NATURE ET OBLIGATION MORALE (cours de philosophie)
Publié le 27/01/2020
Extrait du document
Tout ce qui est passé est nécessairement vrai ;
L’impossible n’est pas la conséquence logique du possible;
Est possible ce qui n’est pas vrai ni ne le sera.
Conscient de cette contradiction, Diodore utilisait la probabilité des deux premières propositions pour appuyer celle que voici : rien n’est possible qui n’est ni vrai ni ne le sera » (est possible ce qui est vrai et le sera). (Épictète, Entretiens, II, 19, 1-2)
Diodore (mort entre 305 et 295 avant J.-C.) part de la nécessité du vrai comme éliminant de la réalité les possibles non susceptibles de se réaliser, et les établissant comme faux. Contrairement à l’apparence, le possible ne résulte pas d’un choix, puisque celui qui est choisi l’était nécessairement, étant vrai, les autres, ceux qui n’ont pas été ni ne seront élus, étant faux. La vérité future peut bien être ignorée de nous, elle n’en est pas moins déjà vraie, sauf à se contredire. Il n’y a donc rien de contingent, rien qui puisse être autrement, si ce n’est illusoirement. Les conséquences sur le plan moral sont effroyables. Aristote en fait le bilan à partir d’un exposé des prémisses logiques assez proche de l’argument précédent:
« Point ne serait besoin ni de délibérer ni de se tracasser, parce que, croirait-on, si nous faisons ceci, cela arrivera, et dans le cas contraire, non : rien n’empêche en effet que dix mille ans auparavant l’un affirme que ceci sera, l’autre le niant, de telle sorte que nécessairement sera celle des deux qui était vraie au moment où elle fut dite. »
(Aristote, De l’interprétation, IX, 18 b 31 et sq.)
De fait, l’argument dominateur engendre sur le plan moral la paresse, c’est pourquoi on en tirera un argument paresseux1 (argos logos) dont il se distingue pourtant. Il ne suffit pourtant pas de se révolter devant les conséquences absurdes (atopa) qu’entraîne l’adoption du nécessitarisme logique, il faut le battre sur son propre terrain en révélant une faille dans le raisonnement lui-même. Pour ce faire, il faut justifier ce que l’on appellera plus tard les futurs contingents.
1. « Et il ne nous créera point d’embarras, ce raisonnement qu’on dit paresseux (ignata ratio) : les philosophes donnent le nom i’argos logos à un raisonnement tel que si on lui obéit, on ne fera plus rien dans l’existence. Ils posent l’argument (interrogatio) en ces termes. « Si ton destin (fatum) est de guérir de cette maladie, que tu recoures ou non aux services d’un médecin, tu guériras ; de même, si c’est ton destin de n’en point réchapper, que tu fasses appel ou non au médecin, tu ne guériras pas ; l’un des deux termes de l’alternative est ton destin, donc il ne sert de rien d’appeler le médecin. » Il est juste d’appeler ce genre d’argument paresseux et amollissant (inertem); ne supprime-t-il pas toute activité dans la vie ? ». (Cicéron Du destin XH-28-29)
« Pour agir conformément à l’amour de Dieu, il ne suffit pas d’avoir patience par force, mais il faut être véritablement satisfait de tout ce qui nous est arrivé suivant sa volonté. J’entends cet acquiescement quant au passé. Car, quant à l’avenir, il ne faut pas être quiétiste ni attendre ridiculement à bras croisés ce que Dieu fera, selon ce sophisme que les anciens appelaient logos aergos, la raison paresseuse... » (Leibnitz Discours de métaphysique (§ 4, 1686) et Théodicée (préface GF)
NATURE ET OBLIGATION MORALE
1. Nature et obligation: les limites de la morale antique.
a. Nature et vertu chez Aristote.
b. Nature et progrès moral : Stoïciens et Epicuriens.
2. L’apport de la religion biblique : le dépassement de la nature.
3. Le problème philosophique du devoir :
a. La connaissance théorique de la liberté humaine : une impasse ?
b. La raison pratique et la découverte de l’obligation morale.
et encore en français moderne prud'homme). Aristote donne la définition suivante :
«La vertu (aretè) est une habitude (hexis) obtenue par choix délibéré (prohairetikè), résidant dans le milieu relatif à nous, délimitée par un calcul rationnel (logo), celui qu’opérerait l’homme avisé (ho phronimos). » (Éthique à Nicomaque, II, 6 . 1106 b 35 ; GF p. 54)
Habitude parce que l’on n’est pas vertueux une fois, en passant, par hasard : l’action n'aurait en ce cas aucun mérite moral ; et aussi parce que l’habitude se contracte, elle n’est pas naturelle, si l’on veut dire par là spontanée : dans habitude il y a habere, avoir, ce qui suppose une acquisition ; elle est en nous une'seconde nature, une nature ajoutée à la nature, puisque c’est elle qui nous donne la capacité de former des habitudes. Le choix délibéré spécifie cette habitude (terme générique) en lui conférant une caractère moral (on ne saurait juger moralement celui en est dépourvu et qui agit contre son gré). Le milieu relatif à nous que l’on rend parfois par «juste milieu », n’est pas le juste milieu d’un confort sans risques : le juste milieu est pour chaque individu le terme, moyen, unique, entre les deux extrêmes, tous deux défectueux moralement ; rien à voir avec la médiocrité à laquelle on serait tenté de la ramener. C’est la raison calculatrice (logos a les deux sens) qui la détermine car seul un animal rationnel est susceptible de moralité : il s’agit donc de l’homme exclusivement, de l’homme dont la parole (logos) permet de manifester le juste et l’injuste, là où l’animal ne sait que crier son plaisir ou sa douleur. La prudence enfin, dont il faut rappeler qu’elle n'est pas une science : la science a pour objet le nécessaire et l’action porte sur le contingent ; elle n’est pas non plus un art, car les arts sont de production, non d'action, en raison de l'extériorité de leur effet, alors que l’action a son effet Immanent à l’agent. Par là se trouve déterminé naturellement le champ éthique, c’est-à-dire le champ des habitudes morales.
Aristote aime à faire ce rapprochement que l'on trouve déjà chez Platon (Lois Vil, 792 e) entre éthos et éthos: éthos qui qualifie l’ensemble des vertus morales par rapport aux vertus intellectuelles, signifie le « caractère», et éthos, l’habitude. De l’un à l’autre la différence est donc d’un accent et l’on comprend que l’on ait dérivé le premier du second par un jeu de mots pertinent :
«Si la vertu intellectuelle tire pour la plus grande part naissance et accroissement d’un enseignement (aussi demande-t-elle temps et expérience) la vertu morale (èthikè) est le produit de l’habitude (éthos), dsoù son mm (éthique) suite à une petite modification du mot éthos (=habitude). » (Éthique à Nicomaque, II-l, 1103 a 15 ; GF p. 46)
Le domaine moral est donc, mis à part les vertus intellectuelles, entièrement naturel, puisque les habitudes éthiques ne sont pas naturelles ni contraires à la nature : elles ne sont pas naturelles, puisque l’on n’est pas courageux comme une pierre tombe vers le centre de la terre. Elles ne
«
1.
Les limites de la morale antique
Il y a bien de la différence entre le devoir et la nécessité bien que la
langue ne la marque guère, ou du moins avec autant de précision que
l'anglais ou l'allemand par exemple: I must et müssen marquent la néces·
sité et s'entendent aussi bien des nécessités naturelles que du compor·
tement humain lorsqu'il est astreint aux contraintes de nature ; sol/en et ·
/ ought to connotent au contraire la seule obligation morale.
En français,
dire« je dois travailler» renvoie aussi bien à l'obligation, au devoir, qu'à
la contrainte: affaire de lieu et de temps, selon qu'en vacances, je me
mette à ma table de travail, ou que dans l'ordinaire, je le fasse pour vivre,
comme on dit.
De la nécessité à l'obligation, on passe de la nature à la
morale: celle-là m'oblige et je ne saurais m'y dérober, celle-ci oblige,
comme on disait en vieille langue : «Je suis votre obligé, parce que je peux
faire autrement».
a.
Nature et vertu chez Aristote
Pourtant ce passage n'est nullement évident: ne peut·on en effet remar·
quer que de la nature à la morale, on passe en fait de la nature à la nature
humaine, d'une nécessité généralisée à une nécessité restreinte.
Avec
l'homme apparaît quelque chose de différent, il n'est pas seulement ani·
mal; mais cette différence n'en est pas moins naturelle: il est politique.
Or cette différence n'ajoute rien à la nature, elle en précise au contraire
les contours, puisqu'elle en fixe le point d'aboutissement, le sommet hié
rarchique.
Il en est ainsi chez Aristote: pour lui, le domaine de la nature
ou des êtres naturels est ordonné par rapport à l'homme, et au-dessus
de lui (c'est-à-dire, dans sa cosmologie, dans le monde supralunaire) on
n'a plus affaire à des êtres naturels mais à des Intelligences séparées,
ou aux planètes, etc, dont les caractères (en particulier le mouvement
circulaire continu) sont inconnus des êtres naturels.
Dans le monde sub
lunaire, en revanche, rien qui ne soit naturel, c'est-à-dire qui ne s'expli
que par le principe et la cause de mouvement et de repos inhérent au
sujet par essence et non par accident.
Rien, donc pas même les compor
tements éthiques ou moraux.
Mais dira+on, que peuvent-ils en ce cas
avoir de moral? Si l'obligation n'est pas la nécessité, n'est-ce-pas jouer
sur les mots que de découvrir des.
»
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