Maurice Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception, I, VI. « L'usage qu'un homme fera de son corps est transcendant à l'égard de ce corps comme être simplement biologique. »
Publié le 07/04/2012
Extrait du document
« L'usage qu'un homme fera de son corps est transcendant à l'égard de ce corps comme être simplement biologique. Il n'est pas plus naturel ou pas moins conventionnel de crier dans la colère ou d'embrasser dans l'amour que d'appeler table une table. Les sentiments et les conduites passionnelles sont inventés comme les mots. Même ceux qui, comme la paternité, paraissent inscrits dans le corps humain sont en réalité des institutions. II est impossible de superposer chez l'homme une première couche de comportements que l'on appellerait « naturels « et un monde culturel ou spirituel fabriqué. Tout est fabriqué et tout est naturel chez
l'homme, comme on voudra dire, en ce sens qu'il n'est pas un mot, pas une conduite qui ne doive quelque chose à l'être simplement biologique - et qui en même temps ne se dérobe à la simplicité de la vie animale, ne détourne de leur sens les conduites vitales, par une sotte d'échappement et par un génie de l'équivoque qui pourrait servir à définir l'homme. «
Maurice Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception, I, VI.
L'anthropologie contemporaine distingue dans les comportements humains le naturel du culturel pour expliquer le rapport de l'un à l'autre, pour Merleau-Ponty, une telle distinction est impossible de faire. S’appuyant sur des exemples qui, de prime abord, relèvent de l'affectivité la plus naturelle, il en conclura à son caractère institutionnel. C'est par cette thèse paradoxale, fondée sur l'équivoque du naturel et du culturel saisie au niveau le plus élémentaire du corps humain, ...
Plan :
Introduction
I. Les conduites institutionnelles du corps
a) De l'usage du corps
b) Colère et amour
c) La paternité
II. L'homme ou le génie de l'équivoque.
a) « Les deux couches «
b) L'échappement
c) Le génie de l'équivoque
Conclusion
«
Introduction
L'anthropologie contemporaine distingue dans les comportements humains le
naturel du culturel pour expliquer le rapport de l' un à l'autre, pour Merleau-Ponty,
une telle distinction est impossible de faire.
S’ap puyant sur des exemples qui, de
prime abord, relèvent de l'affectivité la plus natu relle, il en conclura à son caractère
institutionnel.
C'est par cette thèse paradoxale, f ondée sur l'équivoque du naturel et
du culturel saisie au niveau le plus élémentaire du corps humain, que Merleau-Ponty
invite à repenser l'homme.
Ainsi, contre la traditi on philosophique rationaliste,
Merleau-Ponty saisit l'originalité de l'homme, non dans une autonomie de l'âme par
rapport au corps, mais au contraire dans son rappor t au corps.
I.
Les conduites institutionnelles du corps
a) De l'usage du corps
Le rapport de l'homme à son corps, à travers l'usag e qu'il en fait, ne peut se
réduire à un rapport seulement biologique.
En usant des fonctions biologiques de
son corps, l'homme fait de cet organisme une organi sation qui transcende le corps
dans ses données strictement physiologiques.
Cette thèse consiste à reconnaître
d'abord que le comportement du corps humain ne se r éduit pas à un ensemble de
réactions physico-chimiques à des stimuli extérieur s.
Sur ce point, Merleau-Ponty se
sépare du béhaviorisme, théorie matérialiste du com portement, qui entend expliquer
toutes les attitudes comme des mouvements biologiqu es en se passant
définitivement de la notion de conscience.
Mais la thèse de Merleau-Ponty devient paradoxale e n ce qu'elle ne fait pas
intervenir la transcendance par rapport au naturel, à travers des comportements
sophistiqués ou des attitudes artificielles, mais d ans ce qui semble être le plus
primitif, le plus originel, le plus instinctif.
Si Hegel avait déjà remarqué que tout
homme, même le plus primitif, manifestait toujours une tendance à faire de son corps
un usage autre que biologique, en le parant, le maq uillant, le tatouant (Esthétique,
Introduction ), Merleau-Ponty va plus loin et cette radicalité s 'exprime à travers les
exemples qu'il prend.
b) Colère et amour
L'homme en colère crie et ce cri semble être une ex pression naturelle
traduisant le sentiment de colère chez tout homme.
De même, l'homme amoureux
manifeste naturellement son sentiment d'affection p ar le baiser.
Ces deux
expressions, qui semblent naturelles et relatives à des conduites instinctives,
seraient en réalité des conduites conventionnelles, semblables au langage.
L'affectivité humaine la moins contrôlée, la moins élaborée, la plus spontanée dans
son expression, comme la colère qui emporte le suje t, n'aurait rien de physiologique.
De même, le baiser qui semble être une expression i rrésistible n'aurait rien de
naturel.
Au niveau le plus élémentaire du naturel, il n'y au rait déjà plus de naturel : le
lien colère/cri ne serait pas un lien naturel, pas plus que le lien amour/baiser ne le
serait..
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