L'usage de la raison est-il une garantie contre l'erreur ?
Publié le 27/02/2008
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«
rien, ébloui, des objets réels du monde extérieur.
Bref, il subirait la pire des violences en pure perte.Mais si on libérait ce prisonnier de façon progressive, en l'accoutumant peu à peu à la lumière (en le faisant d'abordsortir la nuit, contempler les étoiles, puis les reflets dans l'eau, jusqu'à ce qu'il supporte le plein jour et même lavision du soleil), alors, il comprendrait que le monde de la caverne n'est qu'illusion, et que le «monde extérieur » seul est réel, vrai et beau.
Cet itinéraire progressif est, nous y reviendrons, celui de la philosophie, qui convertit notreregard, nous faisant passer de l'illusion au vrai.Le prisonnier libéré voudra sans doute retourner dans la caverne alerter ses anciens compagnons.
Mais alors, rentrant dans la caverne obscure, il subira un effet similaire à celui que ressent chacun d'entre nous passant du plein jour à l'obscurité.
Il ne verra rien, il se cognera, il prêtera à rire en ne reconnaissant plus les ombres.
Si, deplus, il explique à ses compagnons que ce qu'ils prennent pour la réalité n'est qu'illusion, et montre qu'il n'attacheaucune importance à leurs concours et leurs honneurs, à tout ce à quoi les autres attachent de la valeur, alors, lafarce tournera au tragique.
On le mettra à mort, comme un fou, comme un gêneur.Cette issue tragique, que Platon fait décrire par Socrate, représente bien entendu le sort de Socrate « le plus juste des hommes », que le tribunal populaire d'Athènes condamnera à mort.
Et le monde de la caverne est similaire à celui de la cité athénienne, avec sa démocratie directe, ses luttes intestines, sa soif d'honneurs.La fin de la fable illustre les rapports tendus, sinon impossibles, de la philosophie et de la cité.
Le sage se détournede ce que le commun des mortels admire, se moque de ses honneurs, qu'il juge dérisoires parce qu'illusoires.
Samaladresse dans les affaires courantes, cette maladresse qui prête à rire, le fait passer pour un fou ou un idiot,vient de ce qu'il sait, lui, que la plupart de nos affaires et de ce qui nous préoccupe est sans valeur et vain : unmonde d'ombres.
Ce savoir, Socrate, comme le prisonnier libéré de Platon , l'a payé de sa vie, inaugurant une liste qui est loin d'être close.
Ces «assassins» potentiels: « Ils nous ressemblent».Mais quel est ce monde à l'extérieur de la caverne , le monde réel ? Il s'agit de ce que Platon nomme le monde des Idées.
Or, il nous faut comprendre en quoi une Idée n'est pas une conception, une «idée» au sens courant duterme.Les ombres, ces illusions, ont des causes : le soleil et l'objet dont, précisément, l'ombre est projetée sur les paroisde la caverne .
A un seul objet peuvent correspondre plusieurs ombres, plusieurs apparences.
Une Idée au sens de Platon est comparable à cet objet, et notre monde, celui qui est offert à nos sens, à celui de la caverne .
En prenant le monde qui nous entoure, que nous voyons, touchons, etc.
(ce que la conscience commune nomme le « concret») pour le monde réel, nous sommes semblables aux prisonniers.Comme l'objet, l'Idée est une réalité (et non un produit de notre esprit) qui est la cause des apparences sensibles.Cette cause est unique, immuable (elle reste identique alors que les reflets changent).
Une Idée est donc uneréalité unique, éternelle, immuable qui est la cause et le modèle des «objets» offerts aux sens.Le peu de réalité de l'ombre lui vient de sa cause, le peu de réalité de notre monde sensible provient du mondeintelligible (le monde des Idées) qui le cause et l'explique.Resterait à ajouter que l'Idée n'est pas une réalité matérielle, sensible, mais qu'elle n'est accessible « qu'aux yeux del'âme».L'activité du philosophe consiste donc à convertir son regard, à passer de l'immersion dans le sensible, dans lamatière, dans les occupations vaines, à la contemplation du seul monde vrai et réel.
« Les yeux de l'âme »contemplent alors les Idées, et, parmi elles, la plus grande, la cause des causes, l'Idée de Bien (symbolisée dansl'allégorie par le soleil).
Ainsi l'on passe de la compétition des prisonniers pour la reconnaissance du passage, dudevenir des ombres, à la contemplation des réalités immuables.
Il faut s'élever du sensible à l'intelligible.Ce qui peut sembler étrange à un lecteur d'aujourd'hui n'est pas tant de dénoncer le caractère illusoire de ce quenous disent les sens (la physique moderne nous l'a appris on ne peut mieux) que de faire de ce qui est réel unmonde séparé.
Il faut comprendre pourquoi Platon a été amené à poser, à côté de notre monde, celui de la caverne , un autre monde, séparé du premier, monde des réalités éternelles et immuables, des formes, des essences.
Car lesIdées sont les essences et le modèle des choses sensibles.Platon hérite des questions posées antérieurement par les philosophes. Héraclite avait fait remarquer que « Le même homme ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve.
» Notremonde est un monde en perpétuel devenir (comme l'eau du fleuve qui toujours s'écoule), un monde où constammentles choses changent, se transforment.
C'est-à-dire un monde où les choses ne sont jamais identiques à elles-mêmes; au contraire elles sont toujours mouvantes et autres qu'elles-mêmes.
Ce monde, Aristote le décrira plus tardcomme celui de « la génération et la corruption»: celui où les choses apparaissent, naissent, se développent, setransforment et meurent, où tout est pris dans un flux.Or comment peut-on comprendre une chose qui n'est jamais égale à elle-même? Que peut-on dire de vrai d'un objetqui sans cesse change ? Le savoir porte toujours sur des essences, des choses ou des relations nécessaires oustables, il est régi par le principe de non-contradiction.
Comment pourrait-on appréhender ce monde du mouvant, dudevenir autre ?Un autre problème se pose tout aussi bien.
Quand je dis «tel homme est beau », «telle action est belle », «telle fleurest belle », «telle marmite est belle », où réside l'essence de la beauté, son unité ? Car j'attribue bien lamême qualité (la beauté) à des choses radicalement différentes (cet homme, cette marmite) : comment saisir cetteunité, cette permanence au sein de cette diversité ? De plus, si la «qualité» de la beauté demeure, les chosesbelles, elles, se transforment et disparaissent.
Tel homme est beau, puis il vieillit et devient laid.
Mais la beauté a-t-elle pour autant disparu ? La question revient : quelle est l'essence et la permanence de la beauté qui se dit demultiples choses, qui, elles, se transforment et meurent ?Ces deux questions : comment rendre raison d'un monde en devenir, comment ressaisir l'unité d'une essence sereflétant de façons multiples, ont conduit Platon à élaborer la théorie des Idées.
A partir de la dualité de la matière et du monde intelligible des formes pures et immuables, on peut rendre raison du monde sensible.
On peut leconcevoir comme recevant son peu de réalité de sa cause et de son modèle : le monde des Idées.La théorie de Platon (qui évoluera) consiste à tenter de surmonter les difficultés énoncées par ses prédécesseurs..
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