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Mill: Le travail engendre-t-il l'inégalité entre les hommes ?

Publié le 14/03/2006

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Dans une société coopérative de production, est-il juste ou non que le talent ou l'habileté donnent droit à une rémunération plus élevée ? Ceux qui répondent négativement à la question font valoir l'argument suivant : celui qui fait ce qu'il peut a le même mérite et ne doit pas, en toute justice, être placé dans une position d'infériorité s'il n'y a pas faute de sa part ; les aptitudes supérieures constituent déjà des avantages plus que suffisants, par l'admiration qu'elles excitent, par l'influence personnelle qu'elles procurent, par les sources intimes de satisfaction qu'elles réservent, sans qu'il faille y ajouter une part supérieure des biens de ce monde ; et la société est tenue, en toute justice, d'accorder une compensation aux moins favorisés, en raison de cette inégalité injustifiée d'avantages plutôt que de l'aggraver encore. À l'inverse, les autres disent : la société reçoit davantage du travailleur dont le rendement est supérieur ; ses services étant plus utiles, la société doit les rémunérer plus largement ; une part plus grande dans le produit du travail collectif est bel et bien son oeuvre ; la lui refuser quand il la réclame, c'est une sorte de brigandage. S'il doit seulement recevoir autant que les autres, on peut seulement exiger de lui, en toute justice, qu'il produise juste autant, et qu'il ne donne qu'une quantité moindre de son temps et de ses efforts, compte tenu de son rendement supérieur. Qui décidera entre ces appels à des principes de justice divergents ? La justice, dans le cas en question, présente deux faces entre lesquelles il est impossible d'établir l'harmonie, et les deux adversaires ont choisi les deux faces opposées ; ce qui préoccupe l'un, c'est de déterminer, en toute justice, ce que l'individu doit recevoir ; ce qui préoccupe l'autre, c'est de déterminer, en toute justice, ce que la société doit donner. Chacun des deux, du point de vue où il est placé, est irréfutable et le choix entre ces points de vue, pour des raisons relevant de la justice, ne peut qu'être absolument arbitraire. C'est l'utilité sociale seule qui permet de décider entre l'un et l'autre.

Ce texte est un extrait de L’utilitarisme  de John Stuart Mill et plus précisément du chapitre cinq intitulé « Du lien qui unit la justice et l’utilité «. Il a pour thème la rémunération du travail. La problématique porte sur des définitions de la justice, dont les points de vue diffèrent.

L’argumentation se déroule en trois temps. La première étape, qui s’étend jusqu’à « l’aggraver encore «, présente la première thèse : l’égalité sociale dans la rémunération permettrait de compenser une inégalité naturelle. La deuxième expose l’antithèse qui, cette fois, se place du point de vue de la société : il est juste que l’individu soit rémunéré en proportion du travail accompli.  Enfin la troisième étape, qui commence par une interrogation « Qui décidera… «, ne prend pas parti pour l’une ou l’autre des thèses mais indique la difficulté qu’il y a à trancher entre les deux.

 

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« accompli ne sera donc pas le même selon les individus.

A cette constatation s'ajoute une autre inégalité : le fait queles personnes les plus douées soient mieux rémunérées.

En ce sens une inégalité naturelle s'accompagne d'uneinégalité sociale et c'est ce que Mill appelle une « inégalité injustifiée » et aggravée. La thèse défendue dans cette première partie serait de rétribuer les individus en prenant en compte leur inégale aptitude.

A partir du moment où les salariés font ce qu'ils peuvent, ils devraient être rémunérés de la mêmemanière. Cette conception de la rétribution pose la question des fondements de l'inégalité naturelle.

Peut-on être sûr qu'elle n'est pas liée au manque d'investissement et d'effort de l'individu ? Dans ce cas il s'agirait d'une inégalitétoute subjective qu'il serait impossible de mesurer.

Pour autant nous ne pouvons nier que des individus sont plusdoués que d'autres et cela malgré tous les efforts qu'ils peuvent faire. Mill, à la fin de cette première partie, aborde la question de la compensation.

L'inégalité naturelle des individus ne devrait pas impliquer une inégalité sociale, ce qui serait injuste, mais devrait être réparée.

Sur quoireposerait cette compensation ? Il s'agirait de faire correspondre inégalité naturelle et égalité sociale.

« Celui qui fait ce qu'il peut a le même mérite et ne doit pas, en toute justice, être placé dans une position d'infériorité s'il n'y apas de faute de sa part.

» Cependant on peut se demander si l'égalité naturelle et l'égalité sociale sont commensurables, autrement dit si une inégalité naturelle peut être compensée par une égalité sociale. II- La rémunération peut-elle avoir pour critère l'utilité ? La deuxième thèse, exposée dans cette deuxième partie, prend pour point de vue non pas l'individu, comme précédemment, mais la société.

En ce sens c'est d'après cette dernière que l'on évaluera la rémunération du travail.Il est juste que l'individu reçoive plus dans la mesure où il sert plus notre société.

Si nous prônons l'égalité sociale etrétribuons chacun de la même manière alors voilà ce qui s'ensuit naturellement « S'il doit seulement recevoir autant que les autres, on peut seulement exiger de lui, en toute justice, qu'il produise juste autant ».

Nous sommes confrontés à un cercle vicieux. En effet dans la première partie nous tentions de résoudre l'inégalité naturelle par une égalité sociale.

Ici l'égalité sociale implique un désinvestissement des plus doués, qui ne feront pas plus que les autres.

L'égalité socialedonc est suivie d'un semblant d'égalité naturelle, puisque les plus doués se mettent au même niveau que les moinsdoués. L'équilibre semble rétabli même s'il n'est que factice : l'égalité naturelle fait face à l'égalité sociale même si c'est la seconde et non la première qui est la source de l'autre.

Une perte est, cependant à noter, le talent etl'habileté des individus ne sont pas mis à profit. III- Ces deux faces de la justice sont-elles inconciliables ? Cette dernière étape dresse un bilan de l'argumentation.

Nous arrivons à une impasse, selon Mill, puisqu'il est impossible de trancher entre les deux thèses qui viennent d'être exposées.

L'une part du point de vue de l'individu etmet en évidence l'injustice sociale qu'il y aurait à rétribuer de manière inégale des personnes qui ont le même mérite,même si leurs aptitudes diffèrent.

L'autre prend comme point de vue la société et considère que les personnesdoivent être rémunérées en proportion de ce qu'elles apportent au corps social.

Il s'agit de savoir de quelle manièrenous pourrions concilier ces deux positions. Ce qui crée l'impasse est le caractère arbitraire des deux thèses souligné à la fin du texte.

Par arbitraire il faut entendre un argument certes irréfutable mais dont les bases ne sont pas correctes.

Les deux parties ontimposé leur thèse sans la justifier de manière rigoureuse.

Il s'agit de prendre en compte, pour bien argumenter, tousles points de vue, l'individu mais aussi la société, et non pas les séparer comme cela a été fait. Mill donne une solution au caractère inconciliable des deux positions : l'utilité sociale.

Pour autant ce qui devrait être la clef du problème n'est pas développé.

Que faut-il entendre par utilité sociale ? Si celle-ci doit être àmême de départager les deux parties, elle ne peut être confondue avec une des deux thèses ; le qualificatif« sociale » aurait pu faire naître cette confusion.

Faire de l'utilité sociale le critère de la juste rémunération, c'estaller contre les doctrines qui opposent l'utilité à la justice comme appartenant à deux systèmes de valeurs distincts.L'utilité sociale ne signifie pas que l'on accorde la primauté à la société au détriment de l'individu.

Au contraire ils'agit de prendre en compte à la fois l'intérêt général et l'intérêt particulier, l'un n'allant pas sans l'autre. Conclusion Au-delà de la question de la rémunération du travail, cet extrait traite des rapports de la justice et de l'utilité.

Peut-on mêler ces deux notions sans corrompre la première ? Selon les partisans de l'utilitarisme le rapportentre la justice et l'utilité est possible sans pervertir la notion de justice.

Pour ce faire il s'agit de définir l'utilité nonpas simplement en terme d'efficacité, de rendement, ce qui, appliqué à l'individu, serait préjudiciable, maiscomprendre l'utilité dans un autre sens, celui d'utilité sociale.. »

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