Machiavel, Le Prince (1513) Chapitre XVIII
Publié le 19/03/2014
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« Il faut savoir qu'il y a deux manières de combattre, l'une par les lois, l'autre par la force : la première sorte est propre aux hommes, la seconde propre aux bêtes ; mais comme la première bien souvent ne suffit pas, il faut recourir à la seconde. Ce pour¬quoi est nécessaire au Prince de bien savoir pratiquer la bête et l'homme. Cette règle fut enseignée aux Princes en paroles voi¬lées par les anciens auteurs, qui écrivent comme Achille et plu¬sieurs autres de ces grands seigneurs du temps passé furent don¬nés à élever au centaure Chiron pour les instruire sous sa disci¬pline. Ce qui ne signifie autre chose, d'avoir ainsi pour gouver¬neur une demi-bête et demi-homme, sinon qu'il faut qu'un Prince sache user de l'une et de l'autre nature, et que l'une sans l'autre n'est pas durable. Puis donc qu'un Prince doit savoir bien user de la bête, il en doit choisir le renard et le lion; car le lion ne peut se défendre des rets, le renard des loups ; il faut donc être renard pour connaître les rets, et lion pour faire peur aux loups. «
Machiavel, Le Prince (1513) Chapitre XVIII,
traduction de J. Gohory remaniée par Y. Levy,
Éd. de Cluny, 1938, p. 108 sq.
Pour conserver le pouvoir, il faut la force
L'impersonnalité du « Il faut «, qui démarre cet extrait, cache « l'adresse « du texte (que l'on sait par ailleurs des¬tiné à Laurent de Médicis) et suggère l'intemporalité du savoir ici révélé. Savoir rationnel, que Machiavel formule, en définissant une fois pour toutes les « deux manières de combattre « : l'une propre à l'homme, l'autre aux bêtes. D'un côté les lois, d'un autre la force. On aurait pu s'at¬tendre à
«
1 Le Prince doit savoir allier la force
du lion
et la ruse du renard
Machiavel parle en toute clarté parce qu'il écrit au Prince,
et que son discours est un texte d'éducation.
Ce savoir de
Machiavel n'est pas seulement puisé dans l'expérience
méditée sur l'histoire de son temps.
Il est
nouiri de la lec
ture des auteurs de !'Antiquité.
D'où l'interprétation, que
fournit Machiavel, de cette fable mythologique selon
laquelle Achille (le héros grec de l'Iliade) reçut son éduca
tion
d'un centaure -( « mi-homme, mi-bête »).
Ainsi, le
secret est ancien, il est efficace (on connaît la gloire
d'Achille
et ses combats victorieux), et peut être repris.
Laurent
II de Médicis sera un nouvel Achille, Machiavel se
veut un nouveau Chiron.
Cependant il y a force et force .
Tant
qu'à être bête, la vanité du Prince se satisferait d'être
lion, le roi des animaux.
Mais dans la tripartition des ani
maux que propose Machiavel, seule l'alliance,
si disparate,
du lion
et du renard, permet de triompher .
Car deux types
d'obstacles sont présents.
On connaît toujours plus fort que
soi.
C'est
le cas du lion qui ne sait, par sa taille même, se
dépêtrer des filets des chasseurs .
C'est le cas du renard, trop
faible devant
le loup.
Mais la force (ou la ruse) de l'un sert
l'autre :
la force du lion élimine le loup qui prétendait atta
quer
le renard, la ruse du renard vient au secours du lion
dont les chasseurs allaient s'emparer.
Être l 'un et l'autre,
voilà qui permet de gagner
et de conserver le pouvoir .
1 Le réalisme politique de Machiavel
L'intérêt du texte réside dans le réalisme politique de
Machiavel, mais aussi dans l'affirmation de
la nécessaire
alliance entre
la puissance et l'habileté, ceci à l'encontre de
la vision commune qui assimile le pouvoir du Prince à une
simple démonstration de force, alors que
la ruse, par essence
invisible, puisqu'elle ne
peut se démasquer, est parfois plus
efficace .
Cependant les conseils de Machiavel restent tribu
taires de l'importance que pouvait avoir
la personnalité du
Prince dans les petits États morcelés de l'Italie de son temps.
Et du même coup ses conseils pourraient faire croire à un
lecteur d'aujourd'hui que lorsqu'il s'agit de pouvoir, tout se
joue dans la sphère exclusive du pouvoir, et en termes « psy
chologiques
» d'honnêteté, de ruse ou de force •.
»
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