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NATURE ET CULTURE - J.-J. Rousseau

Publié le 21/01/2020

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Dégagez l’intérêt philosophique du texte suivant, en procédant à son étude ordonnée.

Le penchant de l’instinct est indéterminé. Un sexe est attiré vers l’autre, voilà le mouvement de la nature. Le choix, les préférences, l’attachement personnel sont l’ouvrage des lumières 1, des préjugés, de l’habitude ; il faut du temps pour nous rendre capables d’amour, on n’aime qu’après avoir jugé, on ne préfère qu’après avoir comparé. Ces jugements se font sans qu’on s’en aperçoive, mais ils n’en sont pas moins réels. Le véritable amour, quoi qu’on en dise, sera toujours honoré des hommes ; car, bien que ses emportements nous égarent, bien qu’il n’exclue pas du cœur qui le sent des qualités odieuses et même qu’il en produise, il en suppose pourtant d’estimables sans lesquelles on serait hors d’état de le sentir. Ce choix qu’on met en opposition avec la raison nous vient d’elle ; on a fait l’amour aveugle parce qu’il a de meilleurs yeux que nous, et qu’il voit des rapports que nous ne pouvons percevoir. Pour qui n’aurait nulle idée de mérite ni de beauté, toute femme serait également bonne, et la première venue serait toujours la plus aimable. Loin que l’amour vienne de la nature, il est la règle et le frein de ses penchants.

J.-J. Rousseau

1. L’ouvrage des lumières : l’ouvrage de la raison.

sexuel, qu’au bout d’un certain temps et qu’après avoir acquis des « connaissances ». Ce qui signifie, non pas qu’il faut d’abord connaître de nombreux partenaires avant de pouvoir choisir celui ou celle qui conviendra le mieux, mais qu’une préférence ne peut apparaître qu’à partir de certaines conditions de possibilité : pour aimer, il faut pouvoir «juger» et « comparer » ■— activités qui impliquent la raison et son travail.

Sans doute les jugements en question restent-ils implicites : ils n’en constituent pas moins le contexte relativement auquel il devient possible d’élire une personne plutôt qu’une autre.

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« 66 L'HOMME ET LE MONDE rendre capables d'amour», l'amour «a de meilleurs yeux que nous» ...

Ne pas se contenter d'une rapide paraphrase.

- Ne pas confondre les connaissances qui nous rendent «capables d'amour» avec l'idée (absente du texte) qu'il faudrait avoir connu beau­ coup de partenaires pour sélectionner l'être aimé.

CORRIGÉ [Introduction] L'opinion commune admet volontiers que l'amour est un sentiment à peu près inné dans l'homme : il serait le même à travers toutes les époques et toutes les sociétés et, de la sorte, serait dû à la nature elle­ même.

L'originalité de cet extrait de Rousseau est de montrer au contraire que l'amour véritable - à distinguer du simple instinct sexuel - suppose des acquis tout autres que naturels : la raison, le jugement, l'environne­ ment social participent à son élaboration.

L'opposition classique entre la passion amoureuse et la raison fait du coup place à des relations beaucoup plus subtiles.

[I.

Instinct sexuel et amour véritable] Pour Rousseau, le seul composant naturel de l'amour réside dans l'ins­ tinct sexuel : c'est bien la nature qui attire un sexe vers l'autre - et c'est ce qu'elle fait pour les animaux aussi bien que pour les hommes.

Mais son rôle s'arrête là : il est générique en même temps que génétique, puisqu'il concerne l'autre sexe en général et assure la reproduction de l'espèce (on peut remarquer que, pour Rousseau, l'hétérosexualité semble à ce niveau obligatoire).

Dans ce comportement qui ne relève que de l'instinct, le «penchant» de ce dernier reste «indéterminé» : l'individu vers qui nous mène l'ins­ tinct n'est qu'un représentant de l'autre sexe, ses déterminations singu­ lières ne comptent pas.

Pour que l'individu émerge sous l'aspect d'un par­ tenaire se distinguant de tous les autres possibles, il faut un « choix », des « préférences », un « attachement personnel » - qui ne relèvent pas de la nature puisqu'ils sont au contraire l'œuvre de la raison, des préjugés, de l'habitude, ce qui fait évidemment signe vers un environnement social.

En d'autres termes: pour choisir un individu, il faut des critères, et ceux-ci ne peuvent résulter que d'une lente élaboration.

On ne devient donc capable d'aimer véritablement, c'est-à-dire de choi­ sir une personne particulière au lieu de satisfaire aveuglément l'instinct. »

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