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L'unanimité est-elle un critère de vérité ?

Publié le 03/03/2004

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L'unanimité, si elle est un critère nécessaire, n'est peut-être pas un critère suffisant : peut-elle fonder la vérité ? N'est-il pas dangereux de fonder la vérité sur l'unanimité ? L'homme est en quête de vérité. Mais comment savoir si la vérité est bien au rendez-vous ? Le fait que tout le monde soit d'accord garantit-il la vérité d'une proposition ? Et, à l'inverse, si un seul individu pense quelque chose (exemple de Galilée), cela signifie-t-il nécessairement qu'il a tort ? Doit-on admettre le relativisme de la vérité : "à chacun sa vérité" ? Il faut trouver un critère de vérité. On a avancé celui de l'évidence. Mais il y a de fausses évidences, et l'esprit particulier et subjectif que je suis peut s'y laisser prendre.
Un critère est un signe qui permet la distinction d'une chose, une notion, de porter sur un objet un jugement d'appréciation. Il s'agit donc de savoir si l'unanimité peut permettre d'établir la vérité, de la distinguer de l'erreur. Mais, il faut se demander de quelle unanimité il s'agit: est-ce celle de certains esprits, ou celle de la totalité des esprits ?


« La vérité, en art et en science, fait l'unanimitéToute loi scientifique est tenue pour vraie à partir du moment où l'ensemble de la communauté scientifique en reconnaît la validité.

En art, ainsi que ledit Kant, «« Est beau ce qui plaît universellement sans concept » (Critique de la faculté de juger).

Le fait que la satisfaction esthétique soituniverselle, valable pour tous découle de la première définition.

En effet être sensible à la beauté relève d'une sensibilité purifiée de la convoitise, de lacrainte, du désir, du confort ...

bref de tous les intérêts particuliers.

Ce plaisir éprouvé n'est donc pas celui d'un sujet enfermé dans sa particularité etce dernier peut à juste titre dire: « c'est beau », comme si la beauté était dans l'objet.

Il peut légitimement s'attendre à ce que tout autre éprouve lamême satisfaction.

Même si je n'aime pas la musique de Mozart ou la peinture de Picasso, je dois reconnaître qu'elle est unanimement tenue pourbelle.De même, en science, une idée ne peut être tenue pour vraie que si elle est partagée de toutes la communauté scientifique.

Par exemple, l'énoncé"l'eau bout à 100 degrés" peut être tenue pour certaine car les scientifiques du monde entier partagent cette assertion. [La plupart du temps, l'unanimité ne se fonde pas sur la raison, mais sur des croyances, de simples opinions.

Les grands découvreurs se sont heurtés à l'incrédulité voire à l'hostilité de leurs contemporains.] L'unanimité n'est pas un critère de vérité.L'opinion fait souvent de l'unanimité le critère de la vérité.

On dit: "Tout le monde est d'accord pour dire que..." comme preuve de la vérité de quelquechose.

Mais, précisément parce qu'elle est l'opinion, l'opinion ne fonde pas ses jugements en raison.

L'opinion faisant de l'unanimité le critère de lavérité est donc sans valeur.

De fait, il ne semble pas, pour plusieurs raisons, que l'on puisse poser l'unanimité comme critère de vérité.

Il convient eneffet d'abord de savoir à quelle unanimité on songe.

Il est matériellement impossible qu'il s'agisse de l'unanimité effective de la totalité des esprits, detous les hommes sans exception, morts et vivants.

Dira-t-on qu'il s'agit de l'unanimité de certains esprits compétents, cad de l'unanimité desspécialistes dans un domaine précis ? Ainsi une loi physique serait vraie si tous les physiciens sont unanimes à la considérer comme vraie.

Mais ils'agirait alors de tous les spécialistes à une époque donnée.

Donc, la vérité d'une théorie varierait selon les époques, puisque l'unanimité desspécialistes peut varier à chaque époque.

Et , de fait, l'histoire des sciences nous enseigne que des théories (fixisme, géocentrisme, etc.) qui se sontrévélées fausses ont été admises par la totalité des savants à une époque donnée.

Bien plus, c'est souvent un seul ou un petit nombre de spécialistesqui ont défendu la vérité contre la majorité de leurs confrères (comme l'héliocentrisme défendu par Copernic et Galilée contre l'immense majorité desastronomes de leur temps). Les opinions sont contagieusesFreud, dans Psychologie collective et analyse du moi, commentant les travaux du psychologue français Gustave Le Bon, explique les mécanismesconduisant l'individu à renoncer à sa conscience propre pour adhérer totalement aux mouvements, aux idées de la foule.

Les discours d'Hitler, bienqu'empreints de fanatisme, eurent malheureusement l'effet de séduire unanimement le peuple. L'opinion unanime, comprise comme conjecture non fondée en raison semble avoir tort« Le mensonge et la crédulité s'accouplent et engendrent l'opinion », a écrit Valéry.

On ne saurait mieux dire : à son premier niveau, l'opinion n'aguère de chances d'avoir raison car elle désigne une manière de juger inférieure, par opposition à la science, quelque chose d'intermédiaire entre laconnaissance et l'ignorance, un jugement fondé en grande partie sur la crédulité ou le mensonge, comme le dit Valéry.

L'opinion ou le fruitd'automatismes humains.

L'opinion, qu'elle soit d'origine culturelle ou sociale, est ici erronée.

A dmise sans critique, sans examen rationnel, elleexprime le penchant à la passivité et, par conséquent, elle a nécessairement tort.

Y a-t-il de bons avis non rationnels, n'étant pas nécessairementdans l'erreur ? Fort peu.

Dans le champ du social, comme dans celui de la méthode ou de la science, l'opinion conçue comme conjecture doitgénéralement être balayé.

Il exprime un certain état de mon corps ou de mon milieu culturel.

Que désigne l'opinion ? Un jugement recueilli parexpérience, à partir d'un minimum d'élaboration personnelle, en bref un simple avis résultant de l'expérience ou d'une tradition.

"L'opinion a, en droit,toujours tort." dira Bachelard dans La Formation de l'esprit scientifique. L'unanimité peut être un critère de vérité.

Mais à ces deux seules conditions: premièrement, qu'elle soit le résultat d'un lent processus d'analyse oud'expérimentation.

Jamais une création, qu'elle soit scientifique, artistique ou philosophique, ne fait immédiatement l'unanimité.

Il faut tout d'abordqu'elle résiste à l'analyse, aux critiques de centaines, de milliers d'esprits.

C'est pourquoi Peirce donne cette définition : « L'opinion prédestinée àréunir finalement tous les chercheurs est ce que nous appelons le vrai, et l'objet de cette croyance est le réel.

» En ce sens, l'unanimité (idéale etfinale) est bien le critère de la vérité.

Deuxièmement, elle ne peut s'appliquer qu'à certains aspects de la connaissance.

Il est vrai qu'en science, certaines lois sont désormaisunanimement admises.

Il est également vrai que j'ai besoin, pour juger de la justess e de mes percept ions, d'un ac cord unanime.

Enfin, en art, ce qui prouve la grandeur d'une oeuvre repose bien sur le fait que, malgré la divers ité des goûts, malgré le temps qui passe, elle continue d'imposer à l'ensemble des hommes sa perfec t ion.

M ais, en c e qui concerne le génie, au moment où il enfante des vérités neuves, en ce qui concerne la phil osophie, qui s'occupe, non d'objets particuliers, mais s'intéresse à la destination de l'homme en général, l'unan imité est plutôt un c ritère de fauss eté.. »

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