Nicolas Berdiaeff, Vérité et Révélation
Publié le 06/04/2012
Extrait du document
«L'histoire exerce sur moi une contrainte et ne se préoccupe guère de mon sort. Voilà l'un de ses aspects. Mais cette histoire est mienne, elle s'est passée avec moi. Si l'homme contient en lui le cosmos, on peut dire à meilleur titre encore qu'il inclut l'histoire. Dans les profondeurs de mon être spirituel, dans l'homme transcendantal, la contradiction que je viens d'exposer s'efface. L'histoire d'Israël, celle de l'Egypte, de la Perse, de Babylone, de la Grèce et de la Rome antiques, celle du moyen âge et celle de la Renaissance, je les ai vécues; c'est là mon histoire et c'est là la seule raison qui me permet de les comprendre. Ce fut mon chemin et mes interrogations anxieuses; mes tentations, mes chutes et mes ascensions. Si tout cela n'était pour moi qu'objectivation et cette objectivité où tout est, par rapport à moi, d'origine extérieure, jamais je n'aurais pu y comprendre quoi que ce soit. Et la révolution russe s'est également faite avec moi, j'en suis responsable, elle est elle aussi mon chemin et mon expérience. Jamais je ne dois prendre l'attitude de l'homme qui s'estime être le seul à rester sur le terrain du juste alors que tous les autres nagent dans l'erreur et l'injustice. Rien de ce que j'étudie ne doit me paraître donné de l'extérieur. Je réponds même de l'acte de Caïn. L'histoire m'est à la fois étrangère en sa qualité d'objectivation, d'aliénation, et proche, car c'est la mienne. Il est impossible de sortir de la contradiction que je viens de souligner dans le cadre de notre monde. Par sa nature et par sa mission, l'homme est un être historique, lié non seulement à toute l'histoire, mais à toute la vie cosmique. Ce n'est pas seulement notre propre salut, pour nous servir à la rigueur de ce terme, que nous devons faire, mais celui de toute l'histoire et de tout l'univers. «
Introduction
La seule question posée par Berdiaeff dans ce texte est la suivante : que signifie pour l'homme le fait d'être un être historique ? Comment devons-nous comprendre notre propre historicité, et quelles conséquences, théoriques et pratiques, devons-nous tirer de la prise de conscience du fait que nous appartenons à l'histoire ? Dans quelle mesure l'activité de l'historien est-elle une activité gratuite, une simple curiosité, qui à la limite pourrait nous détourner de notre contact avec le réel et avec le présent, faire diversion en quelque sorte par rapport à l'urgence des situations dans
lesquelles nous sommes plongés ?
Plan :
Introduction
I. Penser l'historicité de l'homme
a) L'homme dans l'histoire
b) L'histoire en l'homme
II. Les conséquences épistémologiques et pratiques de cette historicité
a) L’homme ne peut se faire historien
b) Chacun est coupable devant tous, pour tous et pour tout.
Conclusion
«
s'agisse de mes prédécesseurs ou de mes contemporains ? Dans quelle mesure l'effort pour
me comprendre moi-même peut-il faire l'économie d'u n « détour » par ce qui, dans le passé,
permet d'éclairer et de comprendre le présent ? Quel est le rapport qui me rattache à l'histoire au sens de ce qui m'arrive, les
événements qui se déroulent autour de moi et vienne nt perturber ma vie ? Suis-je
simplement une victime de l'histoire, l'histoire es t-elle ce que je subis, ou existe-t-il un
autre lien, plus fondamental, entre elle et moi, qu i permette de dire que je ne suis pas
seulement dans l'histoire mais que je suis, en tant qu'homme, un être historique ?
I.
Penser l'historicité de l'homme
a) L'homme dans l'histoire
Le premier aspect de notre rapport à l'histoire est le plus évident, le plus immédiat :
l'histoire englobe l'individu, elle inclut l'homme en son sein.
L'histoire constitue une
totalité dont chaque individu n'est qu'un infime él ément.
Berdiaeff ne nie nullement cet
aspect des choses, mais ce n'est à l'évidence pas l 'aspect qui l'intéresse le plus.
Tout le texte
va consister à montrer qu'il existe aussi un autre rapport de l'homme à l'histoire,
autrement plus décisif, bien que plus difficile à r epérer.
Si la première phrase correspond à
ce que l'on a tendance à penser « spontanément », i l faut la comprendre dans son contexte.
Le philosophe ne nie aucunement le vécu des hommes, il ne méconnaît pas la souffrance
qu'il peut y avoir à se sentir écrasé par l'histoir e.
Mais sa tâche ne peut se limiter à répéter
aux autres hommes ce qu'ils savent déjà : tout l'e ffort de Berdiaeff dans ce texte va donc
consister à nous faire découvrir qu'il existe aussi un autre aspect des choses, et à se
demander comment les deux aspects peuvent coexister en nous.
De ce premier point de vue, l'histoire m'est extéri eure, étrangère : l'histoire est
vécue comme une puissance hostile ou au mieux indif férente, impersonnelle.
L'histoire ne
tient compte ni de mes souhaits, ni de mes aspirati ons, ni même de mes droits.
C'est ce que
Berdiaeff appelle l'« histoire objectivée », l'hist oire telle qu'elle peut être l'objet d'étude des
historiens.
Et par conséquent, je me retrouve moi-m ême « objectivé », débouté de ma
position de « sujet » de ma propre vie, simple obje t ballotté par les soubresauts de
l'histoire.
Je me sens pris dans un réseau, un tiss u historique qui me dépasse largement et
dans lequel le poids de mon intervention est néglig eable.
Je suis un simple rouage de ce
vaste engrenage.
L'objectivation, terme emprunté à Hegel et à Marx, prend un sens
spécifique dans l'existentialisme de Berdiaeff.
Pou r lui, est objectivée toute réalité
appréhendée indépendamment de la façon dont elle es t vécue par un sujet.
En ce sens, «
l'objectivé, c'est ce qui est étranger ».
En elle-m ême, « l'existence n'est jamais objet », mais
réalité vécue de l'intérieur.
Le « monde de l'objec tivation », tel que la science peut nous le
donner à connaître, résulte donc d'un processus d' objectivation par lequel le sujet se
dépouille de sa propre expérience pour la mettre à distance et en rendre possible la
connaissance.
Mais par ce processus, le sujet se re nd étranger à sa propre existence.
La
question centrale de la philosophie est donc pour B erdiaeff : « Qu'est-ce que
l'objectivation, et comment, de l'objectivation, re venir à l’existant ? » Ce texte illustre
cette démarche : comment, sous l'histoire enseignée dans les manuels et vécue par le sujet
comme expropriation de sa propre vie, retrouver son rapport vivant à l'histoire ?
Comment retrouver l'histoire comme ce qui me permet d'être le sujet que je suis ?
Cette approche, la plus courante et la plus immédia tement compréhensible, de
l'histoire, donne lieu à toutes sortes de plaintes et de litanies : l'homme se sent écrasé par le.
»
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