Maintenant que le théâtre nous est accessible sous la forme du film (cinéma, télévision), les théâtres vous paraissent-ils inutiles ?
Publié le 20/03/2009
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Faut-il fermer les salles de théâtre, frappées d'inutilité, « maintenant que le théâtre nous est accessible sous la forme du film (cinéma ou télévision) « ? Telle est, restituée sous une forme brutale, la question posée. Dans l'énoncé même du sujet, la notion de théâtre est double puisqu'elle désigne aussi bien un texte écrit, qui sera lu avant d'être joué, que le lieu des représentations où se presse le public. La duplicité de la notion semble inviter à sa dissociation qui répartirait d'un côté le théâtre comme texte, et de l'autre, le théâtre comme lieu, ce qui rendrait le texte théâtral disponible en vue d'une exploitation cinématographique ou télévisuelle. Mais une telle scission ne risque-t-elle pas d'être fatale à la notion même de théâtre, à la théâtralité c'est-à-dire à ce qui, dans la représentation ou le texte dramatique est spécifiquement théâtral ? Il nous faudra donner un contenu plus précis à ce concept de théâtralité pour examiner, dans une seconde partie, si la mise en images — cinématographique ou télévisuelle — ne laisse pas de côté un ou plusieurs des éléments qui justifieraient non seulement le maintien des salles de théâtre, mais leur extension.
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Le public convié à la projection de pièces de théâtre filmées par le cinéma ou la télévision est-il le même que celuiqui pénètre dans une salle de théâtre, est-il constitué ou organisé selon les mêmes règles? Si tel était le cas, lesthéâtres deviendraient inutiles puisque nous avons vu que leur vocation réside dans la composition d'un public.Il est facile de constater que la télévision n'est, à aucun titre, le moyen d'une telle finalité.On va au théâtre ! On va au cinéma ! On ne va pas à la télévision ! Incongruité de la formule qui manifesteclairement que la télévision n'est pas un lieu de spectacle : le poste de télévision est inséré dans le décor quotidiende chacun.
L'ensemble des téléspectateurs est un public dispersé, atomisé en autant de parcelles familiales, le plussouvent.
A l'inverse, le théâtre, parce qu'il permet un rassemblement de spectateurs, est un lieu susceptible deproduire une communauté réelle.
C'est pourquoi un écrivain comme J.-P.
Sartre s'est si vivement intéressé authéâtre (Un Théâtre de situations, 1973).
Sartre a reconnu la nature religieuse — selon le mot qu'il emploie — duthéâtre.
Or l'étymologie de religion (du latin religio, de relegere « rassembler ») nous l'apprend : cette nature a pourvocation de réunir.
Cette dernière remarque ne vaut-elle pas pour le cinéma qui engage le spectateur tout autant que le théâtre enl'installant parmi ses semblables ?Assurément ! Mais cela n'a pas empêché Artaud de revendiquer avec véhémence l'originalité du théâtre par rapportau cinéma.« Le Théâtre de la cruauté compte ne pas abandonner au cinéma le soin de dégager les Mythes de l'homme et de lavie modernes.
Mais il le fera d'une manière qui lui soit propre, c'est-à-dire que, par opposition avec le glissementéconomique, utilitaire et technique du monde, il remettra à la mode les grandes préoccupations et les grandespassions essentielles que le théâtre moderne a recouvertes sous le vernis de l'homme faussement civilisé.[...]Nous voulons disposer, pour un spectacle de théâtre, des mêmes moyens matériels qui, en éclairage, en figuration,en richesses de toutes sortes, sont journellement gaspillées pour les bandes, sur lesquelles tout ce qu'il y a d'actif,de magique dans un pareil déploiement, est à jamais perdu.
» (A.
Artaud, Second manifeste du Théâtre de lacruauté, 1933.)Selon Artaud, parce que le cinéma est un art de son temps, de plain-pied avec son temps, il ne peut pas rendresensible l'inactualité des passions humaines que seul un théâtre de la cruauté, qui prétend toucher à vif lespectateur, peut mettre en scène...
Il est vrai que la mise en images est définitive, et que la mise en scènecinématographique ne doit rien à l'attitude du spectateur, qui est cependant de plus en plus sollicité par l'usageintensif de la stéréophonie.
La projection est, pour toujours, la même alors qu'un spectacle de théâtre est recréé àl'occasion de chaque représentation.
Le théâtre en obligeant le spectateur à être ensemble avec d'autres et à se situer, dans la complicité ou dans laconcurrence, par rapport à une fiction, à la scène, aux comédiens et au public lui-même est un lieu irremplaçable.Toute version filmée d'une pièce de théâtre est, à cet égard, réductrice.
Aussi doit-il subsister à côté des autresformes de spectacle.Théâtre, cinéma et télévision réalisent, chacun avec ses moyens propres, un montage fictif dont le spectateur doitpouvoir profiter sans être amené à renoncer à l'un au profit exclusif des autres.
La « mise en bobine » du théâtrepeut « enrichir » une œuvre dramatique, elle ne saurait lui interdire de se dérouler dans son espace naturel : lethéâtre..
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