nietzche_verite et mensonge au sens extra moral
Publié le 07/10/2015
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«
Nietzsche, Vérité et mensonge au sens extra-moral
Michel Haar et Marc B.
de Launay
excitations et joue en quelque sorte à tâtons dans le dos des choses.
En outre, durant
toute sa vie, l’homme se laisse tromper la nuit par ses rêves sans que jamais son sens
moral ne cherche à l’en empêcher, alors qu’il doit bien y avoir des hommes qui, à force
de volonté, ont réussi à se débarrasser du ronflement.
Mais que sait en vérité l’homme de
lui-même ? Et même, serait-il seulement capable de se percevoir lui-même, une bonne
fois dans son entier, comme exposé dans une vitrine illuminée ? La nature ne lui
dissimule-t-elle pas la plupart des choses, même en ce qui concerne son propre corps,
afin de le retenir prisonnier d’une conscience fière et trompeuse, à l’écart des replis de
ses intestins, à l’écart du cours précipité du sang dans ses veines et du jeu complexe des
vibrations de ses fibres ! Elle a jeté la clef ; et malheur à la curiosité fatale qui
parviendrait un jour à entrevoir par une fente ce qu’il y a à l’extérieur de cette cellule
qu’est la conscience, et ce sur quoi elle est bâtie, devinant alors que l’homme repose,
indifférent à son ignorance sur un fond impitoyable, avide, insatiable et meurtrier,
accroché à ses rêves en quelque sorte comme sur le dos d’un tigre.
Dans ces conditions,
y a-t-il au monde un lieu d’où surgirait l’instinct de vérité ?
Pour autant que l’individu tient à se conserver face à d’autres individus, il n’utilise son
intelligence le plus souvent qu’aux fins de la dissimulation, dans l’état de nature.
Mais
dans la mesure où l’homme à la fois par nécessité et par ennui veut vivre en société et en
troupeau, il lui est nécessaire de conclure la paix et de faire en sorte, conformément à ce
traité, qu’au moins l’aspect le plus brutal du bellum omnium contra omnes disparaisse de
son monde.
Or ce traité de paix apporte quelque chose comme un premier pas en vue de
cet énigmatique instinct de vérité.
En effet, ce qui désormais doit être la « vérité » est
alors fixé, c’est-à-dire qu’il est découvert une désignation uniformément valable et
contraignante des choses, et que la législation du langage donne aussi les premières lois
de la vérité car à cette occasion et pour la première fois apparaît une opposition entre la
vérité et le mensonge.
Le menteur utilise les désignations pertinentes, les mots, pour
faire apparaître réel l’irréel ; il dit par exemple : « je suis riche », alors que pour qualifier
son état c’est justement « pauvre » qui serait la désignation correcte.
Il mésuse des
conventions établies en opérant des substitutions arbitraires ou même en inversant les
noms.
S’il agit ainsi de façon intéressée et de plus préjudiciable, la société ne lui fera plus
confiance et par là même l’exclura.
En l’occurrence, les hommes fuient moins le
mensonge que le préjudice provoqué par un mensonge.
Fondamentalement, ils ne
haïssent pas l’illusion mais les conséquences fâcheuses et néfastes de certains types
d’illusions.
C’est seulement dans ce sens ainsi restreint que l’homme veut la vérité.
Il
désire les suites favorables de la vérité, celles qui conservent l’existence ; mais il est
indifférent à l’égard de la connaissance pure et sans conséquence, et il est même hostile
aux vérités qui peuvent être préjudiciables ou destructrices.
Mais d’ailleurs, qu’en est-il
de ces conventions du langage ? Sont-elles d’éventuels produits de la connaissance, et
du sens de la vérité ? Les choses et leurs désignations coïncident-elles ? Le langage est-il
l’expression adéquate de toute réalité ?
Ce n’est jamais que grâce à sa capacité d’oubli que l’homme peut en arriver à
s’imaginer posséder une vérité au degré que nous venons justement d’indiquer.
S’il
refuse de se contenter d’une vérité sous forme de tautologies, c’est-à-dire de cosses
vides, il échangera éternellement des illusions contre des vérités.
Qu’est-ce qu’un mot ?
La transposition sonore d’une excitation nerveuse.
Mais conclure d’une excitation
nerveuse à une cause première extérieure à nous, c’est déjà ce à quoi aboutit une
application fausse et injustifiée du principe de raison.
Si la vérité avait été seule
déterminante dans la genèse du langage et si le point de vue de la certitude l’avait été
quant aux désignations, comment aurions-nous alors le droit de dire : « Cette pierre est
dure » comme si nous connaissions le sens de « dur » par ailleurs et qu’il n’était pas
seulement une excitation totalement subjective ! Nous classons les choses d’après des
genres, nous désignons l’arbre comme masculin et la plante comme féminine : quelles
transpositions arbitraires ! À quel point sommes-nous éloignés du canon de la certitude !
Nous parlons d’un serpent : la désignation n’atteint que le fait de se contorsionner et
pourrait donc convenir au ver également.
Quelles délimitations arbitraires, quelle
partialité que de préférer tantôt l’une, tantôt l’autre des propriétés d’une chose !
Comparées entre elles, les différentes langues montrent que les mots ne parviennent
jamais à la vérité ni à une expression adéquate ; s’il en était autrement, il n’y aurait pas
en effet un si grand nombre de langues.
La « chose en soi » (qui serait précisément la
vérité pure et sans conséquence) reste totalement insaisissable et absolument indigne
- 2 -.
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