?

C'est que l'enfance est innocence et oubli, commencement nouveau, jeu, roue qui tourne sur elle-même, premier mobile, affirmation sacrée.

Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra,

 

trad. G. Bianquis modifiée, GF-Flammarion.

Ainsi parlait Zarathoustra et il voulut poursuivre sa route, mais l'être innommable le saisit par un pan de son manteau et se remit à gargouiller en cherchant ses mots. [ ...]

— Quand tu enseignes : 'Tous les créateurs sont durs, tout grand amour triomphe de sa propre pitié' : — ô Zarathoustra, je pense que tu as bien compris les signes du temps !

Mais toi-même, prends garde à ta propre pitié ! Car il y a une foule de gens qui se sont mis en route pour venir te trouver, tous les souffrants, les douteurs, les désespérés, ceux qui sont en péril de se noyer et de mourir congelés.

Contre moi aussi je te mets en garde. Tu as deviné le meil­leur et le pire de cette énigme que je suis. Je connais la hache qui peut t'abattre."

Mais Lui — il a bien fallu qu'il mourût. De ses yeux qui voyaient tout, il voyait le fond et l'arrière-fond de l'homme, toute sa honte et sa laideur cachées.

Sa pitié était sans pudeur ; il s'insinuait dans les replis les plus immondes, ce curieux, cet indiscret, ce miséricordieux. Il a bien fallu qu'il mourût.

Il me regardait sans cesse ; j'ai voulu me venger d'un tel témoin — ou cesser de vivre.

 

Le Dieu qui voyait tout, et même l'homme, il a fallu qu'il mourût ! L'homme ne souffre pas de laisser vivre un pareil témoin« (Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra, GF-Flamma-rion, p. 321-324).

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