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Naissance de la peinture abstraite

Publié le 22/02/2012

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Naissance de la peinture abstraite : l'expression convient-elle pour qualifier un phénomène qui s'est produit en Europe entre 1909 et 1939 environ, alors que les parois de telles grottes préhistoriques, les céramiques grecques du style dit géométrique, l'art des peuples qui envahirent l'Empire romain, et celui de l'Irlande s'éveillant au christianisme, pour ne citer que ces quelques exemples, prouvent que l'art abstrait est aussi vieux en fait que l'art figuratif ? Parlerons-nous alors de renaissance de l'art abstrait ? Le cas de l'Islam nous en empêche, qui, de Mahomet à nos jours, s'y est jalousement, exclusivement confiné, à de rares exceptions près, celle notamment de la Perse hérétique. De la préhistoire à nos jours, l'art abstrait n'a, ainsi, jamais cessé de fleurir et de prospérer sur un coin quelconque du globe : constatation banale, mais qui devrait suffire à rendre ses adversaires d'aujourd'hui plus prudents dans la dénonciation qu'ils en font comme d'une aberration, d'une maladie, d'une tare. Il est et n'est qu'une des possibilités artistiques proposées à l'humanité, au même titre que son antagoniste : l'art figuratif.      Il n'en est pas moins vrai, pourtant, que l'humanité occidentale l'avait dédaigné, oublié, laissé en friche depuis longtemps, lorsqu'à l'orée du XXe siècle, elle recommença à le pratiquer. Caprice, alors, d'un original en mal de nouveautés extravagantes et saugrenues ? Résultat, au contraire, d'une lente évolution, vieille alors d'un bon demi-siècle, et qui avait poussé inexorablement la peinture de l'Occident vers ces horizons abstraits.       " La peinture n'a pas toujours besoin d'un sujet… " Ces mots que Delacroix traçait dans son Journal, de quel son prophétique ne résonnent-ils pas pour nous ! Mélomane envoûté par le pouvoir des sons qui ne reproduisent pas les bruits de la nature, il n'avait pas été bien difficile à son intelligence réflexive et aiguë de prendre conscience du fait que l'action d'un tableau sur ceux qui le contemplent, ce n'est pas de son sujet qu'elle vient, ni même de ce qu'il représente, mais de ses couleurs, d'abord, " pont mystérieux jeté du peintre au spectateur ", et de son dessin, ensuite, de ses rythmes, de sa matière, voire même de son exécution, enfin.  

« approché, il s'aperçut que c'était seulement là un de ses propres ouvrages, mais posé à l'envers, ce qui lui conférait à la fois cet aspect insolite etcette résonance.

Il ne fut pas long à en conclure que l'élément représentatif diminuait la puissance émotionnelle de l'art et que, quant à lui, ainsiqu'il l'a écrit lui-même " les objets nuisaient à (sa) peinture ".

De là à les éliminer de ses oeuvres, il n'y avait qu'un pas à franchir, et qu'il franchit dans une aquarelle, suivie peu après par des tableaux d'où l'élément figuratif était pareillement éliminé.

Picabia A1383 , à Paris, Kandinsky A065 , à Munich : à ces pionniers de l'aventure abstraite, il serait injuste de ne pas associer deux autres conquistadors de ces terres oubliées et qui oeuvraient l'un et l'autre en France.

L'un était le Russe Rossiné, qui peignit en février 1910 uneComposition où rien ne rappelle plus la nature et que possède aujourd'hui le Musée National d'Art Moderne ; l'autre, le Tchèque Kupka qui, arrêté un moment sur la frontière séparant figuration et abstraction avec ses Plans par couleur A2T05M3 (1911), passe résolument, peu après, cette frontière et expose en 1912 au Salon d'Automne des toiles dont les titres proclament à eux seuls le caractère abstrait : Amorpha, fugue en deux couleurs et Amorpha, chromatique chaude .

Entré dans ce monde nouveau, Kupka n'en sortira plus : fait d'autant plus remarquable que les autres promoteurs de la peinture abstraite opèrent tous alors des retours en arrière, sous l'influence, pour Rossiné, du Futurisme (La Forge, 1911, Musée national d'Art moderne), sous celle du Cubisme et du mouvement de la Section d'Or pour Picabia A1383 (La Procession à Séville , 1913), et en ce qui concerne Kandinsky A065 , par attachement à l'interprétation colorée et lyrique de la nature, qu'il avait mise au point peu avant à Murnau (Paysage à la locomotive , 1911, Paysage sous la pluie , 1913).

Mais ces hésitations n'étaient pas des abandons, et parallèlement à leurs oeuvres figuratives, Picabia A1383 et Kandinsky A065 en créaient des abstraites : ainsi les admirables compositions intitulées par le premier Udnie et Ectaonil (1913) et les fameux chefs-d'oeuvre de la manière abstraite et lyrique du second, tels que certaines Improvisations de 1912 et de 1913, L'Arc Noir de 1912, la Tache rouge de 1914 et les Décorations exécutées la même année pour Campbell.

Pareille hésitation entre art abstrait et art figuratif se remarque également chez Robert Delaunay A033 et sa femme Sonia Terk-Delaunay A1137 , qui, de 1911 à 1914, font alterner dans leurs productions, oeuvres représentatives, telles que le Drame Politique de l'un, le Bal Bullier (1913) de l'autre, et oeuvres " inobjectives ", ainsi qu'ils disaient, comme les Formes circulaires (1912) de celui-là, et l'illustration, par celle-ci, du poème de Blaise Cendrars L1202 , la Prose du Transsibérien et de la Petite Jehanne de France (1913), oeuvres antinomiques entre lesquelles une sorte de pont est jeté par des compositions semi-figuratives et semi-inobjectives, ainsi que les Fenêtres A033M1 (1912) et l'Hommage à Blériot A033M2 (1914) du premier, les Prismes électriques (1914) de la seconde.

C'est également dans ce " no man's land " que se situent nombre de peintures exécutées au cours de ces années qui précèdent la guerre de 1914,tant à Paris qu'à l'étranger.

Ainsi en va-t-il, en France, des Contrastes de formes multipliés par Fernand Léger A074 en 1913-1914, en Allemagne, de certaines compositions de Franz Marc A1315 , contaminations de l'art de Delaunay et de celui de Kandinsky A065 comme les Formes en lutte de 1914, en Italie, de diverses oeuvres futuristes comme celles que le mouvement des astres inspire à Balla A1023 (La Planète Mercure passe devant le Soleil 1914), celui des machines à Russolo A1453 (Dynamisme d'une automobile A2T05M5 , 1911-1912) et à Boccioni A1054 le désir d'exprimer des états d'âme ( Ceux qui partent, 1911).

De même que le Futurisme et son désir de dire l'essence dynamique du monde moderne et de la vie faisaient glisser les champions de cette peinture vers l'abstrait, de même l'effort tenté par les Rayonnistes russes de rendre, en quelque sorte, lalumière à l'état pur, amenait Larionov et Gontcharova dans cette zone où le figuratif, n'étant plus reconnaissable, devient " inobjectif " et frôle debien près l'abstraction absolue : la toile du premier intitulée Le Verre (1909) et celle que la seconde a dénommée Électricité (1911) sont des exemples significatifs de cette position qu'on pourrait qualifier de " para-abstraite ".

Étonnant foisonnement, ainsi, de l'art abstrait en ce printemps fécond de sa jeunesse, où sa fraîcheur a toutes les audaces, étonnante diversitéaussi ! Dès sa naissance, la peinture abstraite se montre aussi riche en possibilités que la peinture figurative.

Que de différences, en effet, entrel'Expressionnisme abstrait de Kandinsky A065 , d'une part, fougueusement romantique dans sa griserie de couleurs et sa fougue d'exécution, et l'abstraction, d'autre part, de Robert Delaunay A033 qui, peut-être aussi affolé de couleur, aussi fougueux dans sa facture, aussi lyrique, ne s'en situe pas moins dans une tout autre perspective, celle de l'Impressionnisme.

C'est dans la ligne des oeuvres de Gauguin A045 que se situent les premières oeuvres abstraites de Picabia A1383 , celles de 1909-1910, et dans celle du Cubisme et, davantage encore, dans celle de la Section d'Or que prennent place ses grandes compositions abstraites de 1913-1914, tandis qu'à tout moment affleure dans la production abstraite de Kupka son substrat viennois du Jugendstil , à l'école de qui il s'était d'abord formé.

Les toiles abstraites des Futuristes restent futuristes, comme les Contrastes de formes de Léger A074 s'avèrent débiteurs de la rigueur cubiste par laquelle son auteur était naguère passé.

Mais quelles que soient les sources qui alimentent ces premières expressions de l'art abstrait à son aurore, cecitoujours leur est commun à toutes : la fraîcheur d'invention, la liberté sans limites, l'audace que rien ne retient quesa volonté propre.

C'est le temps de la griserie d'une juvénilité qui s'émerveille d'elle-même et s'abandonne à sestrouvailles avec une sorte de frénésie joyeuse et d'innocence riche de foi.

Mais déjà une autre tendance se fait jour dans la peinture abstraite, une tendance à l'économie des formes et de la palette, à la rigueur de laconstruction, à la discipline réfléchie dans la facture.

De cette tendance, le promoteur paraît bien avoir été Kupka, encore qu'on néglige le plussouvent de le reconnaître au profit de Malevitch A1310 et de Mondrian A091 .

C'est oublier que ses Plans verticaux de 1912 précèdent d'un an le Carré noir sur fond blanc A2T05M6 du Russe et de cinq ans les premières compositions rigoureusement abstraites et géométriques A2T05M7 du Néerlandais.

Il n'est pourtant que de regarder au Musée National d'Art Moderne le rectangle noir et les deux trapèzes violet et blanc qu'il adétachés sur un fond bleu uni pour s'apercevoir que c'est à lui que revient l'initiative de cette tendance à l'utilisation des formes géométriques, desmoyens réduits, de l'austérité, tous caractères qui définissent la production de Malevitch A1310 à partir de 1913 et celle, après 1917, de Mondrian A091 .

Est-ce à dire que le mérite de ces maîtres en soit pour autant diminué ? Tant s'en faut.

D'abord ils ont été plus loin, bien plus loin, que Kupka danscette direction de l'abstraction géométrique et de l'économie extrême des moyens.

Le Carré blanc sur fond blanc exécuté par Malevitch A1310 en 1919 et le Noir sur noir que lui opposa Rodtchenko A1437 marquent le nec plus ultra de cette tentative, de même que la discipline puritaine que s'imposèrent Mondrian A091 et les autres adeptes du Néo-Plasticisme, Van Doesburg A1530 , Van der Leck A1527 , Huszar, collaborateurs, comme lui, de la revue néerlandaise " De Stijl ".

Seuls la ligne droite et l'angle droit sont admis ; seules les couleurs primaires rouge, jaune et bleu et lesnon-couleurs, blanc, noir, et, à la rigueur, gris, sont tolérées.

L'exécution doit être anonyme, comme celle d'un peintre en bâtiment, la matière. »

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