L'univers écrit en langue mathématique ? de M. CLAVELIN
Publié le 05/01/2020
Extrait du document
M. CLAVELIN (né en 1928)
La géométrisation de l'expérience, le traitement des corps naturels comme des formes géométriques complexes, est une démarche consciente qui repose sur le pouvoir d’abstraction de la raison.
Aussi éloigné de la spéculation a priori que de la simple description, Galilée s’efforce [...] d’élaborer un système conceptuel où la nécessité rationnelle remplace délibérément la causalité physique ; expression par excellence de cette nécessité, la géométrie peut alors devenir le langage même de la recherche - non plus technique d’appoint, mais voie privilégiée pour l’interrogation et l’exposition. [...]« Et puisque je suppose la matière inaltérable, c’est-à-dire toujours la même, écrit Galilée, il est évident qu’ainsi interprétée comme une affection 1 étemelle et nécessaire, on pourra donner à son propos des démonstrations ne le cédant en rien à la rigueur et à la pureté des démonstrations mathématiques »[...] À ce prix, les lois de la géométrie ne seront pas moins valables pour les corps naturels que « les comptes et les raisonnements numériques » dans les échanges pratiques. « Les erreurs, peut conclure Galilée, ne résident ni dans l’abstrait ni dans le concret, ni dans la géométrie ni dans la physique, mais dans le calculateur qui ne sait pas faire des comptes justes ». Face à la position traditionnelle le renversement est donc complet. Pour Aristote et ses disciples, les concepts mathématiques sont des abstractions dérivées du monde sensible, et s’adresser à eux pour comprendre ce monde est absurde. Convaincu, au contraire, que « ce qui arrive dans le concret arrive de la même manière dans l’abstrait », « le philosophe-géomètre » tend spontanément à traiter les corps naturels comme des formes géométriques plus complexes. Aller de l’abstrait au concret constitue à ses yeux une démarche légitime, dont l’aboutissement normal sera une représentation du réel en étroit accord avec les exigences de l’entendement mathématique. « La philosophie, affirme un texte célèbre, est écrite dans ce vaste livre qui constamment se tient ouvert devant nos yeux (je veux dire l’Univers), et on ne peut le comprendre si d’abord on n’apprend à connaître la langue et les caractères dans lesquels il est écrit. Or il est écrit en langue mathématique, et ses caractères sont les triangles, les cercles, et autres figures géométriques, sans lesquels il est humainement impossible d’en comprendre un mot - sans lesquels on erre vraiment en un labyrinthe obscur »
M. ClaVELIN, La philosophie naturelle de Galilée (1968), Bibliothèque de l’évolution de l’humanité, Albin Michel 1996, pp.389 et 437-8.
«
que «ce qui arrive dans le concret arrive de la même manière dans l'abstrait»,« le philosophe-géomètre» tend spontanément à
traiter les corps naturels comme des formes géométriques plus
complexes.
Aller de l'abstrait au concret constitue à ses yeux une démarche légitime, dont l'aboutissement normal sera.
une repré
sentation du réel en étroit accord avec les exigences de l'entende ment mathématique.
« La philosophie, affirme un texte célèbre,
est écrite dans ce vaste livre qui constamment se tient ouvert devant nos yeux (je veux dire l'Univers), et on ne peut le com
prendre si d'abord on n'apprend à connaître la langue et les
caractères dans lesquels il est écrit.
Or il est écrit en langue
mathématique, et ses caractères sont les triangles, les cercles, et autres figures géométriques, sans lesquels il est humainement
impossible d'en comprendre un mot -sans lesquels on erre vrai
ment en un labyrinthe obscur »
M.
CLA VELIN, La philosophie naturelle de Galilée ( 1968), Bibliothèque de l'évolution de l'humanité, Albin Michel 1996, pp.389 et 437-8.
POUR MIEUX COMPRENDRE LE TEXTE
J' Dans cette présentation des fondements de la physique
mathématique de Galilée (1564-1642).
on retrouve les
fonctions caractéristiques de la pensée rationnelle : abs
traction, idéalisation, comptabilisation.
Comme plus
tard Newton, Galilée ne prétend pas saisir l'essence ni la
cause des phénomènes.
Il lui suffit de donner une repré- ._)
sentation mathématisable des effets de la nature.
Dans le
cas de la loi de la chute des corps, par exemple, il s'agit
pour Galilée de « découvrir et démontrer quelques proprié
tés d'un mouvement accéléré (quelle que soit la cause de
son accélération), où la grandeur de la vitesse croît le plus
simplement possible en proportion même du temps».
À
cette fin, Galilée procède à une idéalisation, à une modéli
sation abstraite de l'expérience sensible.
Il néglige délibé
rément la résistance de l'air ou du milieu dans lequel le
corps tombe : « le philosophe-géomètre qui veut retrouver
dans le concret les effets démontrés dans l'abstrait doit
compenser les obstacles dus à la présence de la matière ».
Galilée va donc raisonner; par passage à la limite, sur un..
»
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