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L'œuvre d'art comme modèle réduit de C. LÉVI-STRAUSS

Publié le 05/01/2020

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Contrairement à ce que suggère le texte précédent, où l’art apparaît comme une échappée nécessaire du monde de la contrainte, pour l'ethnologue Claude Lévi-Strauss l'art est un moyen pour l'homme de s'approprier la réalité, matériellement et intellectuellement. La notion de modèle réduit permet de rendre compte de cette appropriation.

 

La question se pose de savoir si le modèle réduit, qui est aussi le «chef-d’œuvre» du compagnon, n’offre pas, toujours et partout, le type même de l’œuvre d’art. Car il semble bien que tout modèle réduit ait vocation esthétique - et d’où tirerait-il cette vertu constante, sinon de ses dimensions mêmes ? Inversement, l’immense majorité des œuvres d’art sont aussi des modèles réduits. On pourrait croire que ce caractère tient d’abord à un souci d’économie, portant sur les matériaux et sur les moyens, et invoquer à l’appui de cette interprétation des œuvres incontestablement artistiques, bien que monumentales. Encore faut-il s’entendre sur les définitions : les peintures de la chapelle Sixtine sont un modèle réduit en dépit de leurs dimensions imposantes, puisque le thème qu’elles illustrent est celui de la fin des temps. Il en est de même avec le symbolisme cosmique des monuments religieux. D’autre part, on peut se demander si l’effet esthétique, disons d’une statue équestre plus grande que nature, provient de ce qu’elle agrandit un homme aux dimensions d’un rocher, et non de ce qu’elle ramène ce qui est d’abord, de loin, perçu comme un rocher aux dimensions d’un homme. Enfin, même la « grandeur nature » suppose un modèle réduit, puisque la transposition graphique ou plastique implique toujours la renonciation à certaines dimensions de l’objet : en peinture, le volume ; les couleurs, les odeurs, les impressions tactiles, jusque dans la sculpture ; et, dans les deux cas, la dimension temporelle, puisque le tout de l’œuvre figurée est appréhendé dans l’instant.

 

Quelle vertu s’attache donc à la réduction, que celle-ci soit d’échelle, ou qu’elle affecte les propriétés ?(...)

 

A l’inverse de ce qui se passe quand nous cherchons à connaître une chose ou un être en taille réelle, dans le modèle réduit la connaissance du tout précède celle des parties. Et même si c’est là une illusion, la raison du procédé est de créer ou d’entretenir cette illusion, qui gratifie l’intelligence et la sensibilité d’un plaisir qui, sur cette seule base, peut déjà être appelé esthétique.

 

Nous n’avons jusqu’ici envisagé que des considérations d’échelle, qui, comme on vient de le voir, impliquent une relation dialectique entre grandeur - c’est-à-dire quantité - et la qualité. Mais le modèle réduit possède un attribut supplémentaire : il est construit, man made, et, qui plus est, « fait à la main ». Il n’est donc pas une simple projection, un homologue passif de l’objet : il constitue une véritable expérience sur l’objet; or, dans la mesure où le modèle est artificiel, il devient possible de comprendre comment il est fait, et cette appréhension du mode de fabrication apporte une dimension supplémentaire à son être ; de plus - nous l’avons vu à propos du bricolage, mais l’exemple des « manières » des peintres montre que c’est aussi vrai pour l’art -, le problème comporte toujours plusieurs solutions. Comme le choix d’une solution entraîne une modification du résultat auquel aurait conduit une autre solution, c’est donc le tableau général de ces permutations qui se trouve virtuellement donné, en même temps que la solution particulière offerte au regard du spectateur, transformé de ce fait — sans même qu’il le sache - en agent. (...) Autrement dit, la vertu intrinsèque du modèle réduit est qu’il compense la renonciation à des dimensions sensibles par l’acquisition de dimensions intelligibles.

 

Claude Lévi-Strauss, La Pensée sauvage, Plon, 1962, p. 34-36.

« là une illusion, la raison du procédé est de créer ou d'entretenir cette illusion, qui gratifie l'intelligence et la sensibilité d'un plai­ sir qui, sur cette seule base, peut déjà être appelé esthétique.

Nous n'avons jusqu'ici envisagé que des considérations d'échelle, qui, comme on vient de le voir, impliquent une relation dialectique entre grandeur- c'est-à-dire quantité- et la qualité.

Mais le modèle réduit possède un attribut supplémentaire : il est construit, man made, et, qui plus est,« fait à la main».

Il n'est donc pas une simple projection, un homologue passif de l'objet : il constitue une véritable expérience sur l'objet; or, dans la mesure où le modèle est artifi­ ciel, il devient possible de comprendre comment il est fait, et cette appréhension du mode de fabrication apporte une dimension sup­ plémentaire à son être; de plus -nous l'avons vu à propos du bri­ colage, mais l'exemple des «manières» des peintres montre que c'est aussi vrai pour l'art-, le problème comporte toujours plu­ sieurs solutions.

Comme le choix d'une solution entraîne une modi­ fication du résultat auquel aurait conduit une autre solution, c'est donc le tableau général de ces permutations qui se trouve virtuel­ lement donné, en même temps que la solution particulière offerte au regard du spectateur, transformé de ce fait- sans même qu'il le sache -en agent.

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) Autrement dit, la vertu intrinsèque du modèle réduit est qu'il compense la renonciation à-des dimensions sen­ sibles par l'acquisition de dimensions intelligibles.

Claude LÉVI-STRAUSS, La Pensée sauvage, Plon, 1962, p.

34-36.

POUR MIEUX COMPRENDRE LE TEX E En montrant que l'art, à la fois au sens de beaux-arts et au sens de fabrication, lie l'activité intellectuelle au travail concret, Claude Lévi-Strauss nous renvoie à la pensée d'Aristote (texte 5); le «modèle réduit» nous .conduit au seuil des beaux-arts, où cette production vaut plus par ce qu'elle apporte au développement des facultés intellectuelles que par l'objet extérieur qui est produit.

Ceci vaut pour l'acti­ vité productrice, mais également pour le contemplateur des œuvres d'art.. »

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