L'utilité sociale des passions
Publié le 28/03/2015
Extrait du document
Aussi s'évertue-t-il à montrer que la société naît de la «propension naturelle des hommes à l'échange«.
Le marché est, selon lui, naturel et régulateur car c'est en définitive la libre poursuite, par chacun, de son intérêt égoïste qui conduit, comme nous le verrons avec sa théorie de «la main invisible«, à optimiser l'intérêt général.
La liberté est donc, selon lui, fondamentale.
Ainsi, notre intérêt de consommateur est ici servi par l'intérêt propre du commerçant qui retire un avantage particulier de notre satisfaction qu'il ne vise aucunement puisqu'il est entièrement déterminé par son égoïsme.
Ainsi, les égoïsmes privés sont bien le moteur fondamental des échanges.
Car même si chaque individu, chaque entrepreneur, dirions-nous aujourd'hui, ne cherche que son propre profit, ce profit personnel s'accorde néanmoins (c'est ta fameuse «harmonie des intérêts«) avec les buts de l'économie nationale.
C'est en ne cherchant qu'à accroître son revenu personnel que chacun contribue finalement à accroître le revenu de la nation.
Ainsi la concurrence même à laquelle se livrent les ambitions individuelles, en dressant chacun contre chacun, est-elle bénéfique à la société tout entière.
De sorte que l'intérêt public, qui est la résultante inintentionnelle d'une somme d'activités motivées par l'égoïsme des passions, n'est jamais mieux servi que lorsque les individus sont autant que possible laissés libres de rechercher leur propre profit.
Au terme de cette analyse, il apparaît que nous ne devons nullement nous désespérer de l'égoïsme qui détermine chacun à ne chercher que son propre gain.
Car toutes les entreprises individuelles, qui apparemment sont indépendantes les unes des autres, sont en fait coordonnées par une puissance d'harmonisation et aboutissent à une situation dans laquelle les producteurs peuvent vendre leurs marchandises et les consommateurs satisfaire au mieux leurs besoins.
«
La passion
L'égoïsme de la passion, un mal radical?
En ce qu'elle exprime la poursuite de nos intérêts les plus particuliers,
la passion serait profondément égoïste et rendrait l'homme prisonnier
de lui-même en le détournant de la recherche altruiste de l'intérêt de
ses semblables.
Aussi a-t-elle souvent été, en particulier dans
la pensée
chrétienne, condamnée, voire parfois maudite.
Elle serait le vice qui
résiste à
la vertu, l'expression d'un mal dont l'éducation morale aurait
pour vocation de nous délivrer.
Parce qu'elle aliène l'homme en le ren
dant esclave de lui-même, le moralisme puritain y voit ce dont il faut
se libérer pour exister enfin humainement.
Aussi n'est-il guère étonnant
qu'elle ait pu, et qu'elle puisse encore aujourd'hui, être perçue comme
la cause majeure de l'impossibilité de régler parfaitement le problème
politique, c'est-à-dire de rendre viable une société humaine vraiment
harmonieuse.
C'est ce
dont témoigne, par exemple, la Sixième proposition de l'idée
d'une histoire universelle au point de vue cosmopolitique, dans laquelle
Kant affirme
que« le bois dont l'homme est fait est si courbe qu'on ne
peut rien y tailler de bien droit ».
Cette définition de l'homme, qui
fonde chez Kant
la problématicité de la question politique, est sans
conteste largement influencée par sa pensée religieuse, et en particulier
par l'influence de saint Augustin, de Luther
et de Spener.
Pour carac
tériser
le pécheur, Augustin l'affuble des adjectifs « curvatus »,
« curvus ».
Cette courbure, qui interdit à l'homme d'élever sa pensée
vers
le Ciel, l'amène à céder à sa nature et à se pencher vers les« choses
inférieures ».
Or, cette condamnation de la « pente » qui tord un
homme et le courbe pathologiquement vers lui-même, parce qu'elle
est une condamnation de l'égoïsme, est tout à fait édifiante.
Car enfin,
peut-on passer sous silence,
si l'on veut comprendre l'homme et le
fonctionnement des sociétés humaines, cette expression paradigma
tique du
Mal, expression qui se radicalise notamment dans la pensée
du fondateur du protestantisme allemand, Luther
?
Dans son cours sur l'Epître aux Romains, ce dernier reprend l'image
augustinienne de
la courbure pour lui donner une signification absolue,
comme le souligne judicieusement Alexis Philonenko dans le troisième
chapitre de
La Théorie kantienne de /'histoire (1986).
Car dans son
combat contre l'égoïsme, Luther ne croit nullement l'homme capable
d'être assez saint pour avoir un amour de soi « raisonnable ».
En se
fondant sur
la parole du Christ Uean, 12,25), il soutient que « aimer
signifie se haïr soi-même ».
Or, c'est précisément parce que l'homme
est incapable de se haïr, parce qu'il aime son péché, qu'il est« courbe »,
comme un bois qui se retourne en soi.
De telle sorte que pour Luther,
on
peut affirmer l'équivalence suivante: curvus = curvus in se =versus
- 226 -.
»
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