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Montesquieu 94 : Les lois : « rapports nécessaires qui dérivent de la nature des choses [Esprit des Lois, I, 1]

Publié le 24/09/2010

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« Les lois, dans la signification la plus étendue, sont les rapports nécessaires qui dérivent de la nature des choses : et, dans ce sens, tous les êtres ont leurs lois ; la Divinité a ses lois ; le monde matériel a ses lois ; les intelligences supérieures à l'homme ont leurs lois ; les bêtes ont leurs lois ; l'homme a ses lois. Ceux qui ont dit qu'une fatalité aveugle a produit les effets que nous voyons dans le monde, ont une grande absurdité ; car quelle plus grande absurdité qu'une fatalité aveugle qui aurait produit des êtres intelligents ? Il y a donc une raison primitive ; et les lois sont les rapports qui se trouvent entre elle et les différents êtres, et les rapports de ces divers êtres entre eux. Dieu a du rapport avec l'univers, comme créateur et comme conservateur : les lois selon lesquelles il a créé sont celles selon lesquelles il conserve. Il agit selon ces règles, parce qu'il les connaît ; il les connaît parce qu'il les a faites ; il les a faites, parce qu'elles ont du rapport avec sa sagesse et sa puissance. Comme nous voyons que le monde, formé par le mouvement de la matière, et privé d'intelligence, subsiste toujours, il faut que ses mouvements aient des lois invariables ; et, si l'on pouvait imaginer un autre monde que celui-ci, il aurait des règles constantes, ou il serait détruit. Ainsi la création, qui paraît être un acte arbitraire, suppose des règles aussi invariables que la fatalité des athées. Il serait absurde de dire que le Créateur, sans ces règles, pourrait gouverner le monde, puisque le monde ne subsisterait pas sans elles. Ces règles sont un rapport constamment établi. Entre un corps mû et un autre corps mû, c'est suivant les rapports de la masse et de la vitesse que tous les mouvements sont reçus, augmentés, diminués, perdus ; chaque diversité est uniformité, chaque changement est constance. Les êtres particuliers intelligents peuvent avoir des lois qu'ils ont faites mais ils en ont aussi qu'ils n'ont pas faites. Avant qu'il y eût des êtres intelligents, ils étaient possibles ; ils avaient donc des rapports possibles, et par conséquent des lois possibles. Avant qu'il y eût des lois faites, il y avait des rapports de justice possibles. Dire qu'il n'y a rien de juste ni d'injuste que ce qu'ordonnent ou défendent les lois positives, c'est dire qu'avant qu'on eût tracé de cercle, tous les rayons n'étaient pas égaux. Il faut donc avouer des rapports d'équité antérieurs à la loi positive qui les établit : comme, par exemple, que, supposé qu'il y eût des sociétés d'hommes, il serait juste de se conformer à leurs lois ; que, s'il y avait des êtres intelligents qui eussent reçu quelque bienfait d'un autre être, ils devraient en avoir de la reconnaissance ; que, si un être intelligent avait créé un être intelligent, le créé devrait rester dans la dépendance qu'il a eue dès son origine ; qu'un être intelligent, qui a fait du mal à un être intelligent, mérite de recevoir le même mal, et ainsi du reste. Mais il s'en faut bien que le monde intelligent soit aussi bien gouverné que le monde physique. Car, quoique celui-là ait aussi des lois qui, par leur nature, sont invariables, il ne les suit pas constamment comme le monde physique suit les siennes. La raison en est que les êtres particuliers intelligents sont bornés par leur nature, et par conséquent, sujets à l'erreur ; et, d'un autre côté, il est de leur nature qu'ils agissent par eux-mêmes. Ils ne suivent donc pas constamment leurs lois primitives ; et celles même qu'ils se donnent, ils ne les suivent pas toujours.

 

I. Questions

1. Quelle définition du mot LOI Montesquieu avance-t-il ? 2. Quelle interprétation possible de cette définition écarte-t-il ? Comment ? Et pourquoi ? 3. Qu'est-ce qui constitue la spécificité de l'homme par rapport au reste du monde ? 4. Après avoir lu ce texte, quel sens donneriez-vous au titre de l'ouvrage de Montesquieu, De l'esprit des lois?

Il. Travaux d'écriture

1. Analysez, en une page, les différentes phases de l'argumentation de Montesquieu. 2. En quoi le projet de l'auteur, à partir de la définition de la loi, innove-t-il ? Vous produirez une réponse organisée en une quarantaine de lignes. 3. La loi positive est donnée par Dieu ou par les hommes. Doit-elle, selon Montesquieu, être distinguée de la loi naturelle ? Rédigez votre réponse en une trentaine de lignes.

 

 

• Dans le deuxième paragraphe, Montesquieu, rejette le point de vue des matérialistes. Ces derniers soutiennent la théorie atomiste d'après laquelle seul le hasard a pu produire une combinaison d'atomes : le monde, aveugle, serait gouverné par les lois purement physiques.  L'auteur montre la contradiction dans les termes : il est, pour lui, impossible que la simple organisation de la matière ait pu donner naissance à des êtres intelligents. Montesquieu emploie donc le raisonnement par l'absurde dans la mesure où l'hypothèse des matérialistes lui paraît être contredite par l'expérience. L'interrogation oratoire permet d'évacuer ce qui constitue, pour lui, une évidente absurdité.   

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« notion moderne de loi abstraite n'émerge qu'au XVIIe siècle ; cependant, même un scientifique comme Newtonappliquait une méthode expérimentale, empirique, mais croyait l'ordre naturel gouverné par Dieu.Voici la définition stricte de la loi selon Montesquieu : « Les lois, dans la signification la plus étendue, sont lesrapports nécessaires qui dérivent de la nature des choses » (l.

1) et la définition expliquée : « et, dans ce sens,tous les êtres ont leurs lois, la divinité a ses lois, le monde matériel a ses lois, les intelligences supérieures à l'hommeont leurs lois, les bêtes ont leurs lois, l'homme a ses lois ».

Du point de vue argumentatif, Montesquieu est donclogique.Mais, le contenu de sa définition stricte n'est pas très précis car tout dépend de l'interprétation donnée àl'expression « nature des choses » : renvoie-t-elle au monde naturel en général ? C'est ce que précise l'explicationde la définition : Montesquieu lie la notion de loi non pas à un contenu mais à un rapport.

La loi, c'est, pour lui, cequi met en relation les êtres et les choses.

Ce type de définition reproduit la démarche du scientifique.

La loinaturelle engage à poser des rapports nécessaires qu'il convient de comprendre pour énoncer et formaliser les règlesimpératives (loi civile) édictées par la société composée de citoyens dotés, selon Montesquieu, d'une conscience (loimorale).

Voici comment son auteur définit la Loi naturelle ou scientifique : « Proposition qui énonce l'existence derapports nécessaires et constants entre des phénomènes naturels, qu'ils soient matériels, socio-économiques oupsychologiques.

Dans ce sens la loi n'est plus une prescription, mais une constatation.

La loi ne dit pas ce qu'il fautfaire, mais elle décrit, observe, mesure ce qui est.

» Question 2: Quelle interprétation possible de la définition du mot Loi Montesquieu écarte-t-il? Comment? Etpourquoi? • Dans le deuxième paragraphe, Montesquieu, rejette le point de vue des matérialistes.

Ces derniers soutiennent lathéorie atomiste d'après laquelle seul le hasard a pu produire une combinaison d'atomes : le monde, aveugle, seraitgouverné par les lois purement physiques.L'auteur montre la contradiction dans les termes : il est, pour lui, impossible que la simple organisation de la matièreait pu donner naissance à des êtres intelligents.

Montesquieu emploie donc le raisonnement par l'absurde dans lamesure où l'hypothèse des matérialistes lui paraît être contredite par l'expérience.

L'interrogation oratoire permetd'évacuer ce qui constitue, pour lui, une évidente absurdité.Cette précision vise à mieux définir le point de vue de l'auteur : « la nature des choses » ne renvoie pas, seulement,au mécanisme des atomes dans le cosmos.

Autrement dit, Montesquieu admet une cause métaphysique, un principespirituel, qui aurait engendré des processus déterminés par leurs lois originelles.

Tout n'est pas bon dans la nature,selon Montesquieu : il faut dégager une loi humaine, et non pas une loi purement matérielle, car la morale humainesuppose un principe spirituel. Question 3: Qu'est-ce qui constitue la spécificité de l'homme par rapport au reste du monde? Montesquieu met en perspective le monde matériel et la société des hommes : « Mais il s'en faut bien que le mondeintelligent soit aussi bien gouverné que le monde physique » (l.

59).

Chacun d'eux possède sa logique propre : lanature ne varie pas dans l'application de ses lois.

Les hommes font partie de la nature mais cette même nature lesincite à agir par eux-mêmes et non plus en fonction de lois qui les dépassent.

Ils sont donc à la fois libres et limités: il restera à définir si ces deux caractéristiques entrent dans une relation de cause à effet.L'être intelligent va vers la justice ; mais il peut faire des erreurs, se tromper dans l'appréciation des rapportsentretenus par les choses.

Pour Montesquieu, l'être intelligent va, d'emblée, vers la justice ; mais, justement, leserreurs humaines proviennent du paradoxe de l'intelligence, liée à la sensibilité et à la passion, qui peuvent inciterl'homme à sombrer dans l'égoïsme.

L'homme détourne la loi à cause de sa faculté de pensée, de réfléchir.

Ilfonctionne logiquement, en fonction de sa nature, mais cela ne signifie pas pour autant qu'il soit capable de prendreen compte tous les paramètres.Question 4 : Après avoir lu ce texte, quel sens donne-riez-vous au titre de l'ouvrage de Montesquieu, De l'esprit deslois?• Pour Montesquieu, la loi concerne : 1.

la matière inanimée, 2.

les êtres vivants (les hommes, les animaux).

Cettedistinction permet de distinguer : la loi comme rapport constant entre deux choses ou deux êtres, que peut saisirl'intelligence, et l'esprit de la loi, ou loi saisie dans son intentionnalité.

Car la loi est intelligente, elle ne se réduit pasà un simple rapport logique ; elle témoigne de la bienveillance d'une intelligence supérieure, organisatrice du grandtout.Après avoir, comme on le faisait à son époque, opposé les lois naturelles aux lois sociales, Montesquieu montre quecelles-ci participent, du moins en partie, du naturel.

En cela, il s'oppose à ses contemporains, tout en demeurantdans la ligne de Ibn Khaldoun et de Jean Bodin.

Il mérite donc d'être considéré comme le père de la sociologie.

Cet «esprit » des lois qu'il s'efforçait de circonscrire, c'est, précisément, leur part de naturalité. Travaux d'écriture 1.

Analysez, en une page, les différentes phases de l'argumentation de Montesquieu.. »

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